Eric M. s’estime victime d’une cabale destinée à l’empêcher de prendre la tête du Collège européen du renseignement et attaque l’Etat en justice.
De mémoire de vieux routier du tribunal administratif de Paris, on n’avait jamais vu une affaire pareille. Le responsable des affaires internationales et de la prospective de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) de 2003 à 2018 attaque l’Etat pour récupérer son habilitation « très secret défense », le plus haut niveau de confidentialité. Elle lui a été retirée après son départ brutal, le 29 mars, de la DGSI. Ce jour là, après l’avoir interrogé pendant cinq heures, l’inspection interne lui demande de quitter les lieux sur le champ. Elle le soupçonne d’avoir été approché par le Mossad et la CIA. L’intéressé, Eric M., dément et dénonce une cabale destinée à faire obstacle à sa nomination à la tête du Collège européen du renseignement.
La procédure écrite de la justice administrative a beau être très juridique, les mémoires produits par chacune des parties, le 15 octobre, laissent voir la violence de la rupture. Normalien, agrégé d’histoire, Eric M. a été détaché, en 2002, du ministère de l’éducation nationale à la direction du renseignement militaire (DRM) avant d’intégrer, brièvement, le cabinet de la ministre de la défense, Michèle AlliotMarie. Sa carrière dans le renseignement débute réellement le 7 juillet 2003, lors que Pierre de Bousquet de Florian, alors directeur de la direction de la surveillance du territoire (DST, exDGSI), lui demande d’être son conseiller aux relations avec les services partenaires et aux questions de prospective. Peu ou prou, il occupera les mêmes fonctions auprès des quatre successeurs de M. de Bousquet.
Son habilitation « très secret défense » est renouvelée en 2008 et en 2012. Elle arrivait à échéance le 29 juin 2017. L’enquête diligentée par la DGSI pour un renouvellement conduit à un refus qui lui est notifié le 12 avril 2018. Pour expliquer cette décision, le mémoire en défense présenté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), pour le compte du premier ministre, assure qu’Eric M. « est à l’origine de graves manquements à la sécurité ». Il aurait « entretenu des relations avec un ressortissant étranger en lien avec les services de renseignement de son pays sans aviser son service». Il a, dit le SGDSN, communiqué avec cette personne au moyen « d’une adresse mail non déclarée et l’a sollicité pour ob tenir son appui dans le cadre d’une candidature à un poste » à l’OTAN. Enfin, il a « utilisé un boîtier de téléphone personnel fourni par l’une de ses connaissances pour y insérer sa puce professionnelle et s’est connecté à Internet », ce qui contrevenait aux règles de la DGSI.
« Contact épisodique »
Dans sa réponse, l’avocat d’Eric M. tente de démontrer le caractère infondé de ces accusations. Le ressortissant étranger serait Jonathan Paris, un consultant américain en relations internationales vivant à Londres, rencontré il y a quinze ans dans un colloque, alors que son client était à la DRM. Il ne s’agirait que d’« un contact épisodique », venu dîner chez lui à deux reprises. Jonathan Paris aurait lui même proposé son soutien à sa candidature au poste de chef de l’unité de production de renseignement de l’OTAN, car il connaissait le secrétaire général adjoint de l’organisation. Enfin,
l’utilisation d’un mail non déclaré pour échanger avec M. Paris ne serait qu’« une circonstance fortuite ». Eric M. reconnaît une seule infraction : avoir mis sa puce professionnelle dans un iPhone non sécurisé qui n’était pas à son nom, « comme le font de nombreux cadres de la DGSI », écrit il dans son mémoire.
Pour expliquer sa chute brutale, Eric M. a invité le tribunal administratif à envisager une autre hypothèse. Alors même que la DGSI étudiait le renouvellement de son habilitation, il était sollicité par M. de Bousquet, devenu coordonnateur national du renseignement et de la lutte antiterroriste, pour animer le futur Collège du renseignement en Europe voulu par Emmanuel Macron. Au terme d’une première réunion, le 23 février 2018, à l’Elysée, M. de Bousquet s’inquiète d’une note de
la DGSI à son sujet, comme l’avait indiqué Le Point, début juillet.
Membre du service de protection de la communauté juive (SPCJ), Eric M. assure, avec d’autres parents, la surveillance de l’école de ses enfants. Cette activité ainsi que la pratique du krav maga constituaient, selon la DGSI, une vulnérabilité, notamment auprès des services secrets israéliens du Mossad. Rassuré, M. de Bousquet aurait écarté ces soupçons. Le 29 mars 2018, Eric M. est, cette fois ci, convoqué par l’inspection interne de la DGSI. C’est la fin de sa carrière dans le renseignement. Pour lui, cette manœuvre qu’il juge déloyale n’avait qu’un seul but : lui barrer la route du Collège du renseignement en Europe et affaiblir cette structure supranationale. Le tribunal doit rendre sa décision jeudi 24 octobre.