27/01/2018

La restructuration de la Sûreté de l'etat

Le monde du renseignement s’est restructuré après les attentats du 22 mars 2016. Il a reçu des moyens supplémentaires mais si c’est pour faire le même travail que la police, à quoi bon ? Ou comment ne pas perdre sa spécificité : comprendre pour mieux anticiper.

Le 11-Septembre a servi de wake-up call pour les services de renseignement américains mais il y a encore eu des attentats aux Etats-Unis. Garantir à 100 % qu’il n’y en aura plus en Belgique après ceux du 22 mars 2016 est impossible mais on doit faire de notre mieux », déclare le lieutenant-général Claude Van de Voorde, chef du Service général du renseignement et de la sécurité (SGRS). Pour la première fois de leur histoire, le SGRS et la Sûreté de l’Etat préparent ensemble un plan stratégique national du renseignement. Il sera présenté au Conseil national de sécurité présidé par le Premier ministre, Charles Michel (MR), dans les prochains mois ou semaines. De ce document classifié « secret » découleront les plans directeurs des deux services de renseignement, dans un réseau étendu de partenariats et de coopérations. Ceci afin d’éviter les doublons, en particulier, dans le domaine du terrorisme. Ces plans directeurs seront ensuite appliqués sur le terrain sous la forme détaillée de « plans de collecte ».

Mises en cause après les attentats, les agences belges de renseignement se sont rapprochées l’une de l’autre. Elles ont lancé de grandes réformes : la Sûreté implémente un nouveau modèle d’investigation, l’armée a créé une direction Cyber. Le monde politique a repris la haute main sur le renseignement, soumis pendant plusieurs années à une cure d’austérité. Dorénavant, c’est lui qui fixera les priorités des services, d’où cette grande première attendue d’un « plan stratégique national du renseignement ».

En pratique, la Sûreté de l’Etat réclame le doublement de ses effectifs (actuellement 637 agents) et un triplement de son budget (49,4 millions d’euros en 2016, raboté de quatre millions en 2017). Quant au SGRS, dont le budget était de 49,8 millions d’euros en 2016, il peut compter sur environ 600 agents statutaires, bientôt rejoints par 90 nouveaux inspecteurs et analystes, dont la formation débute cette année. La « Vision stratégique pour la Défense 2030 » du 29 juin 2016 a fixé un objectif de 936 personnes au SGRS, compte non tenu des réservistes, des « sources » et autres « honorables correspondants » (ces derniers travaillent bénévolement). La chasse aux talents est donc ouverte.

Le bureau de sélection de l’administration fédérale (Selor) est-il l’outil le mieux adapté aux spécificités du métier d’« espion » ? « Lors des sélections de recrutement via le Selor, les lauréats qui se classent en ordre utile sont recrutés, réagit le SGRS. Le contenu des épreuves permet d’orienter les profils désirés. Cependant, le processus de recrutement ne garantit pas que les candidats présentant le profil le plus approprié puissent être sélectionnés. Faut-il le revoir ? Idéalement, ce questionnement devrait faire l’objet d’un point à l’agenda entre la Sûreté de l’Etat et le SGRS. » En clair, le Selor n’a pas la cote auprès des dirigeants des services de renseignement. La commission d’enquête parlementaire sur les attentats avait fait une autre suggestion : un statut identique pour les collaborateurs de la Sûreté de l’Etat, le personnel civil du SGRS et celui de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace. Objectif : faciliter la circulation des agents entre les services. Faute d’avoir été jusqu’au bout de l’idée d’un service unique de renseignement ?

« Une industrie de la connaissance »

Ce chambardement n’éveille pas que des inquiétudes auprès des organisations syndicales. « L’urgence de la menace terroriste risque d’entraîner une judiciarisation rapide des dossiers de renseignement, prévient Patrick Leroy, commissaire divisionnaire honoraire d’un service, doctorant en science politique à l’université de Liège. Car l’urgence admissible pour les attentats terroristes l’est beaucoup moins pour l’espionnage ou l’ingérence, notamment dans l’économie. Ces questions doivent-elles se discuter au niveau du parquet fédéral et des ressorts de cour d’appel ? Sans doute pas systématiquement. Si l’espionnage est une infraction, le fait de se renseigner ne l’est pas, et pourtant, le bien-être des générations futures dépend de la préservation de notre potentiel économique et scientifique. »

L’ADN du renseignement n’est pas le « tout sécuritaire » mais l’aide à la décision et la complémentarité avec les actions policières par l’anticipation et la prospective. « Plus le renseignement est efficace, moins il y a de boulot pour la police, relève Patrick Leroy. Plusieurs mois après les attentats, on a vu les services de renseignement belges jeter toutes leurs forces dans la bataille. Mais qu’en est-il des menaces d’après-demain ? Ne faut-il pas craindre la résurgence d’une extrême droite violente ? Etudie- t-on encore cette matière dans les services ? Et si oui, avec quelle intensité ? Sans doute pas autant qu’avant... »

Idéalement, la communauté du renseignement devrait être une communauté de production de connaissance, ledge industry, plaide le chercheur de l’ULiège : « Sa finalité est de comprendre pour mieux anticiper. Le renseignement est une aide à la décision sur le plan militaire et politique, d’où l’importance, par exemple, de la proximité avec les Affaires étrangères. Ses implications économiques concernent tout particulièrement les Régions à la suite de la 6e réforme de l’Etat. » Une seule législature n’est pas la mesure de son action. Le tempo de la police n’est pas non plus le sien. « Dans le renseignement, il n’est pas absurde de battre en retraite pour ne pas faire échouer une opération, poursuit l’ancien commissaire divisionnaire. Chacun son rôle. Celui de la police fédérale, avec ses enquêteurs et ses unités spéciales, est plus réactif, avec une phase proactive précédant de peu la commission de l’infraction ou du crime. Les deux approches sont complémentaires même si l’on peut toujours déplorer un manque d’échange d’informations. »

Patrick Leroy insiste sur les qualités du renseignement : un produit taillé à la mesure du « client », fourni dans le temps imparti au regard de la décision à prendre, avec un contenu prédictif et concis. « Ce n’est pas la même chose de fournir en douze heures des informations pour une opération imminente ou de réfléchir à l’avenir du Moyen-Orient dans les cinq ans à venir », illustre-t-il.

Selon cet expert, le monde du renseignement gagnerait à être démystifié. La CIA américaine a un compte Twitter et s’adresse aux enfants via la Kids Zone de son site. La DGSE française ne parle d’elle qu’à travers la fiction (Le Bureau des légendes), mais brillamment. Et en Belgique ? La publication des rapports annuels du comité permanent de contrôle des services de renseignement (comité R) a quelque peu contribué à faire connaître le métier, de même que le Belgian Intelligence Studies Centre, un think tank de professionnels et d’académiques. Mais ce n’est pas suffisant. « La communauté du renseignement manque cruellement d’une réelle politique de communication, regrette Patrick Leroy. En pratiquant la politique de la chaise vide, on laisse le champ libre aux pseudo-experts. En outre, le renseignement restera toujours une politique publique, ce qui implique de devoir rendre des comptes et de sortir de cette ombre qui lui est pourtant si nécessaire. »









LE MODÈLE D’INVESTIGATION VA CHANGER

L'administrateur général adjoint de la Sûreté de l’Etat dévoile, les grandes lignes d’une réforme visant à mieux exploiter les ressources du service de renseignement civil.

Les blocs de béton protègent l’entrée de l’anonyme VSSE (Veiligheid van de Staat - Sûreté de l’Etat) dans le quartier Nord de Bruxelles. C’est le seul changement extérieur depuis les attentats de Paris et de Bruxelles perpétrés par un détachement arabo-maghrébin de l’Etat islamique. Début 2015, une cellule djihadiste avait été démantelée à Verviers par les forces spéciales de la police fédérale, sous la direction du parquet fédéral, et cela, grâce aux renseignements fournis par la Sûreté. La suite des événements a révélé les difficultés rencontrées par les services de renseignement, belges et étrangers, pour détecter les mouvements des targets. Cependant, les responsables du service de renseignement civil n’ont pas attendu la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars ni le rapport 2016 du comité R pour réagir.

Derrière la façade grise du quartier Nord, une révolution est en marche. Le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), y a fait référence dans sa dernière note de politique générale. Se rénover et le faire savoir : une question de vie ou de mort pour un service dont Louis Tobback, ancien ministre SP.A de l’Intérieur, demandait encore, en octobre dernier, le transfert de la Justice vers l’Intérieur. Récemment, l’administrateur général, Jaak Raes, a reconnu un manque de communication lors du démarrage chahuté de la réforme mais il a confirmé qu’elle serait intégralement appliquée. Entre-temps, un cycle de communication interne a été lancé.

Depuis 2014, Jaak Raes, ancien de la police judiciaire, forme un duo inédit avec l’administrateur général adjoint, Pascal Pétry, criminologue et ancien conseiller « sécurité » du Premier ministre Elio Di Rupo (PS). Chargé de la stratégie et du suivi de la réforme, le Waremmien a fait évoluer sa fonction jusqu’à devenir pratiquement l’alter ego de l’administrateur délégué. Une autre nomination a eu lieu en 2015, à la tête de la nouvelle direction de l’encadrement (personnel, informatique,  infrastructure) : celle du juriste Hugues Brulin, également conseiller « sécurité » mais du vice-Premier ministre Didier Reynders (MR). Les trois précités sont issus de la sphère policière. Avec les deux directeurs de l’analyse et des services extérieurs – la véritable colonne vertébrale de tout service de renseignement – ils composent le comité de direction qui tient collégialement la barre de la Sûreté.

Dans quel état avez-vous trouvé la Sûreté de l’Etat en 2014 ?
Il n’était pas brillant : il y avait alors un sous-effectif, un sous- investissement dans l’informatique et trop de priorités. En 2015, il manquait entre 150 et 180 personnes à la Sûreté : les effectifs étaient tombés à 554, même si le précédent gouvernement avait déjà commencé à lui redonner des moyens humains. Après les attentats, plusieurs dizaines de personnes ont été engagées et formées en interne mais cela ne suffit pas, nous avons un problème de volume. L’emploi actuel est à peine revenu au niveau de 2010. De plus, les investissements dans l’informatique avaient été négligés et, à l’époque, il y avait 56 priorités ! La crise des migrants et le radicalisme violent de 2015 et 2016 ne nous ont pas laissé le choix. Il a fallu opérer le cheval quand il courait, je dirais même, quand il faisait du jumping.

Avec quelles mesures ?

La protection des VIP est passée à la police fédérale. Les sectes et la criminalité organisée ont été mises en veille. On a seulement gardé trois priorités : le contre-terrorisme et l’extrémisme ; la contre- ingérence, le contre-espionnage et la protection du potentiel économique et scientifique ; la cybersécurité. En outre, nous avons multiplié les partenariats locaux et à l’étranger. Aujourd’hui, nous avons des officiers de liaison à la DGSI et à la DGSE (NDLR : les services de renseignement français intérieur et extérieur), à Bruxelles Prévention & Sécurité, l’organisme bruxellois de sécurité, à la DR3, la section antiterroriste de la PJF de Bruxelles... Après les attentats, la coopération internationale a été maximale. On a pu donner et recevoir tout de suite des informations de l’étranger grâce à la plateforme virtuelle de partage du renseignement issue du Club de Berne (NDLR : une organisation informelle d’échange entre les services de renseignement des 28 pays de l’Union européenne, de la Norvège et de la Suisse). Cette activité n’a cessé de croître. L’année dernière, les flux ont culminé à 26 339 informations entrantes et 9 141 informations sortantes. Dans le même temps, les demandes de vérification de sécurité ont fortement augmenté, passant de 69 627 (2014) à 126 399 (2017). Si la Sûreté de l’Etat est sollicitée, les sociétés de gardiennage nécessiteront entre 28 000 et 30 000 enquêtes par an car le secteur connaît un important turnover. Sur des sujets délicats comme la reconnaissance des lieux de culte, les autorités nous demandent aussi de motiver nos avis pour respecter les valeurs démocratiques de la Belgique.

Les dirigeants de la Sûreté réclament un doublement des effectifs et un triplement du budget. Si vous les obtenez, à quoi seront affectés ces nouveaux moyens ?
A l’échelle européenne, notre service est lilliputien. Le triplement du budget de la Sûreté devrait servir à financer, de façon graduelle et pérenne, un système informatique connectant diverses bases de données, sur le modèle de la Banque-Carrefour. Comme nous n’avons pas les capacités pour le faire nous-mêmes, nous avons demandé à l’asbl publique Smals de nous proposer des solutions semblables à celles mises en œuvre pour gérer les données de la sécurité sociale. Cela nous permettra de gagner un temps précieux, notamment pour les enquêtes de sécurité.

A son arrivée, l’administrateur général Jaak Raes avait rétabli l’organisation en miroir des services extérieurs et de l’analyse, qui avait été bouleversée lors d’une précédente réforme. D’autres changements sont-ils planifiés et lesquels ?
A la Sûreté de l’Etat, on était de merveilleux couteaux suisses... Des équipes très bien formées abattaient un boulot de dingue et ont permis d’éviter des attentats comme à Verviers, ou l’année dernière encore, lors d’une enquête de plusieurs mois ayant engagé plusieurs dizaines de collaborateurs. Dorénavant, il faudra mieux utiliser les ressources disponibles, en spécialisant davantage les métiers (filature, expertise des marchés publics, sources humaines, réseaux sociaux...) et en les faisant travailler par objectif sous la direction d’un gestionnaire de cas. La Sûreté va donc revoir son modèle d’investigation. Il sera plus axé sur le processus que sur la thématique. La frontière entre les services extérieurs, qui collectent les informations, et l’analyse, qui les transforme en renseignement, est appelée à s’effacer au profit de petites équipes mobiles composées d’un gestionnaire et de six ou sept spécialistes. Une redd box (NDLR : pour réception, évaluation, développement, décision) d’une vingtaine de personnes servira de guichet unique et de gare de triage au bénéfice de l’analyse et des services extérieurs. Ce modèle est inspiré de l’organisation du renseignement au Royaume-Uni. Il a déjà été adopté par les Français, les Néerlandais et les Danois. Il est largement transposable en Belgique.

Les analystes relèvent de la fonction publique, les services extérieurs jouissent d’un statut calqué
sur celui de l’ancienne police judiciaire, pécuniairement plus favorable. Comment éviter les tensions dans des équipes mixtes, et qui les dirigera ?
Cela se décidera au cas par cas, en fonction des talents et des compétences. Nous comptons faire évoluer les statuts pour les rapprocher. La discussion est toujours en cours.

Comment la Sûreté de l’Etat recrute-t-elle ?
On a beaucoup glosé sur le fait qu’il y avait peu d’arabophones ou de berbérophones...
Il n’y a pas une académie du langage terroriste ! Le problème de la langue, c’est un fantasme. L’important, c’est de comprendre les gens et leur contexte. Lorsqu’un besoin particulier d’une langue se fait sentir, si elle n’est pas pratiquée en interne, nous faisons appel à une source ou à une administration qui dispose de cette compétence. En revanche, nous avons besoin d’informaticiens, de gestionnaires de projets, d’accompagnateurs de changement, de juristes, de personnel administratif et opérationnel...

Le comité R s’inquiète du risque de transformation du renseignement en auxiliaire de la justice, avec une vue à court terme et pas assez d’anticipation. Comment définissez-vous la mission de votre service ? 
Le mot d’ordre est : prévenir, conseiller, déranger. Prévenir une menace à court terme, conseiller les décideurs et déranger ceux qui ont de mauvaises intentions par des interventions disruptives. On peut être efficace sans mobiliser une troupe de policiers. Par exemple, en prévenant les douanes que des explosifs vont arriver, il y aura une saisie et l’histoire s’arrêtera là. On peut aussi discréditer un leader radical qui émerge sur les réseaux sociaux. La lutte ne doit pas être nécessairement judiciaire


Le service du renseignement militaire augmente sa capacité « cyber ». Découverte de deux recrues et le lieutenant-colonel Filip Gillet. 


Arthur est officier, Tom, civil sous contrat à durée indéterminée avec la Défense. Depuis quelques mois, ils sont affectés à la « cellule d’analyse malware » du département Cyber, une direction atypique du Service général du renseignement et de la sécurité (SGRS), dirigée par le lieutenant- colonel Filip Gillet. « On cherche des gens très flexibles, très engagés. Des candidats qui ont le potentiel et les compétences techniques requises pour devenir expert technique dans notre domaine. Ils seront appuyés par un plan de formation motivant et de l’entraînement on-the-job, décrit ce dernier. Et tant pis s’ils se cachent toute la journée derrière leur écran et ne savent pas faire un briefing devant dix ou cent personnes pourvu qu’ils remplissent leur mission... »

Geeks mais communicatifs, Arthur et Tom déroulent leur pedigree. Après l’Ecole royale militaire (division polytechnique, spécialisation dans les télécoms), Arthur, 29 ans, a choisi le domaine des Communications and Information Systems (CIS) de la Défense où il a été formé, entre autres, à la sécurisation des échanges téléphoniques et aux transmissions de données. Pendant cette période, il était déployé en Afghanistan et protégeait les CIS d’un bataillon. En 2015, il est repéré par le SGRS à la faveur d’un exercice Capture The Flag (NDLR : compétition en ligne) organisé par la Défense. « A la cellule d’analyse malware, je dois chercher quels dommages a causé le logiciel malveillant, comment s’en protéger, d’où il vient, à quelle famille connue il appartient », énumère le jeune officier.

Tom, 25 ans, ingénieur civil, option télécommunications, a d’abord travaillé au service informatique d’une banque avant de postuler à l’armée. « Ce qu’on doit protéger ici a plus de valeur à mes yeux, et il y a ce challenge de travailler sur des installations critiques qu’on ne voit pas ailleurs. » Après un entretien téléphonique, puis technique, après avoir obtenu son habilitation de sécurité, suivi une formation interne de quelques semaines, il était au poste. « L’actualité internationale n’a pas joué dans mon choix, complète-t-il. La sécurité informatique m’intéressait déjà. J’y ai vu une opportunité pour m’y développer. De plus, l’armée est un très bon employeur. »

Au bout de quelques années, les deux recrues vaudront de l’or sur le marché du travail. Même si Arthur est lié par une période légale de rendement, les deux analystes ne semblent pas pressés de quitter le Cyber Security Operations Center, son « environnement exceptionnel » et ses « belles formations ». « Un incident peut faire beaucoup de dégâts en quelques heures, il faut réagir vite, on a besoin de tout le monde, et même si on regrette que ça arrive, on est satisfait de notre travail, renchérit Arthur. L’année dernière, il a contribué à contenir une tentative d’extorsion de fonds. Un ordinateur a été envoyé à l’équipe digital forensics. Certains malwares sont si petits qu’ils occupent un volume comparable à une aiguille dans une botte de foin sur le disque dur des stations infectées... »

Le SGRS distingue les incidents d’origine criminelle et les advanced persistent threats (menaces persistantes avancées) comme ces logiciels espions destinés à s’incruster dans un système pour en soutirer les informations. « Après un incident, contextualise le lieutenant-colonel Gillet, il est essentiel de s’assurer à 100 % de la robustesse de notre informatique. Ensuite, il faut essayer d’attribuer le malware à un adversaire. Une cyberattaque ne s’arrête quasi jamais aux frontières. De temps en temps, on n’est pas capable de la tracer jusqu’au bout à l’aide de la technique uniquement. Mais, avec la cyberintelligence, et en utilisant d’autres sources de connaissance comme les tactiques et procédures utilisées, on peut arriver à l’attribuer avec un certain degré de probabilité. » Les militaires ont appris à ne pas tomber dans le piège d’une heure qui donne une (fausse) idée du fuseau horaire dans lequel travaille l’adversaire ou de la langue qu’il emploie pour brouiller les pistes. « C’est un jeu entre lui et nous », sourit Arthur.

Le renseignement militaire est autorisé à procéder à des contre-attaques cyber sous le contrôle du comité R. « En effet, nous avons le mandat pour développer non seulement des capacités défensives, mais également opérationnelles, confirme le patron Cyber. Les fauteurs de trouble appartiennent à cinq catégories : les Etats-nations et les groupes sponsorisés par ceux-ci comme certaines organisations de hackers russes, à l’heure actuelle, notre adversaire numéro un ; les criminels motivés par l’argent, de plus en plus actifs ; les (h)activistes comme Anonymous et Downsec, qui changent la page d’un site Web public ou piratent un site d’entreprise ; et, enfin, les terroristes qu’il est hyperimportant de suivre sur le Web. » Le collectif s’impose dans ce domaine. « Le SGRS partage un maximum de ses recherches avec la Sûreté de l’Etat, la police fédérale et le parquet fédéral. Nous mettons à leur disposition toute la panoplie de nos moyens de collecte. »

La période électorale qui s’ouvre en Belgique va relancer la « guerre de l’information » dont est soupçonnée notamment la Russie. « Les médias sociaux les plus populaires comme Facebook et Twitter sont investis par des bots (NDLR : diminutif de robots) qu’il est très difficile de différencier d’une vraie personne. Il s’agit de logiciels automatiques ou semi-automatiques qui réagissent de manière orientée pour influencer l’opinion publique », explique Arthur.

La montée en puissance cybernétique du SGRS est inscrite dans « La vision stratégique pour la Défense » (2016) du ministre Steven Vandeput (N-VA). La nouvelle direction Cyber a été placée au même niveau que les directions du Renseignement, de la Contre-ingérence et de la Sécurité. « Le SGRS avait déjà une cellule Information Security pour protéger les réseaux informatiques classifiés, rappelle Filip Gillet. En 2013-2014, on a vu que la problématique devenait de plus en plus impor- tante. La décision a été prise aussitôt de développer une capacité cyber et de procéder à des recrutements en interne et d’experts civils. Depuis trois ans, nous visons l’embauche de 10 à 20 personnes par an. » Objectif assigné par l’autorité politique : atteindre les 199 unités en 2030.



UN HISTORIEN À LA SÛRETÉ


Quelques dizaines d’élus pour des milliers de candidats : n’entre pas qui veut à la Sûreté. Historien de formation, Vincent s’y sent utile, autonome et actif.

Les yeux clairs, droit comme un i, Vincent, 37 ans c'est présenté sous un prénom d’emprunt. Il est analyste à la Sûreté de l’Etat depuis 2007. Dans quel domaine ? Motus. C’est l’un des nombreux sujets sur lesquels il ne peut pas s’exprimer. Lâché intentionnellement, le mot « patriotisme » ne le heurte pas. Le besoin de servir, c’est ce qui motivait aussi le gamin de 12 ans qui s’est présenté comme hacker à la Sûreté, après les attentats du 22 mars 2016. Ou ces informaticiens qui renoncent à une carrière lucrative dans le privé mais risquent de le regretter « s’ils perdent leur sentiment d’utilité », relève adroitement Vincent. Des profils plus atypiques (artistes, infirmiers...) ont ainsi endossé l’identité d’ « agents secrets ». Ici, pas de barbouzeries ni de Bureau des légendes, titre d’une série française réalisée en collaboration avec la DGSE, le service de renseignement extérieur hexagonal. La Sûreté belge est un service de renseignement civil et défensif : elle ne mène pas d’opérations clandestines à l’étranger et se place rigoureusement sous l’empire de la loi.

Historien de formation, Vincent a tâté de l’enseignement avant de réorienter sa carrière. En 2004, il était parmi les 3 200 candidats analystes penchés sur leur copie au Parc des expositions du Heysel. Un an auparavant, 6 500 personnes avaient postulé pour 80 emplois (moitié francophones, moitié néerlandophones) d’inspecteur des services extérieurs ou opérationnels. En 2015, 4 000 personnes se sont enregistrées en moins de trois semaines pour 40 postes d’analystes. Deux tiers seulement ont pris leurs fonctions. Les renforts arrivent donc au compte-gouttes.

En 2018, une nouvelle opération de recrutement doit permettre à la Sûreté de renforcer ses services extérieurs mais comme le métier d’ « espion » ne s’apprend pas dans les écoles, les inspecteurs seront formés en interne – quatre mois de cours, le reste en stage –, ce qui ne les rendra pas fonctionnels avant deux ans. Les analystes travaillent directement après leur engagement, tout en continuant à suivre des cours à l’Institut de formation de l’administration fédérale et à la Belgian Intelligence Academy, celle-ci étant également fréquentée par leurs homologues du renseignement militaire  (SGRS). Une majorité du personnel de la Sûreté est titulaire d’un master.

Les deux piliers du renseignement – services extérieurs/ opérationnels et analyse – n’ont pas le même statut. Celui des services extérieurs, calqué sur celui de l’ancienne police judiciaire, est plus favorable sur le plan pécuniaire que le statut Camus dont relèvent les analystes, fonctionnaires au SPF Justice. Depuis 2016, les analystes et les inspecteurs du contre- terrorisme ont été regroupés au même étage. « On a mis en place un modèle d’analyse opérationnelle qui stimule le dialogue, détaille Vincent. Avant, l’analyste qui rédigeait des apostilles pouvait, à la limite, ne pas connaître l’inspecteur qui allait faire l’enquête ni ce que celle-ci allait coûter... » Aujourd’hui, les équipes ainsi formées réunissent les meilleurs experts d’un domaine donné. C’est le modèle que l’actuelle direction entend étendre à tous les domaines d’investigation

Montrer patte blanche

A l’embauche, le tri est sévère. Après leur sélection, les impétrants doivent encore décrocher leur habilitation de sécurité. Au début, un test psychologique suivi d’un entretien approfondi a déjà permis d’éliminer les têtes brûlées. Ensuite, un inspecteur spécialisé enquête longuement sur le passé, la fa- mille et l’entourage du candidat. Il vérifie que celui-ci n’a pas de dettes ou de faiblesses qui pourraient le mettre à la merci d’un chantage. Jusqu’à présent, la pratique d’une activité politique n’est pas interdite aux analystes mais bien aux membres des services extérieurs. Une activité religieuse ou philosophique (franc-maçonnerie) n’est pas non plus une cause de refus à condition de respecter la « loyauté, la fiabilité et la discrétion » qui sont les balises posées par la loi sur la classification et les habilitations de sécurité.

Malgré les spécificités du métier et le besoin de profils rares, le personnel des services de renseignement est recruté par le Selor. L’intervention du bureau de sélection de l’administration fédérale à tous les stades du recrutement et des promotions est parfois ressentie comme un frein par les services de renseignement mais, disent les syndicats, elle garantit un « regard extérieur ». En septembre 2017, le service comprenait 50,16 % de néerlandophones et 49,84 % de francophones ; une majorité du personnel se situe entre 30 et 50 ans ; l’équilibre entre les hommes (69 %) et les femmes (31 %) est encore déficitaire mais certaines femmes sont cheffes de pilier, de section, de service, d’équipe. Ou directrice. C’est une francophone, Christiane Delvoye, qui dirige les services extérieurs.

« Encore un historien... »

A l’époque de son engagement, ses nouveaux collègues avaient chambré Vincent : « Encore un historien... » Critique des sources, compétences analytiques, connaissances historiques : en soi, une description sommaire des qualités requises pour le travail d’analyste. Mais d’autres profils sont également recherchés : sciences politiques, criminologie, sciences exactes, économie, management... Des enseignants, assistants sociaux ou linguistes ont aussi trouvé leur place dans le dispositif. « Les connaissances linguistiques ne sont pas exigées, indique Vincent, mais il est pratiquement impossible de travailler sans la seconde langue nationale et l’anglais. Une quatrième est la bienvenue. L’espagnol a déterminé ma première affectation. » Tout en approfondissant sa matière, il se faisait la main sur des dossiers basiques : les demandes de naturalisation transmises par le parquet. Le demandeur est-il connu ou inconnu des services ? S’il est connu, pour quels faits et avec quel impact pour la sécurité du pays ? « Les réponses n’étaient pas stéréotypées », précise Vincent.

Un analyste ne recrute pas et ne traite pas de sources humaines ; il ne pratique pas de filature, ne pose pas des micros dans un appartement ou une balise sous une voiture ; il n’endosse pas d’identité fictive (autorisée depuis mars 2017), n’écoute pas les conversations téléphoniques d’un target, ne s’introduit dans un ordinateur privé et ne déballe pas un colis postal à l’insu de son destinataire. Ces « méthodes spéciales de recueil de données » (MRD ou BIM, l’acronyme néerlandais) sont contrôlées a priori (et même en cours d’opération) par la commission administrative BIM (trois magistrats logés dans les locaux de la Sûreté) et a posteriori par le Comité R (comité permanent de contrôle des services de renseignement). Le job de l’analyste est de transformer les informations récoltées en « un produit de renseignement » grâce à des recoupements avec d’autres sources, son enrichissement par la documentation générale et les échanges avec les services administratifs belges ou étrangers. La note de renseignement qui parvient aux décideurs par le truchement d’une personne disposant elle-même d’une habilitation de sécurité est plus qu’une synthèse : elle doit aider les autorités à prendre une décision. Dès 2011, la Sûreté de l’Etat avait ainsi alerté du danger que représentait Sharia4Belgium. A-t-elle été prise au sérieux ?

Ne pas céder à la paranoïa

Les services de renseignement cherchent aussi à se rapprocher du monde académique. La connaissance amassée dans un service de renseignement est partagée par un petit nombre de décideurs mais peu valorisée sur le plan scientifique. Une source de frustration pour les analystes ? « La reconnaissance académique n’a aucune importance pour moi, réagit Vincent. Socialement, c’est plus compliqué. On pourrait avoir envie de crâner, de montrer qu’on en sait plus que les autres. En gé- néral, je dis que je suis fonctionnaire au SPF Justice : ça coupe court aux fantasmes. Avec des amis, je décris mon job dans les grandes lignes, pour faire comprendre que je travaille dans l’intérêt général et que nous sommes contrôlés. » Une manière de dédiaboliser un métier qui, au surplus, offre de vraies sa- tisfactions, comme des rencontres intéressantes dans toutes les sphères de la société (Affaires étrangères, Office des étran- gers, Finances, organismes régionaux...). Et à l’étranger.

La menace terroriste a multiplié les dossiers conjoints. Des communautés d’intérêt se sont formées. « Tous les contacts avec les services partenaires ne se font pas en vidéoconférence ou par téléphone sécurisé, précise l’analyste. Nous avons l’habitude de voyager même si de nombreux services étrangers sont présents à Bruxelles. La confiance joue un grand rôle. Quand plusieurs services collaborent sur un dossier commun ou traitent ensemble une source humaine, des vies peuvent en dépendre. Il faut rester attentif aux agendas des uns et des autres, sans céder à la paranoïa. On est parfois soulagé d’en référer à sa hiérarchie car il y a des décisions qu’on ne prend pas à chaud. » Des responsabilités, donc. Et de l’autonomie. Voilà pourquoi, quand il rentre chez lui, Vincent, fonctionnaire à la Sûreté, n’a pas le sentiment d’avoir perdu son temps.

24/01/2018

Le Limbourg, la plaque tournante de la Colombie


La mafia italienne approvisionne l’Europe en cocaïne via les ports d’Anvers et de Rotterdam. Et pour mieux contrôler son business, elle a installé son quartier général dans le Limbourg.

Il aura fallu du temps pour s’en rendre compte : nulle part ailleurs en Flandre, on ne découvre autant de cultures de cannabis ou de laboratoires clandestins qu’au Limbourg. Cette province est devenue la plaque tournante du trafic européen de drogue depuis des années et nous n’avons rien vu venir, déplore, sur les écrans de TV Limburg, Guido Vermeiren, procureur général.

Au fil du temps, des dizaines de familles italiennes se sont installées le long d’un axe qui court d’Anvers à Liège et au départ de celui-ci, contrôlent la distribution de drogue en Europe. Pire, elles ont infiltré le tissu économique, poursuit le procureur qui réclame une approche multidisciplinaire du problème. Des contacts étroits ont ainsi déjà été noués entre le parquet du Limbourg et les autorités italiennes. Les liens familiaux sont en effet puissants et lors de chaque règlement de comptes, des connexions avec la mafia, mais aussi avec la Camorra napolitaine ou la Ndrangheta, ont pu être établies. Comme par exemple, l’exécution, en plein zoning industriel, de Silvio Aquino peu avant la reprise de son procès au cours duquel il devait répondre de l’importation de 2,4 tonnes d’héroïne.

Les mafieux néerlandais sont également actifs dans la province: à Neerpelt, un chef d’entreprise a été retrouvé mort fin novembre dans sa villa. Cette mort suspecte est la cinquième qui touche un ressortissant néerlandais dans ce même quartier huppé. Face à ces connexions internationales, le procureur réclame avec insistance des moyens supplémentaires afin de pouvoir frapper fort et éviter que sa province ne devienne comme la Colombie.

23/01/2018

Quand les banquiers et les criminels se côtoient dans les cofee-shops en Hollande


Finance


Alors que le Parlement néerlandais doit se prononcer sur la proposition de loi pour légaliser le cannabis, Investico a enquêté sur les intérêts fnanciers des cofee-shops. Un monde où s’entremêlent activités licites et clandestines.

ll ne voit aucun inconvénient à ce qu’on mentionne son prénom : “It’s totally fne” [“Pas de problème”], dit Francis, à la terrasse du cofee- shop New Times dans la Spuistraat, à Amsterdam. Elle ne fait rien d’illégal, après tout ! Cette Australienne a de grandes lunettes de soleil, des nattes et une
longue tunique rose en batik années 1960. Elle se trouve à Amsterdam pour la troisième fois, et dans un cofee-shop pour la énième fois.

À l’autre bout de la table, Tim, originaire de Malte, a les yeux dans le vague. D’un tapotement du doigt, il fait tomber par terre la cendre de son joint. Il fume du Girl Scout Cookies, un cannabis de Californie connu pour sa saveur sucrée. Le silence et la méfance s’installent. “My name ? Preferably not” [“Mon nom ? Je ne préfère pas”], répond une troisième cliente avant de se lever et de sommer les autres de la suivre.

La fréquentation d’un cofee- shop a beau être socialement acceptable, il reste diffcile d’en parler avec des inconnus. C’est illégal mais toléré, normal mais légèrement tabou. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que les coffee-shops eux-mêmes se caractérisent par des contradictions. Par exemple, Francis ignore que les intérêts du New Times convergent non seulement avec ceux des secteurs de la prostitution et du jeu, mais aussi avec ceux du secteur bancaire. Le propriétaire de cet immeuble d’Amsterdam est l’ancien exploitant de machines à sous Johan Erkelens, propriétaire de quatre coffee-shops. Pour acheter l’immeuble du New Times, il a emprunté de l’argent à Hugo Persant Snoep, ancien propriétaire de maisons closes. NIBC, une banque d’investissement tout à fait convenable, a financé le reste.

Dans cet univers, activités ofcielles et clandestines sont étroitement imbriquées. Les autorités considèrent ce secteur, de même que ceux de la prostitution et des machines à sous, comme étant criminogènes. Mais cela n’a pas empêché des institutions financière néerlandaises respectables et des entrepreneurs de premier plan d’y acquérir des intérêts majeurs. Dans le monde du cannabis, la Rabobank et une figure connue de la mafa napolitaine se retrouvent littéralement côte à côte.

Les quatre plus grandes banques des Pays-Bas détiennent au total 171 cofee-shops en nantissement pour des prêts hypothécaires qu’elles ont accordés : des prêts forcément remboursés par des revenus issus de la vente de stupéfants. Voilà un des aspects les plus frappants de l’enquête réalisée ces derniers mois pour l’hebdomadaire De Groene Amsterdammer par la plateforme de journalisme d’investigation Investico et par le quotidien fnancier Het Financieele Dagblad. Dans la perspective d’une éventuelle légalisation du secteur des drogues douces aux Pays-Bas, déjà votée [le 21 février] par la seconde chambre du Parlement, nous avons effectué une étude systématique de l’ensemble du secteur. Nous avons examiné à la loupe les 570 cofee-shops du pays en compilant les données disponibles sur les exploitants, les propriétaires immobiliers et les créanciers hypothécaires. Ces données publiques peuvent être obtenues contre paiement auprès de la chambre de commerce et du cadastre. Notre objectif était de déterminer les véritables détenteurs d’intérêts dans ce secteur, dont le chiffre d’affaires représente, selon certaines estimations, pas moins de 1 milliard d’euros par an.

Jusqu’à présent, ni l’administration ni la police judiciaire n’avaient une vue d’ensemble des différents intervenants dans ce domaine. Pourtant, la première chambre du Parlement va bientôt se prononcer sur une proposition de loi qui pourrait amorcer la légalisation de toute cette branche d’activité, notamment de l’ensemble des points de vente.

Casier judiciaire. 

Il ressort de notre étude que les puissances financières ont pris une longueur d’avance sur la politique. De fait, elles ont déjà légalisé le secteur en y prenant des intérêts. Cependant, l’association d’activités officielles et d’activités clandestines ne se fait pas sans risque. Mais seuls les exploitants de coffee-shops font systématiquement l’objet d’un contrôle de casier judiciaire et d’une vérifcation des risques qu’ils pourraient représenter. Les propriétaires des immeubles où se déroule ce commerce, de même que les créanciers pour l’achat de ces immeubles, ne sont pratiquement pas concernés par ces contrôles. En cas de légalisation, les gagnants pourraient donc être tout aussi bien des criminels que la Rabobank.

Au début de l’année, le Dampkring, un cofee-shop d’Amsterdam, a changé de mains. L’ancien propriétaire ainsi que l’actuel figurent dans la liste Quote 500 des 500 personnes les plus riches des Pays- Bas. La société immobilière Libra International a racheté le local et les appartements situés au-dessus pour 4 millions d’euros à Michael van de Kuit, qui possède par ailleurs un terrain de golf, des bois et une plage dans la région cossue du Gooi [dans le centre des Pays-Bas], un club à Ibiza et des établissements dans l’hôtellerie et la restauration à Amsterdam. Libra, dont le patrimoine est estimé à 400 millions d’euros, est la société d’investissement de Jan Verhagen et de son fils Marc, qui se classent au quarante-cinquième rang dans la liste des Néerlandais les plus fortunés. Les cofee-shops Happy Days de la capitale et un des trois Kadinsky sont également au nom de Libra et de l’une de ses filiales.

Joachim Helms préside l’Association des détaillants de cannabis. Cet homme aux larges épaules et au regard vif est depuis vingt ans le gérant du Green House d’Arjan Roskam, connu dans ce petit monde comme le “king of cannabis”, surnom que lui a donné le rappeur Busta Rhymes. Joachim Helms comprend très bien pour- quoi les immeubles qui abritent les cofee-shops sont très recherchés. D’après lui, les exploitants de coffee-shops sont de bons locataires : “Ils font souvent de très bons chifres d’affaires. Il leur manque juste une chose : des locaux. Ils sont donc prêts à payer des loyers plus élevés que d’autres types de locataires.”

Les détenteurs des plus gros intérêts dans le secteur néerlandais des cofee-shops sont les banques. Nous avons fait le décompte des cofee-shops servant à garantir les prêts accordés par les quatre banques les plus importantes des Pays-Bas : Rabobank (82), ING (44), ABN Amro (31) et Volksbank (auparavant SNS Reaal, 14). Les prêts de ces banques aux propriétaires de ces immeubles représentent un encours de 1,1 milliard d’euros. Le principal intervenant sur le marché est sans conteste Rabobank, également propriétaire des cofee-shops The Bull à Vlaardingen et Regine à Haarlem. Wibout de Klijne, son responsable de la conformité [à la réglementation et à la déontologie], explique que la banque se montre désormais plus réticente à accorder des prêts hypothécaires aux cofee-shops, une réaction semblable à celles communiquées par ABN Amro, Volksbank et NIBC. Depuis un an et demi, la banque dispose d’une équipe centralisée de 450 personnes qui examine les dossiers de clients présentant des “risques d’intégrité complexes”, notamment les cofee-shops. “La politique du cannabis a engendré une zone grise, explique Wibout de Klijne. Ne serait-ce que pour la transparence des transactions, il serait judicieux de légaliser également les opérations d’approvisionnement des coffee-shops. Si toute cette zone d’ombre disparaissait, la banque aurait moins de personnes à mobiliser.”

D’autres institutions financières de premier plan s’intéressent au secteur du cannabis. Les coffee-shops servent de garantie pour des prêts hypothécaires consentis par le régime de retraite ABP (1), l’assureur Achmea (2), NIBC (3), Van Lanschot (4), la Deutsche Bank (2), la banque française Crédit Agricole (1) et la suédoise Handelsbanken (2). Les services des impôts (2), l’État néerlandais (1) et les brasseurs Heineken (3), Grolsch (1) et Oranjeboom (1) ont également des cofee-shops en nantissement. Si ces crédits s’appuient sur des boutiques de cannabis, on s’explique mal les réticences des banques à ouvrir des comptes à leurs exploitants. Il y a quelques années, des gérants de cofee-shops à Maastricht, à Groningue et à Zwolle ont intenté des actions en justice contre des banques qui ne souhaitaient plus les conserver comme clients.

Joachim Helms et les autres adhérents de l’Association des détaillants de cannabis sont confrontés à un problème qui pourrait rendre jaloux d’autres entrepreneurs : certains cofee-shops se portent beaucoup trop bien. Ils regorgent de monde, ce qui crée de longues files d’attente et exige des aménagements intérieurs pour permettre une vente plus efficace par guichets. “Nous n’arrivons plus à gérer la demande. Ce qui laisse le champ libre à nos principaux concurrents : les dealers clandestins dans la rue”, explique-t-il.

Idéalistes. 

Ces dernières années, bon nombre de cofee-shops ont été contraints de fermer. Ils se situaient trop près d’un établissement scolaire, ou ne respectaient pas les règles, ou encore ont dû céder la place à des entreprises “convenables”. En 1995, Intraval, organisme d’études sur le secteur, estimait qu’il y avait 1 460 coffee-shops aux Pays-Bas, soit près de trois fois plus qu’aujourd’hui. Or, “la consommation de drogues douces est assez constante”, selon Bert Bieleman, directeur d’Intraval. “Comme le nombre de coffee-shops diminue, ceux qui restent s’agrandissent. Ils ont donc besoin d’un stock plus important pour répondre à la demande. On les pousse ainsi à ne plus être conformes à la politique de tolérance conçue au début des années 1990, dont le but était d’avoir de petits cofee-shops s’approvisionnant auprès de petits cultivateurs idéalistes. Ce n’est pas faisable pour un établissement qui a une importante clientèle et qui propose un grand choix.”

Nombre d’exploitants sont confrontés à une deuxième diffculté : ils gagnent plus d’argent qu’ils ne peuvent en dépenser. Selon Joachim Helms, l’explication est essentiellement juridique. “En fait, un exploitant de cofee-shops peut uniquement investir dans d’autres cofee-shops. Ces dernières années, plusieurs actions en justice ont été intentées contre des exploitants qui investissaient dans l’hôtellerie et la restauration, ou même dans une piste de ski. On les soupçonnait de blanchiment d’argent. Et souvent il leur est tout aussi difficile d’investir à l’étranger, où le regard sur les coffee-shops n’est pas le même qu’aux Pays-Bas.”

Bart Vollenberg, copropriétaire de deux cofee-shops Kofe & Dromen à Almere et à Lelystad, décrit son activité quotidienne comme du “noircissement d’argent”. “L’argent que nous versent nos clients est blanc, mais nous le noircissons dès que nous nous approvisionnons auprès de nos fournisseurs.” Bien que sa boutique soit tolérée, Bart Vollenberg dépend pour son approvisionnement de personnes qui, de fait, sont obligées de transgresser la loi. “C’est complètement tordu”, estime-t-il.

Chaque année, la police découvre près de 6 000 plantations, soit en moyenne 16 par jour, souvent dissimulées dans des entrepôts ou des immeubles de bureau. John et Ines, qui vivent à Bierum, au nord de Groningue, ont récemment été condamnés à deux mois de prison pour avoir cultivé du cannabis. Le couple s’efforçait pourtant de faire les choses dans les règles : il payait sa facture d’électricité et ses impôts, n’utilisait pas de pesticides et ne fournissait que deux cofee-shops tolérés. Mais même ceux qui s’en tiennent aux règles n’ont pas le juge de leur côté. Selon les détracteurs de cette approche sévère, celle-ci a surtout pour résultat de décourager les petits cultivateurs et de favoriser l’emprise du crime organisé sur la culture du cannabis. Les cofee-shops exerçant leurs activités avec l’accord de la municipalité et du fisc ont donc beau faire, ils ont toujours un pied dans la criminalité.

Pour dresser un tableau des “coulisses” des cofee-shops, nous avons fait l’inventaire, sur la base de sources publiques, des antécédents pénaux des exploitants, ainsi que des propriétaires et des créanciers hypothécaires de coffee-shops en activité. Un peu moins de la moitié (256) sont concernés par des affaires qui ont fait l’objet de poursuites pénales – pour dépassements de stocks, blanchiment d’argent, délits économiques, détention d’arme ou pire.

Mafia napolitaine. 

Mais si les exploitants font régulièrement l’objet de contrôles, ce n’est pas le cas des propriétaires d’immeubles ou de leurs financiers. À Amsterdam, il s’est avéré que les personnes avec un passé douteux restent tranquillement propriétaires d’immeubles abritant des cofee-shops. C’est le cas de Bertus Cirkel, l’entrepreneur aventureux du quartier rouge, patron de l’établissement De Keeper. Son avocat a refusé de répondre à nos questions. L’Italien Raffaele Imperiale, qui entretenait des relations avec la mafia napolitaine et avait accroché aux murs chez lui des tableaux volés de Van Gogh, possède le Rockland. À Haarlem, les immeubles abritant le Maximillian, The Snoop et Take Away appartiennent aux frères de Kris J., un indicateur de la police condamné pour avoir importé et revendu 10 000 kilos de hasch et de cocaïne dans les années 1990.

Nous voilà partis pour la neuvième édition du Cannabis Bevrijdingsdag [le 11 juin], la journée de libération du cannabis, dans le Flevopark à Amsterdam. Le plus grand événement organisé autour du cannabis aux Pays-Bas est un festival gratuit qui fête la “culture internationale du cannabis” avec des conférences, de la musique et surtout beaucoup de joints, de pipes à eau et de vaporisateurs. Le public est hétéroclite, même si tous les participants plissent les yeux à mesure que l’après-midi avance. Assis sur leurs petits tapis dans l’herbe, ils regardent les sommités nationales et internationales se succéder sur deux podiums. “Les politiciens ne veulent pas comprendre que nous ne sommes pas des hippies. Nous avons vraiment dépassé ce stade”, dit Alan Dronkers, fils de Ben Dronkers, le propriétaire de l’empire Sensi Seed, sur le podium de la Cannabis University. D’après lui, l’illégalité de la culture de cannabis nuit à sa qualité. “Il faut la libéraliser, de même qu’on peut cultiver du tabac et brasser de la bière.” 

Applaudissements.

Les personnes présentes sont conscientes que jamais la perspective d’une légalisation n’a été aussi proche. La proposition de loi en faveur d’un “circuit fermé” présentée par la députée Vera Bergkamp,
du parti D66, concerne surtout la culture. “La criminalité vient du fait que le cannabis est toléré, mais pas sa culture, dit-elle. C’est comme si on pouvait vendre du lait mais qu’on n’avait pas le droit de mettre de vaches dans les champs.”

Elle suggère dans sa proposition que, dans le cadre de la politique de tolérance, le ministre de la Santé donne son feu vert à des plantations contrôlées. Les cultivateurs pourraient vendre leur récolte uniquement aux coffee-shops tolérés et ceux-ci pourraient s’approvisionner uniquement auprès d’eux. “Le but de la proposition de loi est de protéger la santé publique, argumente Vera Bergkamp. Le cannabis est le seul produit aux Pays-Bas dont la vente est autorisée, mais dont la qualité échappe à tout contrôle.”

Impasse. 

La politique actuelle est surtout le résultat d’un compromis avec les opposants à la légalisation. L’introduction de cette approche dans les années 1970 n’avait pourtant pas vraiment permis de sortir de l’impasse politique. Et le problème persiste aujourd’hui : la proposition de loi de Vera Bergkamp a certes été adoptée par la seconde chambre du Parlement, mais ses détracteurs sont pour l’instant majoritaires à la première chambre.

La politique de tolérance évite d’avoir à prendre des décisions difficiles : on n’interdit pas, mais on n’autorise pas non plus. L’an dernier, lors du procès d’un exploitant de coffee-shop qui détenait un trop grand stock, le juge amstellodamois Frank Wieland a mis le doigt sur le point sensible. Il déclarait dans son jugement : “En tolérant la vente tout en interdisant ce qui se passe en coulisse, on crée une situation qui non seulement est ambivalente mais aussi favorise l’apparition de circuits criminels et entraîne des problèmes. Les autorités constatent en effet que ces circuits commerciaux sont entre les mains du crime organisé. Mais elles ne reconnaissent pas qu’elles ont elles-mêmes créé cette situation et qu’elles contribuent à la maintenir.”

—Vasco van der Boon et Guido van Eijck 
InvestIco

Amsterdam, Pays-Bas platform-investico.nl
Fondé en 2014, Investico est une plateforme de journalisme d’investigation qui se concentre sur “les fux fnanciers et les structures de pouvoir aux Pays-Bas”. parmi ses partenaires, elle compte le quotidien Trouw, le journal fnancier Het Financieele Dagblad et l’hebdomadaire

De Groene Amsterdammer, qui publient ses enquêtes. Investico jouit du soutien fnancier de plusieurs fondations, notamment la stichting democratie en Media (Fondation démocratie et médias) et du Fonds bijzondere Journalistieke projecten (Fonds pour des projets journalistiques exceptionnels).

18/01/2018

Les ramifications opaques du pétrolier chinois CEFC

Enquete


Ce sont deux intermédiaires qui se débattent dans les filets de la justice américaine, un Chinois et un Sénégalais. Les révélations sur leurs agissements, entre 2014 et 2016, pourraient éclairer l’ascension fulgurante d’un jeune champion chinois du pétrole, le groupe CEFC, dont les ambitions planétaires contrastent avec la discrétion de son patron, le mystérieux Ye Jianming, 40 ans.

Le premier intermédiaire, Patrick Ho, 68ans, a comparu, lundi 8 janvier, devant une cour de New York. Accusé de corruption, il a plaidé non coupable. Ancien secrétaire à l’intérieur de Hongkong (2002-2007), c’est lui qui aurait recruté le Sénégalais Cheikh Tidiane Gadio, ex-ministre des affaires étrangères de son pays, pour 400 000 dollars (340 000 euros). Ce dernier aurait joué de ses relations avec le président du Tchad, Idriss Déby, pour accéder aux ressources pétrolières de son pays : CEFC se serait, en retour, engagé à verser au chef d’Etat tchadien un pot-de-vin de 2 millions de dollars, présenté comme un « don à une cause charitable », selon l’accusation américaine.

Le procès ne devrait pas s’ouvrir avant 2019. D’ici là, la justice américaine veut analyser des centaines de milliers de documents, des relevés de comptes bancaires et des écoutes téléphoniques des accusés. L’enquête pourrait en dire davantage sur CEFC, ses relations au sein des Nations unies et ses méthodes pour se hisser rapidement parmi les acteurs majeurs du marché pétrolier.

En moins de trois ans, le groupe a investi dans une zone portuaire de Géorgie, pris le contrôle d’une branche de la compagnie gazière et pétrolière nationale du Kazakhstan et obtenu la plus importante concession sur le premier champ pétrolier d’Abou Dhabi. Il est particulièrement bien introduit en République tchèque, où il a racheté le Slavia Prague, club de football de renom, et le brasseur Lobkowicz, pris une participation dans la compagnie Czech Airlines et une autre dans une banque également importante en Slovaquie, J & T. A ce jour, la plus grosse opération du groupe dirigé par M. Ye est la prise, en septembre 2017, de 14 % des parts du géant pétrolier russe Rosneft, jusqu’alors détenues par le suisse Glencore et le fonds souverain du Qatar, contre 7,7 milliards d’euros.

« Donation » de 500 000 dollars

Dans l’affaire africaine qui intéresse les enquêteurs américains, l’intermédiaire de Hongkong, Patrick Ho, a aussi pris contact avec le ministre ougandais des affaires étrangères, Sam Kutesa, à l’époque où celui-ci venait d’accéder à la présidence de l’Assemblée générale des Nations unies, fin 2014. M. Ho aurait promis à M. Kutesa d’obtenir un profit personnel si un projet de coentreprise pétrolière devait aboutir. En échange, l’homme politique ougandais lui permettait de se rapprocher du président, Yoweri Museveni, selon le procureur de Manhattan. Patrick Ho a transféré 500 000 dollars sur un compte désigné par M. Kutesa, un versement présenté tour à tour comme « une donation » pour la campagne du président ougandais, pourtant déjà réélu, puis comme un « soutien » au chef de la diplomatie ougandaise.

Pendant que, selon l’accusation américaine, Patrick Ho rétribuait Sam Kutesa, alors à la tête de l’Assemblée de l’ONU, le site de la radio d’Etat chinoise reprenait ce communiqué de CEFC : « L’Assemblée générale des Nations unies nomme Ye Jianming conseiller honoraire spécial. » Ce genre de titres ne correspond à aucune fonction opérationnelle. A Hongkong, M. Ye est aussi le « consultant politique spécial » du Nouveau Parti du peuple, une formation pro-Pékin. En République tchèque, en- fin, il est « conseiller économique » du président Milos Zeman, candidat à sa réélection.

De son côté, CEFC a renvoyé l’ascenseur, notamment en Europe. L’ex-ministre tchèque de la défense, Jaroslav Tvrdik, a été nommé vice-président du conseil d’administration de CEFC Eu- rope... et conseiller du président Zeman sur la Chine. En 2013, Vuk Jeremic, après avoir été ministre des affaires étrangères de la Serbie puis dirigé, lui aussi, l’Assemblée générale de l’ONU de sep- tembre 2012 à septembre 2013, devient « consultant » pour l’entreprise chinoise.

Au sein de CEFC, on craint désormais que le nom du patron soit associé au procès à venir à New York. « C’est une très bonne personne, il est brillant. On ne devrait pas écrire sur lui sous un angle négatif, on ne devrait pas être suspicieux de ses connexions ou de quoi que ce soit. Il garde profil bas, on devrait s’en inspirer », confie un cadre du groupe.

Partout, M. Ye affiche son soutien aux « nouvelles routes de la soie », le grand projet planétaire du président Xi Jinping. Ye ne cherche pas à dissimuler le caractère tout à fait politique de ses investissements. « Si un jour la République chèque s’opposait à la Chine, nous devrions retirer nos investissements et repenser notre stratégie sur place », déclarait-il en 2017.

Par ailleurs, M. Ye entretient des liens dont il n’a jamais précisé la nature avec des entités de l’armée chinoise. En 2012, une filiale de CEFC cotée à Singapour précisait dans un rapport de transaction financière qu’entre 2003 et 2005, Ye Jianming a été secrétaire général adjoint de l’Association des contacts amicaux de la Chine à l’international. Une plate-forme du bureau de liaison du département politique de l’Armée populaire de libération, chargée d’établir des contacts hors des frontières. Mais en septembre 2016, Ye Jianming démentait avoir jamais occupé ce poste, tout en ajoutant qu’on le lui avait proposé – sans expliquer pourquoi l’on offrirait à un aussi jeune homme d’affaires de piloter une organisation de l’armée.

Il n’a pas détaillé non plus comment il s’était associé en affaires avec un puissant clan « rouge », en l’occurrence la famille du défunt maréchal Ye Jianying, figure historique de l’Armée populaire de libération et qui fut formellement la tête de l’Etat chinois de 1978 à 1983. Selon d’autres documents financiers, le président de CEFC a investi avec sa petite-fille dans une société de distribution de films et séries de Hongkong. Il porte le même nom de famille mais a démenti être le petit-fils du respecté maréchal.

Dans ce monde très politique, les accusations de la justice américaine jettent une lumière malvenue sur CEFC. Dans le journal Global Times, après l’annonce, le 20 novembre 2017, de l’arrestation de M. Ho, l’entreprise a d’abord soutenu qu’il y avait de « profondes motivations de politique inter- nationale » derrière l’enquête.

Mais le contenu des courriels accablant l’intermédiaire Patrick Ho est assez détaillé pour que le conglomérat change de posture. « Il a enfreint la loi américaine, je pense que c’est vrai parce qu’on peut voir les virements bancaires. Les faits sont avérés. Ce n’est pas bon, cela a des implications très néfastes pour l’image de CEFC et toutes ses branches », déclare ainsi notre interlocuteur au sein de CEFC.

La stratégie de l’entreprise consiste désormais à couper le lien qui liait le groupe à M. Ho. « CEFC ne l’a jamais autorisé à agir de la sorte, explique la source dans l’entreprise. C’est son ambition personnelle. Je le connais très bien, c’était un homme politique ambitieux, il a fait beaucoup de choses dépassant de loin notre imagination. Nous sommes très en colère. Je le méprise », ajoute ce responsable.


10/01/2018

Travailleurs étrangers

Que faire pour détacher des travailleurs en Belgique ?


Vous êtes un employeur et vous souhaitez détacher des travailleurs en Belgique de manière temporaire ? Voici les formalités à remplir.

Si vous êtes un employeur étranger, vous devez tout d’abord introduire une déclaration de détachement Limosa auprès de l’ONSS.

Depuis le 1er octobre de cette année, vous devez également désigner une personne de liaison sur le territoire belge.

Vous êtes une entreprise belge qui accueille des travailleurs détachés ? Dans ce cas, vous devez vérifier si l’employeur a effectué cette fameuse déclaration Limosa (équivalente de la Dimona pour les détachements). Vous pouvez aussi intervenir comme mandataire et effectuer la déclaration vous-même. Désormais, vous devez également proposer une personne de liaison à l’employeur étranger via la déclaration de détachement.

Le rôle de la personne de liaison

La personne de liaison joue un rôle important. Elle est une personne physique mandatée par l’employeur d’envoi pour fournir aux inspecteurs sociaux belges les informations nécessaires concernant les activités et conditions de travail des travailleurs détachés dans notre pays. La personne de liaison doit donc, à la demande de l’inspection, soumettre les documents et renseignements nécessaires (par exemple, les feuilles de paie, le contrat de travail, un aperçu des temps de travail, éventuellement en anglais).

La désignation de la personne de liaison s’effectue via la déclaration Limosa, que vous pouvez compléter en ligne via www.limosa.be.

Quelles données devez-vous communiquer ?

1. Les données d’identification du travailleur (max. 10 travailleurs par déclaration);

2. Les données d’identification de l’employeur;

3. Les données d’identification de l’utilisateur belge (max. 10 entreprises belges par déclaration);

4. Les dates de début et de fin prévues (max. 24 mois par déclaration);

5. La nature des services;

6. En cas de travail intérimaire : le numéro d’agrément du bureau de travail intérimaire étranger;

7. Dans le secteur de la construction (CP 124) : la réponse à la question de savoir si l’employeur paie une prime comparable à la prime « timbres de fidélité » en vigueur en Belgique (prime annuelle qui correspond grosso modo à un salaire mensuel, à ne pas confondre avec le pécule de vacances);

8. Le lieu en Belgique où les prestations de travail seront fournies (max. cinq lieux d’occupation par déclaration);

9. L’horaire de travail;

10. Les données d’identification et les coordonnées de la personne de liaison (nom, prénoms, date de naissance, adresses phy- sique et électronique, numéro de téléphone et qualité).

Vous pouvez désigner votre secrétariat social comme personne de liaison, tout en introduisant vous-même la déclaration Limosa. Dans ce cas, votre secrétariat social vous fournira toutes les données d’identi- fication et les coordonnées de la personne de liaison. Bien sûr, il pourra également se charger de la déclaration de détachement comme mandataire.

Un formulaire capital

N’oubliez pas de demander un formulaire A1 : lors d’un contrôle, il est d’une importance capitale. Le formulaire A1 est un document standardisé délivré par l’Etat membre d’envoi et dont il ressort que le travailleur est assujetti à la sécurité sociale de l’Etat membre concerné. Le formulaire A1 prouve que le travailleur est exonéré de cotisa- tions sociales belges. Vous devez demander le formulaire A1 dans
l’Etat d’envoi