29/12/2019

La France viole l’embargo de l’ONU en Libye

Alors que l’offensive des forces rebelles du général Haftar piétine, Tripoli vient de conclure un accord militaire avec la Turquie. Un rapport destiné au Conseil de sécurité de l’ONU révèle les livraisons clandestines d’armes aux belligérants et la présence sur le terrain de combattants étrangers. Une escalade susceptible de déstabiliser un peu plus la région.


Après avoir largement contribué, depuis 2011, à armer les groupes djihadistes qui déstabilisent le Sahel, l’interminable guerre civile libyenne peut-elle maintenant menacer l’équilibre stratégique de la Méditerranée orientale ? Le risque d’une évolution aussi inquiétante est plus sérieux que jamais depuis la signature, le 27 novembre, entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le chef du gouvernement d’union nationale libyen (GNA), reconnu par l’ONU, Faiez Sarraj, d’un accord qui provoque la colère de la Grèce et agite toute la région, de Chypre à l’Égypte, en passant par Israël.

Car cet accord sur la délimitation maritime, qui donne à Ankara l’accès à de vastes zones riches en hydrocarbures revendiquées par ses voisins, comporte aussi un volet de coopération sécuritaire qui autorise l’envoi en Libye d’une éventuelle aide militaire turque. Or le GNA, basé à Tripoli, est actuellement confronté à une offensive de l’autre pôle de pouvoir libyen, l’Armée nationale libyenne (ANL), du maréchal autoproclamé Khalifa Haftar, maître de la Cyrénaïque, à l’est du pays. Et Haftar
est politiquement et militairement soutenu par l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Jordanie, tous rivaux régionaux d’Ankara.

En fait, à travers l’affrontement entre leurs partenaires libyens, c’est à une véritable guerre de basse intensité par procuration que se livrent d’une part la Turquie et le Qatar, alliés du GNA, et d’autre part l’Égypte, les Émirats et la Jordanie, alliés du « maréchal » de Benghazi. Une guerre qu’ils entretiennent, depuis des années, par leurs livraisons d’armes, leurs envois de « conseillers », leur aide financière, leur appui diplomatique et parfois l’intervention directe de leur aviation. Le tout en violation, jusqu’à ce jour impunie, de l’embargo sur les livraisons d’armes décidé par les Nations unies en février 2011.

C’est ce que dévoile un rapport remis le 9 décembre au Conseil de sécurité (y accéder ici) par un groupe d’experts chargés d’observer le développement du conflit sur le terrain, en particulier depuis le lancement de l’offensive de Haftar contre Tripoli, le 4 avril 2019. Composé de deux spécialistes des armes, deux spécialistes des groupes armés, un expert en transports, notamment maritimes, et un expert dans le domaine financier, ce groupe a livré un document de 376 pages, dont Mediapart a obtenu une copie, qui contient une analyse détaillée du conflit en cours et une enquête tout aussi précise sur les très nombreuses violations de l’embargo sur les armes et sur les responsables – États, entreprises, personnes – de ces violations.

Enseignement majeur de ce rapport : les deux pôles de pouvoir en Libye – le gouvernement de Tripoli, adoubé par la communauté internationale, comme les forces de Haftar, à Benghazi, en rébellion ouverte contre le premier – ont reçu, au moins jusqu’à l’été dernier, des livraisons clandestines d’armes, de munitions et de matériels militaires, et ont, aujourd’hui encore, recours au renfort de mercenaires étrangers, en violation de l’embargo de l’ONU. Le constat avait déjà été dressé, au fil des ans, par les médias, mais il est ici confirmé et documenté par les experts de l’ONU, qui s’appuient sur des témoignages directs et sur de nombreux documents comptables et photographiques.

Toutefois, le rapport ne mentionne pas l’aide apportée par certains États, l’Égypte, la Russie ou la France, à Haftar. Sous la forme d’envois d’éléments des Forces spéciales ou de la DGSE, Paris a activement contribué au renseignement tactique et à la formation des combattants de l’ANL. Cette aide, a priori contradictoire avec la reconnaissance officielle du GNA par Paris, s’explique, selon la DGSE et le Quai d’Orsay, par la nécessité de s’appuyer en Libye sur la force militaire la plus crédible pour lutter contre le djihadisme. C’est-à- dire l’armée du pouvoir de Benghazi.

Deuxième enseignement du rapport : l’attitude du pouvoir de Tripoli et de celui de Benghazi face à l’embargo des Nations unies jette plus qu’un doute sur la sincérité de leur engagement en faveur de la paix, en réponse aux démarches engagées depuis des années pour rechercher une solution politique négociée au conflit par l’envoyé spécial de l’ONU, l’universitaire libanais Ghassan Salamé.

Troisième enseignement d’importance : même si, selon le rapport, les « capacités militaires des deux camps ont été en apparence renforcées par l’apport de combattants étrangers, l’impact de ces renforts sur le déroulement du conflit a été limité. Les opérations ont été dominées par le recours à des munitions guidées de précision tirées par des avions sans pilotes, ce qui a, dans une certaine mesure, limité les dommages collatéraux que l’on peut redouter dans un tel conflit ». Dans ces conditions, relèvent également les experts de l’ONU, « les pertes parmi les combattants et les civils demeurent faibles. Le conflit continue de poser des menaces locales aux civils libyens, forcés à fuir par les combats ou victimes de l’utilisation comme armes ou de l’exploitation financière des institutions vitales de l’État, comme la distribution de l’eau, de l’électricité ou des carburants ».

Le rapport ne cite aucun bilan des pertes humaines depuis le début de l’offensive de Haftar contre l’ouest du pays mais d’autres sources de l’ONU évaluent à un millier de morts et plus de 140 000 déplacés le nombre des victimes, civiles et militaires, recensées depuis huit mois. On est loin, en effet, des massacres syriens ou yéménites.

Quatrième constat important des experts : les opérations militaires des forces du GNA et de l’armée de Haftar, ainsi que les frappes des forces du commandement américain antiterroriste en Afrique (AFRICOM), continuent à affaiblir les structures organisationnelles des groupes d’Al-Qaïda ou de ce qui reste de Daech, et réduisent au moins temporairement leurs capacités opérationnelles en Libye. Mais, selon le rapport, des cellules dormantes de Daech existent toujours à Tripoli, Misrata, et des groupes autonomes sont signalés à Sebha, Murzuk et Al Qatrum, au sud du pays, alors que le quartier général local de l’organisation semble toujours être dans la région de Bani Walid, à 150 km au sud-est de Tripoli.

Les experts relèvent que le 6 juillet 2019, la branche médias de Daech a diffusé une vidéo du chef de l’organisation en Libye, Mahmoud Massoud al-Barassi, également connu comme Abou Moussab Allibi, dans laquelle il affirmait que la Libye était devenue l’un des principaux axes des futures opérations, destinées à compenser la perte des territoires et de l’influence en Syrie. Selon le document, « Daech finance actuellement ses activités dans le pays par le vol, les enlèvements contre rançon, l’extorsion, la contrebande. La taxation des réseaux de trafic d’êtres humains demeure l’une des ressources majeures de l’organisation en Libye ».

Comment le « Aisling » est devenu le « Karama »


« L’offensive militaire sur Tripoli par l’ANL de Khalifa Haftar et le conflit qui a suivi ont paralysé le processus politique national, interrompu les réformes, et contribué à l’instabilité générale dans l’ensemble du pays, constatent les auteurs du rapport. Des groupes armés disparates, certains jusque-là en conflit les uns avec les autres, se sont unis pour s’allier soit avec le GNA, soit avec Haftar. Cette nouvelle phase d’instabilité, combinée avec les intérêts de certains acteurs, étatiques ou non, a amplifié le conflit par procuration qui a pris forme après 2011. [...] Toutes les parties en conflit ont reçu des armes et des équipements militaires, un soutien technique, et l’aide de combattants non libyens en violation de l’embargo sur les armes. La Jordanie, la Turquie et les Émirats arabes unis ont régulièrement, et parfois de manière flagrante, fourni des armes en faisant peu d’efforts pour dissimuler la source des livraisons. »

C’est le moins que l’on puisse dire à la lecture du rapport et de ses quelque 300 pages d’annexes documentaires. Si, selon le New York Times, la Russie, après quatre ans de soutien financier et diplomatique discret à Haftar, a déployé à bas bruit, l’automne dernier, 200 mercenaires, dont plusieurs équipes de tireurs d’élite appartenant au « Groupe Wagner », une entreprise de mercenariat privée proche du Kremlin, c’est une forme d’aide beaucoup plus ouverte, voire revendiquée qu’apportent Amman et Abou Dabi à Haftar, et Ankara au GNA.

Même si leurs livraisons utilisent des bateaux ou des avions gros porteurs enregistrés en Moldavie, au Kazakhstan ou en Ukraine, et suivent parfois des parcours zigzagants avant d’atteindre la Libye, ce sont des armes ou des équipements militaires qu’ils produisent ou qu’ils utilisent dans leurs propres armées qu’ils fournissent la plupart du temps. Ce qui simplifie grandement, selon les experts de l’ONU, l’identification des responsabilités.

Il en va ainsi des dizaines de drones de combat Bayraktar, produits en Turquie, livrés en pièces détachées à Tripoli par trois navettes d’avions cargos entre mai et août 2019. Les puissants drones Wing Loong, équipés de missiles air-sol Blue Arrow fournis par les Émirats à Haftar, ne sont pas fabriqués dans le Golfe, mais tous les répertoires d’équipements militaires indiquent qu’Abou Dabi en a constitué un stock considérable dans lequel on puise pour soutenir l’allié libyen. Compte tenu de leurs caractéristiques de vol et de leurs aptitudes militaires – ils peuvent emporter plus de huit fois la charge en munition d’un Bayraktar –, ils constituent un atout considérable entre les mains de Haftar, même si, selon le rapport, ses forces en ont déjà perdu deux sur huit.

Pour les blindés à roues, de tous les types, du véhicule de patrouille légèrement protégé au transport de troupes blindé, dont les combattants libyens sont très demandeurs pour remplacer leurs rustiques 4X4 Toyota équipés de mitrailleuses, de canons sans recul ou de lance-missiles antichars, l’identification des sources est encore plus simple : les 14 types de blindés légers qui équipent aujourd’hui les deux pôles de pouvoir sont produits soit en Turquie, comme la cinquantaine de Kirpi débarqués en mai 2019 à Tripoli, soit en Jordanie ou aux Émirats, comme la quasi-totalité de ceux fournis à Haftar.

La transaction la plus complexe et financièrement la plus déroutante découverte par les experts concerne le transfert d’un patrouilleur maritime irlandais, le Aisling, sorti des chantiers de Cork en 1979, retiré du service en 2016 et intégré à la force navale de Haftar sous le nom de Karama (« Dignité ») en mai 2018. Entre-temps, le navire a été vendu pour 150 000 euros à une firme néerlando- seychelloise et immatriculé à Belize, cédé pour le triple de ce prix à une firme émiratie, immatriculé au Panama comme « yacht de plaisance », puis revendu à une firme de Benghazi pour 1,5 million de dollars. Après quoi, il a été réarmé des deux canons de 20 mm et du canon de 40 mm qui l’équipaient sous pavillon irlandais, comme le prouve une photo prise à Ras Lanouf en avril 2019, qui figure dans le rapport. Mais les investigations des experts n’ont pas permis de découvrir les raisons de l’augmentation extravagante du prix du navire. Ni d’en identifier les bénéficiaires.

On le sait aujourd’hui, la vaste offensive contre Tripoli d’avril dernier pour laquelle Haftar avait demandé et obtenu la majeure partie des armements recensés dans le rapport et qui avait, en réponse, provoqué une intensification des livraisons turques au GNA, s’est enlisée dans les sables. Les forces de Benghazi ont bien enclenché, comme prévu, l’encerclement de la ville par le sud et l’ouest et investi quelques positions indispensables au lancement d’un assaut, mais elles ont dû renoncer à aller au-delà.

Selon les experts de l’ONU, la tentative d’arracher Tripoli au déploiement de groupes armés locaux qui protégeaient la ville a échoué car les accords conclus par Haftar avec certains de ces groupes n’ont pas tenu. Nombre de ces groupes ont au contraire fait cause commune avec les puissantes milices de Misrata, alliées au GNA. Le conflit s’est immobilisé sur la ligne de front du moment, à une centaine de kilomètres au sud-est de Tripoli, et lorsque les forces du GNA ont contre- attaqué et repris fin juin la ville stratégique de Gharyan, la crédibilité stratégique de Haftar a été durablement affectée.

Pourtant, en vue de cette offensive, le maître de la Cyrénaïque avait singulièrement renforcé sa « légion étrangère », ainsi que le montre le rapport. Face au GNA qui avait obtenu le renfort de 100 Soudanais et de plus de 700 Tchadiens, appartenant à des groupes armés hostiles aux régimes de Khartoum et N’Djamena, il avait mobilisé 700 Tchadiens et plus de 2 000 Soudanais. La moitié du contingent soudanais appartenait à la redoutable Force de soutien rapide (RSF), unité de répression détestée sous l’ancien régime et aujourd’hui ralliée comme son chef, Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemeti, au nouveau pouvoir dont il est devenu l’homme fort.

Selon les investigateurs de l’ONU, le recrutement de ces 1 000 combattants soudanais a eu lieu en application d’un contrat conclu entre Hemeti et Ari Ben- Menashe, le président israélo-canadien de la société de lobbying Dickens & Madson, basée à Montréal. Aux termes de ce contrat, dont le texte intégral figure dans les annexes du rapport, Dickens & Madson s’engage en effet à « s’efforcer d’obtenir du commandement militaire dans l’est de la Libye [c’est-à-dire de Haftar – ndlr] des fonds pour le Conseil de transition soudanais en échange d’une aide militaire » aux forces de l’ANL.

Malgré ces renforts en combattants et les livraisons continues d’armements et de munitions modernes, en violation toujours impunie de l’embargo de l’ONU, aucun des deux pôles de pouvoir, le rapport le confirme, n’a aujourd’hui « la capacité militaire de prendre l’avantage ». La situation se résume donc, pour l’heure, à un face-à-face entre les forces des deux camps le long de la ligne de front, sur fond d’alliances ou de rivalités changeantes parmi les 30 milices ou groupes armés recensés par les experts dans l’orbite du GNA et les 46 milices ou groupes armés qui gravitent autour de Haftar.

Comment briser ce statu quo stratégique ? En demandant aux alliés et protecteurs étrangers une intervention militaire directe ? Haftar l’a déjà fait. En 2017, comme l’a révélé Mediapart, des Rafale vendus par la France à l’Égypte ont bombardé les localités libyennes de Derna et Houn, en soutien aux forces de l’ANL. Et en juillet dernier, le rapport le révèle, des Mirage 2000 livrés par Paris aux Émirats arabes unis ont bombardé un camp militaire du GNA, à Tadjoura, après avoir décollé d’Al Khadim et Jufra, deux bases en territoire tenu par les forces de Benghazi.

Après la signature de l’accord de coopération sécuritaire entre Tripoli et Ankara, une telle initiative pourrait fournir à Erdogan le prétexte pour intervenir directement en Libye, comme il en a récemment brandi la menace. Alors que Haftar continue d’annoncer le lancement prochain de la « bataille décisive », il est manifestement temps pour les alliés des deux camps de mesurer les périls qu’une escalade de la guerre en Libye ferait courir à toute la région. Paris, Berlin et Rome viennent de lancer un appel à « toutes les parties libyennes et internationales à cesser toute action militaire [...] et à reprendre un processus de négociation crédible mené par les Nations unies ». Reste à savoir si la livraison continue et impunie aux belligérants d’armes et de munitions est le meilleur moyen de les inciter à négocier...

05/11/2019

Coopération judiciaire et policière entre le Kazakhstan et la Belgique


La justice belge participe à la chasse aux opposants sur le sol belge



Kazakstan
L'avocate Bota  à du fuire la dictature du kazakhstan

La Belgique a accepté une demande de coopération judiciaire de la part du Kazakhstan visant la réfugiée politique Bota Jardemalie, dont l’habitation a été perquisitionnée en présence vrai- semblablement de deux agents secret kazakhs.

Plusieurs questions se posent: la Belgique doit-elle donner droit à des demandes émanant d’une dictature comme le Kazakhstan? Que faisaient exactement des agents secret (vraisemblablement kazakhs) au cours de la perquisition ? Enfin, la Belgique est-elle aujourd’hui en mesure de protéger ses réfugiés politiques? Notre pays a le devoir d’accorder l’asile politique aux militants des droits de l’Homme, puis d’en assurer la protection ».
La protection des réfugiés politiques séjournant sur notre territoire, celle aussi de la participation d’agents étrangers à une perquisition réalisée par des services policiers belges ».

« La Belgique se doit de protéger les réfugiés politiques présents sur son territoire et non de les livrer aux autorités qu’ils fuient ! La justice peut d’ailleurs refuser l’entraide judiciaire pour toute infraction qu’elle considère comme une infraction politique, d’autant que le Parlement européen
demande au Kazakhstan de cesser le harcèlement de ses opposants politiques à l’étranger ! »

«Effrayant!»

Cette histoire est hallucinante !, La coopération de nos services de police judiciaire avec les services secret kazakhe à l’encontre d’une avocate qui a obtenu l’asile politique – justement en raison des menaces graves qui pèsent sur sa sécurité de la part de la dictature kazakhe, c’est effrayant ! » Cette perquisition se déroule en l’absence de Me Jadermalie et des informations confidentielles ont été consultées et/ou copiées par les policiers kazakhs. Cette avocate serait accusée de corruption... par un régime tristement célèbre pour son “Kazakhgate” (la corruption de responsables politiques français et belges par l’entourage du président Nazarbaiev). » Membre de la commission de suivi des Comités P et R, chargé du contrôle de nos services de police, Georges Dallemagne promet de demander « toute la lumière sur cette lamentable affaire ».

https://parismatch.be/actualites/politique/332927/lincroyable-traque-dune-dissendente-kazakhe-exilee-en-belgique

22/10/2019

Accusé d’espionnage, un ex­-cadre de la DGSI veut être réhabilité

Eric M. s’estime victime d’une cabale destinée à l’empêcher de prendre la tête du Collège européen du renseignement et attaque l’Etat en justice.


De mémoire de vieux routier du tribunal administratif de Paris, on n’avait jamais vu une affaire pareille. Le responsable des affaires internationales et de la prospective de la direction géné­rale de la sécurité intérieure (DGSI) de 2003 à 2018 attaque l’Etat pour récupérer son habi­litation « très secret défense », le plus haut niveau de confidentia­lité. Elle lui a été retirée après son départ brutal, le 29 mars, de la DGSI. Ce jour ­là, après l’avoir in­terrogé pendant cinq heures, l’inspection interne lui demande de quitter les lieux sur ­le ­champ. Elle le soupçonne d’avoir été approché par le Mossad et la CIA. L’intéressé, Eric M., dément et dénonce une cabale destinée à faire obstacle à sa nomination à la tête du Collège européen du renseignement.

La procédure écrite de la justice administrative a beau être très juridique, les mémoires produits par chacune des parties, le 15 octo­bre, laissent voir la violence de la rupture. Normalien, agrégé d’histoire, Eric M. a été détaché, en 2002, du ministère de l’éduca­tion nationale à la direction du renseignement militaire (DRM) avant d’intégrer, brièvement, le ca­binet de la ministre de la défense, Michèle Alliot­Marie. Sa carrière dans le renseignement débute réellement le 7 juillet 2003, lors­ que Pierre de Bousquet de Florian, alors directeur de la direction de la surveillance du territoire (DST, ex­DGSI), lui demande d’être son conseiller aux relations avec les services partenaires et aux questions de prospective. Peu ou prou, il occupera les mêmes fonc­tions auprès des quatre succes­seurs de M. de Bousquet.

Son habilitation « très secret défense » est renouvelée en 2008 et en 2012. Elle arrivait à échéance le 29 juin 2017. L’enquête diligen­tée par la DGSI pour un renouvel­lement conduit à un refus qui lui est notifié le 12 avril 2018. Pour ex­pliquer cette décision, le mémoire en défense présenté par le secréta­riat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), pour le compte du premier ministre, assure qu’Eric M. « est à l’origine de graves manquements à la sécu­rité ». Il aurait « entretenu des rela­tions avec un ressortissant étran­ger en lien avec les services de ren­seignement de son pays sans aviser son service». Il a, dit le SGDSN, communiqué avec cette personne au moyen « d’une adresse mail non déclarée et l’a sollicité pour ob­ tenir son appui dans le cadre d’une candidature à un poste » à l’OTAN. Enfin, il a « utilisé un boîtier de télé­phone personnel fourni par l’une de ses connaissances pour y insé­rer sa puce professionnelle et s’est connecté à Internet », ce qui contrevenait aux règles de la DGSI.

« Contact épisodique »

Dans sa réponse, l’avocat d’Eric M. tente de démontrer le caractère infondé de ces accusations. Le res­sortissant étranger serait Jona­than Paris, un consultant améri­cain en relations internationales vivant à Londres, rencontré il y a quinze ans dans un colloque, alors que son client était à la DRM. Il ne s’agirait que d’« un contact épisodique », venu dîner chez lui à deux reprises. Jonathan Paris aurait lui ­même proposé son soutien à sa candidature au poste de chef de l’unité de production de renseignement de l’OTAN, car il connaissait le secrétaire général adjoint de l’organisation. Enfin,
l’utilisation d’un mail non déclaré pour échanger avec M. Pa­ris ne serait qu’« une circonstance fortuite ». Eric M. reconnaît une seule infraction : avoir mis sa puce professionnelle dans un iPhone non sécurisé qui n’était pas à son nom, « comme le font de nombreux cadres de la DGSI », écrit­ il dans son mémoire.

Pour expliquer sa chute brutale, Eric M. a invité le tribunal admi­nistratif à envisager une autre hypothèse. Alors même que la DGSI étudiait le renouvellement de son habilitation, il était solli­cité par M. de Bousquet, devenu coordonnateur national du ren­seignement et de la lutte antiter­roriste, pour animer le futur Collège du renseignement en Europe voulu par Emmanuel Macron. Au terme d’une première réunion, le 23 février 2018, à l’Elysée, M. de Bousquet s’inquiète d’une note de
la DGSI à son sujet, comme l’avait indiqué Le Point, début juillet.

Membre du service de protec­tion de la communauté juive (SPCJ), Eric M. assure, avec d’autres parents, la surveillance de l’école de ses enfants. Cette activité ainsi que la pratique du krav­ maga constituaient, selon la DGSI, une vulnérabilité, notamment auprès des services secrets israéliens du Mossad. Rassuré, M. de Bousquet aurait écarté ces soupçons. Le 29 mars 2018, Eric M. est, cette fois ­ci, convoqué par l’inspection interne de la DGSI. C’est la fin de sa carrière dans le renseignement. Pour lui, cette manœuvre qu’il juge déloyale n’avait qu’un seul but : lui barrer la route du Collège du renseignement en Europe et affaiblir cette structure suprana­tionale. Le tribunal doit rendre sa décision jeudi 24 octobre.


21/09/2019

Les États-Unis arment le Moyen-Orient

La France, elle, déjà troisième exportateur mondial d’armes, en vend globalement de plus en plus.



Top 5 des pays exportateurs d’armes
Volume en TIV et régions de destination (cumul de 2014 à 2018)





exportateurs d’armes
exportateurs d’armes

19/09/2019

La CIA a eu pendant dix ans une taupe au Kremlin

Cet agent, ex-filtré en 2017, a fourni aux Américains des informations émanant directement du bureau de Poutine.




CIA
La maison de l'espion Russe


Pendant plus de dix ans, un espion de la CIA infiltré au plus haut niveau de l’État russe a fourni aux Amé­ricains des informations émanant direc­tement du bureau de Vladimir Poutine. Cette affaire d’espionnage, tout droit sortie de la guerre froide, a éclaté lundi, lorsque CNN a révélé que les services se­crets américains avaient exfiltré clan­destinement en 2017 l’un de leurs agents en Russie, par crainte d’une indiscrétion de Donald Trump. La chaîne américaine ne mentionne pas le nom de l’espion. Mais, de façon inhabituelle, les médias russes ont dévoilé presque aussitôt le nom du transfuge.

L’espion s’appelle Oleg Smolenkov. Comme les meilleures taupes, ce diplo­mate aurait été recruté au début de sa carrière, vraisemblablement entre 2006 et 2008, alors qu’il occupe le poste de deuxième secrétaire de l’ambassade de Russie à Washington. L’ambassadeur de l’époque, Youri Ouchakov, en poste pendant dix ans dans la capitale améri­caine, est l’un des poids lourds de la di­plomatie russe. Appréciant Oleg Smo­lenkov, il l’entraîne dans son sillage lorsqu’il rentre à Moscou. Spécialiste des États-Unis, Ouchakov devient en 2008 conseiller pour les affaires étrangères de Vladimir Poutine, alors premier minis­tre. Il conserve son poste quand Poutine redevient président, en 2012. Bras droit et principal collaborateur d’Ouchakov, Smolenkov s’installe avec lui au Kremlin, où il a accès aux rapports secrets destinés à Poutine, notamment ceux des services de renseignement rus­ses, le FSB.

La présence d’un agent au cœur du pouvoir russe est d’autant plus précieu­se pour les Américains que Vladimir Poutine, lui-même ancien agent de ren­seignement passé par l’école du KGB, est plus prudent que la plupart des chefs d’État. Ses communications sont parti­culièrement difficiles à intercepter. Il utilise des téléphones filaires, se méfie d’Internet, et reçoit ses rapports par écrit, apportés dans des dossiers de cuir.

Smolenkov, qui a accès au bureau de Poutine, aurait ainsi pu photographier des documents confidentiels destinés au président russe. Alors que les relations entre la Russie et les États-Unis se ten­dent sur la scène internationale, de l’Ukraine à la Syrie, il devient rapide­ment l’une des principales sources d’in­ formation des Américains sur les inten­tions de Moscou. La méfiance entre les deux pays atteint un point culminant en 2016, lorsque la CIA soupçonne la Russie d’ingérence dans la campagne prési­dentielle américaine. D’après le New York Times, les renseignements fournis par Smolenkov permettent d’établir avec certitude que l’opération a été décidée et dirigée par Poutine lui-même.

Dans l’univers du renseignement, une taupe court trois risques ; celui, peu fré­quent, d’être pris en flagrant délit ; celui d’être démasqué par un agent infiltré dans son propre camp ; ou celui d’être victime d’une indiscrétion, générale­ ment la divulgation d’informations per­mettant de remonter jusqu’à leur sour­ce. Pour éviter ce risque, la CIA remet séparément au président Obama les rapports de Smolenkov, au lieu de les intégrer à la synthèse quotidienne du renseignement.

Mais cette précaution devient soudain inutile avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2017. La CIA s’inquiète très vite de la légèreté avec laquelle le nouveau président traite les informations confidentielles, ainsi que de ses rapports cordiaux avec Vladi­mir Poutine et les Russes. En mai de la même année, lorsqu’il reçoit à la Mai­son-Blanche le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et l’am­bassadeur de Russie à Washington, Trump mentionne dans la discussion des informations ultrasecrètes sur l’État is­lamique en Syrie, pourtant classifiées au point de n’être même pas partagées avec les pays alliés. Pour Smolenkov, le dan­ger vient dorénavant du plus haut ni­ veau de l’appareil d’État américain. La CIA juge que le risque est trop grand devoir son agent involontairement démas­qué par le président. La décision est prise de l’exfiltrer.

Smolenkov refuse d’abord, faisant craindre aux Américains qu’ils sont vic­times d’un agent double. Mais à la deuxième proposition, il accepte de quitter la Russie. En juin 2017, Oleg Smolenkov, sa femme, Antonina, et leurs trois enfants partent en vacances au Monténégro. Ils disparaissent sans
laisser de traces. Du jour au lendemain, leurs comptes sur les réseaux sociaux deviennent muets. La Russie ouvre une enquête pour meurtre, avant de refermer le dossier faute d’éléments. Pen­dant deux ans, les Smolenkov semblent s’être volatilisés.

La suite est plus étrange. Aussitôt après les révélations de CNN, son nom est rendu public par le quotidien russe Kommersant. Après une rapide recher­che, des journalistes américains décou­vrent qu’un certain Oleg Smolenkov vit avec sa femme et ses enfants dans une maison cossue à Stafford, en Virginie. Sur les lieux, les journalistes sont ac­cueillis par des agents du gouvernement américain en civil. Selon les voisins, la famille a disparu précipitamment dès lundi soir, laissant des vêtements et des jouets d’enfants traîner dans le jardin.

Comme souvent dans les affaires d’es­pionnage, les sources sont anonymes et beaucoup d’informations invérifiables. Beaucoup de questions demeurent. En particulier celle de savoir pourquoi, s’il a bien été exfiltré par la CIA, Smolenkov vivait sous sa véritable identité, à une heure de voiture de Washington, locali­sable en quelques minutes via Internet.
Ou bien la raison pour laquelle sa défection a été rendue publique deux ans après les faits, par l’une des plus grandes chaînes d’information américaines.Mais les démentis énergiques des protagonistes semblent indiquer la véracité d’une bonne partir de l’histoire de Smolenkov. Du côté américain, la CIA a aussitôt exclu avoir pu prendre la décision d’exfiltrer un espion sur la base d’un manque de confiance à l’égard du président des États-Unis. « Cette histoire est factuellement fausse », a commenté Mike Pompeo, l’actuel secrétaire d’État américain, qui fut le directeur de la CIA à l’époque des faits. Du côté russe, les officiels se sont empressés de minimiser le rôle de Smolenkov. Le porte-parole du Kremlin, Dimi tri Peskov, a confirmé que l’espion avait bien travaillé au sein de l’administration présidentielle, mais démenti que ça été « au plus haut niveau », c’est-à-dire à un poste dont les titulaires sont nommés par le président et qui ont directement accès à lui. Il a ajouté, sans préciser la date, que Smolenkov avait été démis de ses fonctions dans l’administration présidentielle. « Toutes ces spéculations dans les médias américains, selon les quelles quelqu'un aurait exfiltré quelqu'un et ainsi de suite, relèvent du romanà sensation, a dit Peskov. Nous les leur laissons... Le contre-espionnage russe fonctionne parfaitement.

16/09/2019

Le Timor oriental, un territoire convoité

La situation stratégique et les richesses en pétrole et en gaz de cette moitié d’île de l’Asie du Sud-Est suscitent l’appétit des puissances indonésienne, australienne et chinoise.






Timor oriental
Timor oriental

15/09/2019

Le futur commissaire européen a la justice impliquée dans des affaires de corruption et de blanchiment

Le parquet belge enquête sur des allégations de corruption visant Didier Reynders. Une information judiciaire a été ouverte à la suite de l’audition d’un ex-agent de la Sûreté de l’État. Il a fallu a cet agent quitté le service pour dénoncer les faits a la justice alors que durant des années par la sûreté de l'état était bel et bien au courant des affaires de corruption impliquant le futur commissaire européen a la justice.









Didier Reynders
Didier Reynders devra notamment accompagner l'installation du nouveau parquet européen anticorruption, développer la coopération judiciaire et renforcer l'État de droit dans les pays de l'Union.

La Justice mène une enquête visant le vice- Premier ministre et ministre des Affaires étrangères et de la Défense, Didier Reynders (MR), comme nous l’a confirmé le parquet de Bruxelles. L’information judiciaire a été ouverte après qu’un ancien agent secret de la Sûreté de l’État s’est rendu, en avril der- nier, à la police judiciaire fédérale pour lui communiquer une série d’allégations de corruption et de blanchiment à l’encontre de Didier Reynders. Les accusations étaient dirigées également contre un fidèle de Reynders, qui était encore à l’époque conseiller à son cabinet.

Le parquet de Bruxelles se refuse à préciser les actes judiciaires qu’il a déjà entrepris ces derniers mois dans le cadre de ce dossier, mais déclare «que l’enquête suit son cours» et que aucun devoir d'instruction n'a été accompli encore aujourd'hui. Au terme de l’enquête préliminaire, le parquet devra décider si les indices contre Reynders sont suffisants et si le dossier doit être transmis ou non au parquet général de Bruxelles, compte tenu de la qualité de ministre de Reynders.

Notre rédaction a pu consulter le procès-verbal établi par la police au sujet de l’audition de l’ex-agent de la Sûreté de l’État. On y lit que l’homme en question a travaillé du 1er mars 2007 au 1er mars 2018 pour le service de renseignements et de sécurité du pays, principalement au sein de sa section économique. Dans le cadre de sa fonction, l’ancien agent secret prétend avoir pris connaissance, grâce à ses informateurs et ses propres investigations, de différentes pratiques de corruption et de blanchiment.

Dans son audition, l’ex-agent de la Sûreté de l’État pointe une série de marchés publics et d’achats de l’État, tels que la construction de l’ambassade belge à Kinshasa, pour lesquels des pots-de-vin ont été versés, selon lui. Dans sa déposition, il cite également des corrupteurs, comme des marchands d’armes, et un candidat à l’élection présidentielle congolaise. Pour chaque accusation, l’ancien agent secret donne également les noms d’autres personnes et entreprises impliquées.

Lors de son audition, l’ex-agent de la Sûreté de l’État a décrit les méthodes que Reynders et son homme de confiance auraient utilisées pour recevoir de l’argent et le blanchir. Il y est question notamment de vente à des prix surfaits d’œuvres d’art et d’antiquités sans grande valeur. L’ancien agent secret prétend qu’un antiquaire impliqué dans ce blanchiment lui aurait déjà fait des confidences à ce sujet. Parmi les autres méthodes citées, épinglons aussi des transactions immobilières. Le conseiller de Reynders serait devenu ainsi le propriétaire de nombreux logements, un patrimoine impossible à justifier sur la base de ses revenus officiels.

Autre voie de blanchiment pointée par l’ex-agent de la Sûreté de l’État: des transactions passant par des sociétés-écrans dans des paradis fiscaux. Dans son audition, il cite le nom d’un Néerlandais qui y aurait contribué via des sociétés offshore et celui d’un haut fonctionnaire qui pourrait en dire plus à ce sujet à la Justice.

Seuls le parquet de Bruxelles et les inspecteurs de police peuvent à présent établir la véracité des déclarations (détaillées) de l’ancien agent secret.

Rapports secrets


Notre rédaction a pu consulter cependant cinq rapports secrets que l’ex-agent de la Sûreté de l’État a rédigés durant ses années de fonction. Ces notes, enregistrées dans la banque de données de l’organe de renseignements de l’État, remontent déjà aux années 2009, 2010 et 2011. Elles confirment en tout cas que l’ancien agent pointait déjà les supposées pratiques de corruption dénoncées aujourd’hui à la Justice.

Ces cinq rapports secrets de la Sûreté de l’État mentionnent déjà une série de noms ainsi que les « astuces » pour blanchir l’argent de la corruption (les transactions factices sur le marché de l’art).

Les cinq rapports sont des documents officiels confidentiels de la Sûreté de l’État. Mais ils n’ont pas valeur de preuve. Ils contiennent des « informations brutes » que la Sûreté de l’État a recueillies auprès de différents informateurs. Dans une de ces notes, on peut lire ainsi qu’un des informateurs est un fonctionnaire haut placé dans un service public fédéral concerné. Pour autant que nous le sachions, la Sûreté de l’État n’a pas transmis à l’époque ces informations à la Justice.

La réaction de John Hendrickx, le porte- parole de Reynders, est brève: «Il s’agit sans doute à nouveau d’un montage émanant du même homme malveillant qui tente sans cesse de nuire.» Didier Reynders est actuellement candidat au poste de commissaire européen à la Justice.





22/06/2019

L’espion russe du Conseil de l’Europe

ENQUÊTE





Espion Russe
L'espion Russe 
Valery Levitsky


Nommé consul général de Russie à Strasbourg, en 2015, Valery Levitsky a été prié de quitter la France, en avril 2018. « Le Monde » révèle que son expulsion est la conséquence de ses activités clandestines au sein de l’institution.




Cet homme-là a l’art de la dissimulation. Rien ne transparaît, ni tension ni fatigue, dans le regard du consul général de Russie à Strasbourg, Valery Levitsky, ce 28 mars 2018, à la fois jour d’anniversaire et pot de départ dans les locaux consulaires. A le voir poser sur la photo avec une quinzaine de personnes, on se dit que sa maîtrise est totale. Pourtant, quelques jours plus tôt, la nouvelle est tom- bée, brutale: les autorités françaises lui ont notifié son expulsion pour faits d’espionnage et appartenance au service de renseignement militaire russe (GRU, devenu GU). Le 1er avril, il sera dans l’avion pour Moscou.

Avec lui, trois autres diplomates russes en poste en France, membres du même service, ont été priés de quitter le territoire. Sans y être liés, ils paient l’affaire Sergueï Skripal, du nom de cet ex-agent russe passé à l’ennemi britannique, victime, avec sa fille, deux semaines plus tôt, d’une tentative d’empoisonnement, dans le sud de l’Angleterre, par deux agents du GRU. Sans cette mesure de solidarité avec Londres décidée par Paris, M.Levitsky serait toujours en France à l’heure actuelle, et poursuivrait ses activités clandestines tout en sacrifiant le reste de son temps à sa couverture officielle : gérer le consulat, participer à des visites mémorielles et protocolaires, à des événements associatifs, culturels et autres cérémonies de jumelage.

Mieux vaut ne pas trop se fier à ce visage rond et à cette carrure rassurante. Valery Levitsky, un homme âgé d’une cinquantaine d’années, ne chômait pas dans son autre vie, celle d’espion. «Il commençait même à nous gonfler ! On le voyait trop », assure-t-on, sans détour, du côté du contre-espionnage français, où l’on a profité de l’affaire Skripal pour inscrire son nom sur la liste des «indésirables» sur le sol national. Il faut dire que l’agent de renseignement Levitsky, sous cou- vert de son titre de consul général, s’était fait remarquer sur un terrain qualifié de «prédilection» par ceux qui étaient alors sur ses talons : le Conseil de l’Europe, à Strasbourg.

Cette institution, peu connue du grand public, qui accueille 47 pays, dont la Russie et la Turquie, et des pays observateurs, n’est pas sans intérêt pour les autorités de Moscou. Leur pays a souvent été placé en porte-à-faux sur la scène internationale par ce Conseil, tout entier focalisé sur les questions de droits de l’homme, d’Etat de droit et de démocratie. « Cette place diplomatique strasbourgeoise, assez dense mais de second rang, permet à la Russie de gagner l’adhésion d’autres pays membres à ses thèses et de saper les positions de ceux qui dénoncent ses pratiques anti-démocratiques, confirme un officiel français. En tant que membre, elle peut aussi agir de l’intérieur, peser sur le discours du Conseil de l’Europe et affaiblir le poids de l’Europe. »

De fait, dans la ville alsacienne, les espions et les diplomates sont moins surveillés qu’à Genève, Bruxelles ou New York. La large délégation russe auprès du Conseil est un moyen d’envoyer des espions sous couverture diplomatique avec la possibilité de rayonner dans toute l’Europe de l’Ouest. C’est aussi l’endroit idéal pour aller à la pêche aux informations et tenter de recruter des sources. Les informateurs potentiels ne manquent pas : le Conseil emploie 2 300 personnes, essentiellement des fonctionnaires des Etats membres mis à disposition et bénéficiant de l’immunité de fonctionnaire européen, aux quels il convient d’ajouter 1 000 diplomates. Enfin, les bâtiments de l’institution jouis- sent d’une inviolabilité reconnue par les traités. Même les policiers français doivent laisser leurs armes à l’entrée. Sans oublier que le chef de la sécurité est russe...


Divers recoupements ont permis à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) de mettre en évidence les agissements hostiles de M. Levitsky. Les contre-espions français, dont certains passent des heures dans la cafétéria du Conseil, haut lieu du «tamponnage » de cibles – la phase d’approche, dans le jargon de ce monde très particulier –, ont d’abord fait remonter certaines observations. Puis ces soupçons ont été étayés par des interceptions techniques et des éléments transmis par des services partenaires.

Les agents français n’ont pas surpris le consul en train de remettre des fonds à un informateur contre la remise de documents confidentiels. M. Levitsky a été expulsé pour avoir servi de relais à des agents d’influence russes très agressifs, voire à d’autres espions itinérants. Il leur ouvrait des portes et obtenait des rendez-vous auprès de personnalités généralement inaccessibles. Il se livrait, enfin, lui aussi, à des activités d’influence et de collecte de renseignement auprès de diplomates de haut niveau. Au point de peser, dans l’ombre, sur certaines décisions stratégiques de l’institution.

UN ŒIL SUR LE CAUCASE 

Cette omniprésence dans la vie du Conseil de l’Europe, sans lien avec sa fonction officielle de consul, n’est pas due au hasard. Arrivé, le 11 juin 2015, à Strasbourg, cela faisait en réa- lité des années que Levitsky était au contact de l’institution. Avant de venir en France, il travaillait, à Moscou, au sein de l’administra- tion de la Douma, le Parlement russe, en tant que directeur adjoint du bureau de coopération internationale. Une autre couverture du GRU. Le 24 mars 2010, il cornaquait déjà la visite, en Ingouchie, une République musulmane voisine de la Tchétchénie, de Dick Marty, alors rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) sur les droits de l’homme du Caucase du Nord.

A l’époque, l’Ingouchie compte parmi ces petites Républiques du sud de la Fédération de Russie dont certaines sont rongées par une guerre larvée entre les forces de sécurité russe et des guérillas islamistes. Le pays est la proie des exactions des forces de sécurité russes, qui, au nom de la lutte antiterroriste, kidnappent, torturent et font disparaître les contestataires. Les parents de disparus qui font appel à la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, doivent vite quitter le pays. Lors du séjour de M. Marty, M. Levitsky est censé représenter la Douma. En réalité, c’est l’œil du GRU, chargé de surveiller les rencontres avec les opposants et activistes ingouches. Il assiste même à la discussion avec le président Iounous Bek Evkourov, nommé par le Kremlin en 2008, mais qui n’hésite pas à consulter les militants des droits de l’homme.

Peu médiatisées, ces visites de rapporteurs du Conseil de l’Europe dans de petits pays sous l’emprise de régimes autoritaires ou en proie à des tensions politiques ont une grande importance pour les défenseurs locaux des droits de l’homme. Pour la Russie, ce regard extérieur sur ce qu’elle considère être son pré carré est vécu comme une ingérence. D’où l’implication active du GRU. Au Conseil de l’Europe, qui a refusé de répondre aux questions du Monde sur le cas Levitsky, on évoque, sous couvert d’anonymat, le sou- venir de missions difficiles du comité contre la torture dans ces Républiques du Caucase. Des voyages au cours desquels ses membres avaient fait l’objet de menaces et d’opérations de déstabilisation.

Le 21 mai 2013, Valery Levitsky apparaît cette fois-ci, à Moscou, toujours comme directeur adjoint du bureau de coopération internationale de la Douma, à la rencontre entre le patriarche orthodoxe, Kirill, et le secrétaire général du Conseil de l’Europe, le Norvégien Thorbjorn Jagland. Pour M. Levitsky, c’est un moyen d’étoffer son réseau au plus haut niveau. Les 11 et 12 septembre 2014, à Oslo, lors de la Conférence européenne des présidents de Parlement, il cumule ses fonctions à la Douma et celles de secrétaire de la délégation russe de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Cette assemblée est composée de parlementaires désignés par les Parlements nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe.

DIPLOMATES SOUS SURVEILLANCE

Ses contacts au sein de l’institution européenne sont donc anciens, et bien antérieurs à sa nomination à Strasbourg. Comme l’enseigne et le veut la culture russe du renseignement, c’est un investissement à long terme. Une école et une doctrine qui valent autant pour les agents sous couverture, comme lui, que pour ceux, baptisés les « illégaux », envoyés sous une fausse identité dans des pays où ils vivent des dizaines d’années.

Quand il prend ses fonctions de consul général de Russie à Strasbourg, en 2015, Levitsky dispose déjà de son propre carnet d’adresses et d’un accès privilégié à Thorbjorn Jagland, réélu, en 2014, secrétaire général du Conseil. Il est à son aise et se déplace avec une grande liberté au sein de l’institution, notamment le mercredi, jour de la réunion hebdomadaire des 47 ambassadeurs auprès du Conseil.

Si la plupart des accusations d’espionnage visant le diplomate russe paraissent se cantonner au Conseil, des interrogations ont également pu exister sur des liens noués avec des élus français dans le cadre de ses fonctions consulaires. Le 9 décembre 2016, il est auprès de Laurent Garcia, alors maire (ap- parenté MoDem) de Laxou, en Lorraine. «Il était venu à Nancy en février, l’événement était culturel et lié au partenariat Lorraine- Russie», se souvient M. Garcia, qui lui avait alors remis la médaille de la ville. Elu député, en 2017, ce dernier intègre le groupe d’amitié franco-russe à l’Assemblée. «Je n’ai reçu aucun coup de fil de ce monsieur ni fait l’objet d’approches, assure-t-il aujourd’hui. Notre travail au sein du groupe d’amitié est encadré par l’Assemblée, et la jeunesse en politique des autres membres n’a pas, à ma connaissance, généré d’imprudences particulières. »

Avec ou sans Valery Levitsky, le consulat général de Russie à Strasbourg demeure sous haute surveillance. Les caméras placées au centre du carrefour de la place Sébastien- Brant, face au bâtiment, ne servent pas qu’à surveiller la circulation. Elles ne ratent rien des allées et venues. Les contre-espions français peuvent aussi s’installer quai Rouget-de- Lisle, qui borde un affluent du Rhin, à l’arrière du consulat, d’où sortent les véhicules des diplomates russes. Le successeur du consul expulsé, Sergueï Galiatkonov, arrivé en juin 2018, n’est resté que trois mois. Son visa n’a pas été renouvelé à cause d’un CV d’espion trop voyant, selon les dires d’un diplomate français. En novembre 2018, Youri Soloviev, au profil plus discret, s’installait, pour de bon, dans le fauteuil de consul général. Sollicité, il n’a pas souhaité répondre aux questions sur les accusations portées sur les activités du consulat russe.

Début mai, l’épouse de Valery Levitsky, Elena, a publié sur son compte Facebook des photos de la présentation, dans une librairie moscovite, de son dernier livre pour enfants, un ouvrage bilingue franco-russe de 144 pages. A l’origine, elle devait célébrer cette sortie à Strasbourg, mais le déménagement précipité des Levitsky a contrarié ce projet. De retour en Russie, son mari avait alors assuré à un média local ne pas connaître le motif de son expulsion. Il pensait que cela devait avoir un lien avec l’affaire Skripal et qualifiait cette décision de « nouvelle provocation euro-atlantique ».


03/06/2019

Espionnage économique

Le laboratoire Menarini s’est procuré des documents confidentiels de ses concurrents





Menarini France
Le siege de Menarini France 



La filiale française du laboratoire pharmaceutique italien s’est procuré des documents appartenant à deux de ses concurrents. L’un d’entre eux, provenant du groupe français Sanofi, a été envoyé directement au PDG de Menarini France. Le laboratoire italien dément l’implication de son patron et affirme qu’il s’agit d’une initiative isolée d’anciens salariés.

En matière économique, tous les coups sont parfois permis. Des documents confidentiels obtenus par Mediapart montrent que la filiale française du laboratoire pharmaceutique italien Menarini a eu recours à des méthodes d’espionnage économique musclées et juridiquement problématiques.

Selon nos informations, le plus gros laboratoire italien est parvenu à obtenir, au début des années 2010, des documents confidentiels issus de deux de ses concurrents, le japonais Takeda et le français Sanofi. Un courriel interne indique que le document propriété de Sanofi a été obtenu à la demande du PDG de Menarini France, Thierry Poiraud.

Confronté par Mediapart, Menarini France a reconnu les faits, mais a rejeté la responsabilité sur deux de ses anciens salariés. « La société Menarini et l’ensemble de la chaîne managériale, incluant son président- directeur général, n’a jamais sollicité d’informations confidentielles », nous a répondu un porte-parole de la filiale française.

Menarini affirme aussi que les documents n’étaient pas « confidentiels », soit parce qu’ils étaient incomplets, soit parce qu’il s’agissait d’études « environnementales » réalisées par des prestataires externes. Sauf que ces documents appartenaient bien à Takeda et Sanofi, et ont été obtenus par Menarini sans leur autorisation.

Le premier document concerne une activité stratégique de l’industrie pharmaceutique. Confrontés à une crise de leur recherche interne, les gros laboratoires recherchent de plus en plus de nouveaux médicaments à l’extérieur, en rachetant des start-up qui développent des molécules prometteuses ou en passant des accords de licence avec elles. D’où une concurrence acharnée pour repérer les meilleurs et exploiter leurs molécules au meilleur prix.

Menarini cherchait manifestement à savoir comment procédaient certains de ses concurrents. La filiale française du laboratoire a obtenu en 2013 un document qui décrit la méthodologie utilisée par son concurrent français Sanofi pour évaluer les partenariats ou acquisitions qu’il envisage de passer avec des entreprises extérieures.

Ce document de huit pages, réalisé pour Sanofi par le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG), est un résumé : il décrit très précisément l’ensemble des critères à évaluer avant d’engager des fonds dans des partenariats (potentiel de la molécule visée, synergies possibles, ou encore risques à clarifier), mais sans dévoiler la manière dont chacun d’entre eux est quantifié.

Il n’empêche : Menarini a eu connaissance de la méthodologie globale de son concurrent. Et il est très étonnant que le laboratoire italien ait pu se procurer un document issu d’une entreprise aussi sensible que Sanofi, plus gros laboratoire français et numéro 5 mondial.

Plus embarrassant encore, un courriel interne confidentiel indique que le PDG de Menarini France, Thierry Poiraud, a reçu le document de Sanofi par courriel à l’été 2013, et suggère qu’il a été à l’initiative de l’opération. « Comme convenu, voici le template d’évaluation BD Sanofi. Je reste à ton service », lui écrit son correspondant, un salarié du laboratoire.

Contacté par Mediapart, Menarini France répond que « son président- directeur général n’a jamais sollicité d’informations confidentielles » au sujet d’un concurrent. Le laboratoire affirme que le document provenant de Sanofi a été « remis à l’initiative d’un salarié (passé par Sanofi) qui a quitté la société et avec qui nous sommes actuellement en conflit ». Menarini relativise enfin l’importance du document : « C’est un formulaire vierge ne contenant pas d’information confidentielle, il s’agit seulement d’une check-list d’informations à recueillir dans le cadre d’un éventuel projet de licence avec un partenaire. »

Le second cas problématique remonte à la fin 2012. Menarini prépare le lancement en France du Bretaris Genuair, un médicament contre la broncho- pneumopathie chronique obstructive (BPCO), une grave maladie des poumons. Selon nos informations, le laboratoire italien a réussi à se procurer deux études réalisées pour le lancement d’une molécule concurrente : le Daxas, du laboratoire suisse Nycomed, lequel venait d’être racheté par le japonais Takeda.

Ces études, réalisées en 2010 et 2011 pour Nycomed par les cabinets Cegedim et Axess Research, détaillaient, sur 105 pages au total, le marché de la BPCO grâce à un questionnaire « administré » à 180 médecins. Résultat : une foule de données et de tableaux sur l’origine des prescriptions et les médicaments les plus appréciés, le type de médecins les plus influents, ou encore les différences d’approche et de comportement entre pneumologues de ville et hospitaliers.

Bref, Menarini a pu s’inspirer du travail de son concurrent pour préparer le lancement de sa propre molécule, Bretaris Genuair. Même si l’histoire s’est mal terminée : ni le Daxas ni le Bretaris n’ont finalement été commercialisés en France, après que la Haute Autorité de santé a émis en avril 2013 un avis défavorable à leur remboursement par la Sécurité sociale pour cause d’efficacité insuffisante.

Là encore, Menarini charge ses collaborateurs, affirmant que « ces données ont été présentées par une salariée qui en avait eu connaissance dans le cadre de ses expériences antérieures ». Le laboratoire ne dément pas que ces études appartenaient à Nycomed/Takeda, mais indique qu’elles « ne contiennent pas d’information de nature confidentielle concernant [ces] sociétés », car « il s’agit de données environnementales et de pratiques de prescriptions réalisées par un prestataire ».

Le laboratoire indique enfin que les faits que nous rapportons « sont antérieurs à la formalisation par notre société, en 2016, de son code de conduite qui contient une section dédiée au principe de respect des données confidentielles », que les salariés s’engagent par écrit à respecter et au sujet duquel ils sont formés.

Peu connu du grand public en France, Menarini est une institution en Italie, où il a été au centre d’un scandale retentissant. La famille Aleotti, propriétaire du labo et détentrice d’une des plus grosses fortunes de la Péninsule, a été poursuivie pour avoir surfacturé le prix des médicaments vendus par Menarini, et avoir transféré les profits de l’opération, à hauteur de 1 milliard d’euros, via un montage complexe de sociétés offshore immatriculées dans les paradis fiscaux.

Lucia et Alberto Aleotti, les enfants du fondateur (décédé en 2014), ont été condamnés en 2016 à dix et sept ans de prison ferme pour blanchiment dans cette affaire, mais ont été acquittés en appel en 2018. La famille a été sauvée par une loi d’amnistie votée par Silvio Berlusconi, qui lui a permis de rapatrier leur milliard en Italie sans crainte de sanctions. La cour d’appel a donc finalement jugé que les Aleotti ne pouvaient pas être condamnés pour blanchiment, puisque le retour des fonds s’est fait en respectant la loi d’amnistie.

29/05/2019

La justice belge veut obliger Skype à fournir des renseignements sans respecter les lois.


L'extraterroriatilité de droit belge sur le grand duché du Luxembourg


Skype Luxembourg
Skype Luxembourg

C'est un proces qui sait déroulé en 2017, Skype Communications SARL, qui est établie au grand-duché du Luxembourg, avait été condamnée par la cour d’appel d’Anvers (Belgique) à une amende de 30 000 euros pour avoir refusé à un juge d’instruction de Malines de lui fournir une assistance technique dans le cadre d’une mesure d’écoute liée à une enquête judiciaire en cours.

POUR SKYPE, LA BELGIQUE et sont juge d'instruction de Malines ne pouvait s’adresser directement à elle mais devait demander l’entraide judiciaire aux autorités luxembourgeoises. Skype ajoutait que, devant respecter le droit luxembourgeois, il lui était interdit d’intercepter de telles communications tel que le demandait le juge belge.  Toute interception de communication doit se faire avec l'accord des autorités judiciaires luxembourgeoises, c'est ainsi que fonctionne les lois et droit du pays ou établis l'entreprise.


Cour de cassation de Belgique : pour elle, le juge d’instruction belge peut s’adressser directement à l’opérateur de télécommunication ou au fournisseur d’un service de messagerie électro- nique sans devoir adresser sa demande d’entraide à l’État où le siège de cet opérateur ou de ce fournisseur est situé ou a son infrastructure, et l’opérateur (ici: Skype) ne peut se retrancher derrière la législation de ce pays pour refuser la demande du juge belge. 


L’arrêt de la Cour de cassation, plus haute juridiction du pays, donne tort à Skype : un juge d’instruction belge peut adresser directement une ordonnance à chaque opérateur d’un réseau de télécommunication ainsi qu’à chaque fournisseur d’un service de messagerie électronique (l’arrêt du 19 février 2019 a donc une portée générale) dont l’activité économique s’adresse activement aux consommateurs en Belgique, indépendamment du lieu où cet opérateur ou ce fournisseur est établi ou du lieu où se situe l’infrastructure requise pour donner suite à la demande du juge.


17/05/2019

L’Europe doit défendre ses entreprises

Dans une note parue jeudi, le Conseil d’analyse économique propose de créer un « procureur commercial »




Europe entreprise
Europe entreprise




Pourquoi l’Europe est-elle incapable de se doter de champions industriels mondiaux ? Comment résister au rouleau compresseur chinois si nos entreprises échouent à grandir hors de leurs frontières ? Début février, le rejet de la fusion entre Alstom et Siemens par Bruxelles a relancé le débat sur la pertinence de la politique de concurrence européenne, jugée trop zélée par une partie de la classe politique française. Dans la foulée, Paris et Berlin ont adopté un manifeste commun « pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle», appelant à revoir les règles concurrentielles pour permettre l’émergence de poids lourds continentaux – notamment dans la filière des batteries électriques. Un dossier sensible auquel la prochaine Commission devra s’attaquer, après les élections européennes de fin mai.

Pour apporter sa pierre au débat, le Conseil d’analyse économique (CAE), centre de réflexion placé sous la houlette du premier ministre, a publié une note sur le sujet, jeudi 16 mai. Intitulée « Concurrence et commerce : quelles politiques pour l’Europe ? », elle passe au crible l’efficacité des mesures communautaires en la matière. Son premier constat a de quoi surprendre : « Rien ne suggère que l’Europe ait une politique de concurrence excessivement rigoureuse », assurent les auteurs, Sébastien Jean, Anne Perrot et Thomas Philippon, tout trois membres du CAE.

Défense du pouvoir d’achat


De fait, sur 2 980 opérations de concentration notifiées à la Commission européenne entre 2010 et 2018, seules 7 ont été refusées. Parmi celles acceptées : la fusion de Luxottica et Essilor dans l’optique, ou de Lafarge et Holcim, dans le ciment. Preuve que la concurrence n’empêche pas l’émergence de champions européens, estiment les auteurs.

Surtout, celle-ci se montre efficace en matière de défense du pouvoir d’achat, son objectif premier. A cet égard, la comparaison avec les Etats-Unis est éclairante. Depuis quinze ans, Washington se montre plus laxiste en concurrence sur son territoire, si bien que la concentration des entreprises s’y est renforcée. Résultat : depuis 2000, les prix y ont, en moyenne, augmenté de 15 % de plus qu’en Europe où, dans certains pays, des mesures pro-concurrence ont eu des effets notoirement positifs. Exemple : l’octroi d’une quatrième licence à Free en France, en 2011, a fait baisser de 40 % les prix des services de télécommunications, désormais plus bas qu’outre-Atlantique.

Certes, les entreprises américaines, dont beaucoup sont en position dominante sur leur secteur, ont vu leurs profits augmenter bien plus vite que leurs homologues du Vieux Continent. Mais moins stimulées par la concurrence, elles ont utilisé cet argent pour distribuer plus de dividendes ou racheter leurs propres actions, tandis que leurs investissements, notamment en R&D, ont baissé. Dans le même temps, ceux-ci sont restés stables en Europe... Dit autrement : le problème européen ne vient pas de sa politique de concurrence, même si elle est perfectible, estime la note. Mais plutôt, « de l’articulation de celle-ci avec la politique commerciale ».

Si la première encadre le marché intérieur, la seconde définit nos relations avec l’extérieur, dans le respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est là que le bât blesse : à l’heure où le multilatéralisme est menacé par la fièvre protectionniste de Donald Trump, ce cadre ne suffit plus. « L’Europe doit s’armer pour défendre ses intérêts économiques », insistent les auteurs, égrenant les cas où les règles européennes sont peu efficaces. Ainsi, le délai de traitement des abus de position dominante est si long que, parfois, les entreprises indûment concurrencées disparaissent avant la résolution du dossier.

De même, les « acquisitions tueuses d’innovation », lorsqu’un grand groupe étranger – notamment les Gafam – achète une start-up française ou allemande pour tuer la concurrence dans l’œuf, échappent bien trop aux radars de Bruxelles. Comment les distinguer des acquisitions classiques ? Le CAE propose d’instaurer la possibilité d’un contrôle ex post de l’autorité de concurrence, et d’autoriser un démantèlement dans les situations jugées critiques, comme aux Etats-Unis.

Mais le cas le plus problématique est peut-être celui des subventions d’Etat. L’OMC définit celles-ci comme les contributions financières clairement identifiées d’un gouvernement ou d’une entité publique à une entreprise. « Or, dans le cas chinois, le caractère protéiforme des subventions, prenant souvent la forme d’accès privilégié au capital, transitant par une multitude de canaux, dépasse très largement ce cadre », prévient le CAE.

Réformer l’accord de l’OMC


Ce dernier suggère donc de réformer l’accord de l’OMC sur le sujet, en renforçant les obligations de transparence, et en facilitant l’adoption de mesures compensatoires lorsque de telles subventions sont préjudiciables.

Parce que la réciprocité sur l’ouverture des marchés publics est difficile à faire respecter, parce que la confusion autour des règles désavantage l’Europe face à la puissance chinoise, le CAE suggère également la création d’un « procureur commercial » européen. Nommé par la Commission, doté de moyens d’enquête sérieux et capable de prendre des mesures de sauvegarde, il permettrait aux Européens de parler d’une voix plus forte et «de régler les problèmes les plus importants ».

On peut regretter que la note n’en dise pas plus sur la politique industrielle, l’autre volet susceptible d’aider l’Europe à fabriquer des champions. Elle souligne, néanmoins, l’existence des « projets importants d’intérêts européens communs » (PIIEC), qui autorisent les aides publiques non pas à une entreprise, mais à un secteur industriel réparti sur plusieurs Etats. C’est dans ce cadre que Paris et Berlin espèrent bâtir une filière européenne des batteries électriques, susceptible de concurrencer celle de la Chine. Mais de tels projets, concluent les auteurs, ne pourront fonctionner que si les Etats membres parviennent à dépasser leurs intérêts nationaux pour s’entendre...




11/05/2019

Comment Moscou tire les ficelles de l’Opep

Bien qu’elle ne fasse pas partie du cartel, la Russie joue un rôle capital dans les négociations entre pays exportateurs de pétrole.



OPEP
OPEP

Quand l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) s’est réunie à Vienne en décembre du 5 au 7 elle était au bord de l’implosion. Les cours du pétrole avaient chuté, des pays membres tels que l’Iran, le Venezuela et la Libye refusaient de réduire leur production, le Qatar avait quitté l’organisation et le président des États-Unis, Donald Trump, faisait pression sur l’Arabie Saoudite pour qu’elle maintienne les prix à un bas niveau.

Alors que les négociations étaient sur le point de capoter, le secours est arrivé de là où l’on ne l’attendait pas : de la Russie, qui n’est même pas membre de l’Opep. Vladimir Poutine, son président, a en effet finalement accepté de réduire la production pétrolière de son pays, conformément aux souhaits de l’Opep, à condition que l’Iran puisse continuer à extraire du brut. Ni l’animosité qui régnait lors de cette réunion, ni le rôle essentiel joué par la Russie n’avaient filtré jusqu’alors. Pourtant, ce qui s’est passé à l’époque a marqué un tournant pour la Russie qui, jusque-là, ne coopérait pas du tout avec l’Opep, et qui en est devenue un partenaire indispensable.

Alors que le cartel avançait cahin-caha d’une crise à une autre (miné par l’effondrement des prix, les changements de régime dans certains pays membres, les luttes internes et les attaques fréquentes de Donald Trump), la Russie a mis à profit l’autorité que lui confère son statut de grand pays producteur de pétrole pour lui venir en aide. Vladimir Poutine a ainsi acquis une influence considérable sur le pilotage du marché mondial du pétrole brut, évalué à 1 700 milliards de dollars [par an], tout en étendant son pouvoir au Moyen-Orient.

“La Russie est désormais la thérapeute de l’Opep”, estime Helima Croft, directrice de la stratégie pour les matières premières de [la banque d’investissement canadienne] RBC Capital Markets.

Plaisanterie.

Le ministre saoudien de l'énergie remaquer récemment en plaisantant qu’il discutait davantage avec son homologue russe Alexander Novak qu’avec certains de c'est collegue. “Nous nous sommes rencontrés à douze reprises en 2018”, a-t-il confié lors d’une conférennce de presse en mars.
Lors de la prochaine réunion de l’Opep

[le Comité ministériel de suivi Opep et non-Opep devrait se réunir le 19 mai à Djeddah, en Arabie Saoudite, pour préparer la conférence de l’Opep du 25 juin à Vienne], les Russe et l’Arabie Saoudite vont chercher à formaliser ce qui n’est pour l’instant qu’une alliance provisoire. Les Etas-Unis ont considéré l’Arabie Saoudite comme l’un de leurs plus proches alliés géopolitiques, lui ont vendu des armes et l’ont encouragée à jouer un rôle stabilisateur au Moyen-Orient. En contrepartie, Washington exigeait un approvisionnement stable en pétrole des marchés mondiaux pour atténuer les flambées de prix préjudiciables à l’économie américaine.
Mais depuis qu’elle dispose d’un nouvel allié en la personne de la Russie, l’Arabie Saoudite n’est plus redevable uniquement à Washington.

Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont revu leur position de non-intervention qu’ils avaient depuis longtemps à l’égard du cartel. Donald Trump a posté plusieurs tweets demandant à l’Opep d’accroître sa production pour faire baisser les prix du pétrole, il a même téléphoné directement au gouvernement saoudien pour lui demander d’ouvrir les robinets. “Les liens entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite ont une importance vitale pour le maintien de la stabilité au Moyen-Orient et d’une pression maximale sur l’Iran”, explique un haut responsable de l’administration américaine, qui assure que “ces liens restent forts”.

Cependant, le meurtre du journaliste dissident Jamal Khashoggi dans le consulat de l’Arabie Saoudite en Turquie en octobre 2018 a créé une fêlure entre les deux pays – et a offert une occasion à la Russie de renforcer sa présence auprès de l’Opep.

En fait, l’alliance entre la Russie et l’Opep a vu le jour il y a plus de deux ans avec la nomination de trois nouveaux dirigeants. Tout d’abord, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le fils du roi Salmane, s’est mis à jouer un rôle plus actif dans la politique pétrolière de son pays, en rupture complète avec ce qui se faisait ces dernières années quand la cour royale laissait le soin à des hauts fonctionnaires du ministère de l’Énergie de s’en occuper. Mi-2016, il a remplacé, à la tête du ministère du Pétrole, Ali Al-Naïmi, qui incarnait la politique pétrolière saoudienne depuis des lustres, par Khaled Al-Faleh, qui a longtemps exercé des fonctions dirigeantes au sein de la compagnie nationale d’hydrocarbures Aramco. De son côté, Vladimir Poutine a chargé Alexander Novak de la stratégie pétrolière internationale du pays. Enfin, l’Opep a nommé le Nigérian Mohammed Barkindo au poste le plus élevé de secrétaire général.

Les cours s’étaient effondrés en 2016 et ne semblaient pas près de rebondir. Ces trois hommes avaient besoin d’arriver à un accord pour réduire la production afin de faire remonter les prix. La Russie et l’Opep ont alors accepté d’extraire moins de brut. À la mi-2018, les prix du brut étaient repartis à la hausse, du fait de cette baisse de production ainsi que d’un regain d’espoir de croissance économique mondiale. Mais, à la fin de l’année, les perspectives économiques mondiales étaient assez sombres à cause de la guerre commerciale entre les États- Unis et la Chine.

Quelque temps avant la réunion de décembre de l’Opep, les cours du pétrole avaient perdu près de 30 % en six semaines. Pour soutenir les prix, les Saoudiens doivent alors arriver à un accord à l’unanimité sur la réduction de la production. L’Iran, déjà handicapé par les sanctions américaines appliquées depuis novembre, est réticent. La Libye et le Venezuela, en proie à des troubles internes, traînent également les pieds.

Alors que le cartel est sur le point de se réunir à Vienne, le Qatar ébranle les marchés pétroliers mondiaux en annonçant [le 3 décembre] son départ de l’Opep. Il fait partie d’un petit groupe de pays membres qui se sentent marginalisés par le renforcement de l’alliance russo- saoudienne. À l’Opep, “quasiment tout tourne autour de ce que veulent le prince Mohammed et son copain Poutine”, regrette un haut fonctionnaire qatari.

Lors d’entretiens accordés au Wall Street Journal, des responsables de pays membres de l’Opep ainsi que des hauts fonctionnaires russes ont raconté les négociations tendues qui s’en sont suivies.

Dès le début de la réunion [le 6 décembre], Khaled Al-Faleh, le ministre saoudien de l’Énergie, doit faire face à des demandes contradictoires. D’un côté, Donald Trump exerce des pressions en privé sur le prince héritier saoudien pour qu’il maintienne les cours du pétrole à un bas niveau, et incite publiquement sur Twitter l’Opep à faire de même. “Espérons que l’Opep maintiendra en l’état ses flux pétroliers sans les restreindre, tweetait le président américain le 5 décembre. Le monde ne veut pas et n’a pas besoin d’un pétrole plus cher !”

De l’autre côté, Khaled Al-Faleh doit garantir des recettes pétrolières suffisantes à son pays – une incitation à faire monter les prix. En effet, près de 87 % des rentrées budgétaires de l’Arabie Saoudite proviennent du pétrole.

Quand Khaled Al-Faleh demande à l’Iran de baisser sa production comme les autres, le ministre du Pétrole iranien, Bijan Zanganeh, refuse, reprochant aux pays du Golfe d’avoir pris les parts de marché perdues par l’Iran à cause des sanctions internationales. Selon une source présente lors du débat, il aurait pointé du doigt Suhail Al-Mazroui, le ministre de l’Énergie des Émirats arabes unis et président de l’Opep, en lui lançant : “Vous êtes l’ennemi de mon pays !” Il menace ensuite de se retirer de l’Opep.

L’organisation est censée parvenir à un consensus dans la journée et le lendemain se réunir avec le groupe des pays non membres de l’Opep [dit “Opep +”], dirigé par la Russie et qui comprend notamment le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan [mais aussi le Mexique, Oman, la Malaisie...], afin de parvenir à un accord plus large. Mais Suhail Al-Mazroui est contraint de lever la séance sans avoir abouti à un accord.

Promesse. 

Le russe Alexander Novak, qui était à Vienne, rentre à Saint- Pétersbourg en début de journée pour consulter Vladimir Poutine. Ce dernier lui donne alors son aval pour proposer une diminution de la production russe plus importante que prévu, et lui demande de s’assurer que la réunion ne se conclura pas sans accord.

De retour à Vienne, Alexander Novak rencontre son homologue iranien et lui promet d’amener les Saoudiens à exempter Téhéran de toute diminution de production, toujours selon des responsables de l’Opep. Lors d’une rencontre en aparté avec Khaled Al-Faleh, Alexander Novak accède à la demande de l’Arabie Saoudite de voir la Russie réduire ses volumes dans les mêmes proportions qu’elle, en échange de la promesse de Riyad d’autoriser l’Iran à continuer à pomper du brut. Novak reconnaît que la Russie a tout intérêt à ce que l’Opep réduise sa production. “Nous avons besoin d’un baril à 60 dollars, déclare-t-il, et nous sommes encore sous le coup de sanctions.”

Khaled Al-Faleh est tout sourire lorsqu’il retourne dans la salle des négociations de l’Opep.

La coalition a commencé à diminuer sa production en janvier. Depuis, les cours du pétrole se sont relevés de 30 %. L’Arabie Saoudite affirme avoir davantage réduit ses volumes que ce qu’elle avait promis. De son côté, la Russie s’était engagée à diminuer sa production de 230 000 barils par jour, mais en mars, elle ne l’aurait fait que de 120 000 barils par jour, selon des représentants de l’Opep et de la Russie.

Néanmoins, Riyad est prêt à fermer les yeux sur les manquements de la Russie car il a besoin de soutien sur la scène internationale. “Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les Russes”, affirme un responsable saoudien.

Contamination

Voilà qui est “embarrassant pour la Russie et qui ternit son image de fournisseur fiable de pétrole”, note le Financial Times. “Aux alentours de Pâques, raconte Fortune, des rumeurs ont commencé à circuler dans les compagnies pétrolières occidentales, selon lesquelles le pétrole russe transporté par l’oléoduc Droujba [...] était pollué par du chlorure organique.” Ce produit très corrosif est utilisé dans certains puits de pétrole mais doit être retiré ensuite, sous peine d’endommager les pipelines et les raffineries. La contamination – d’origine encore indéterminée – affecterait l’équivalent de “30 millions de barils, soit 15 supertankers”, ajoute Bloomberg. En Biélorussie, l’oléoduc Droujba se divise en deux branches : le tronçon nord va en Allemagne via la Pologne, le tronçon sud passe par l’Ukraine, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie. Plusieurs de ces pays doivent désormais puiser dans leurs réserves stratégiques de brut pour alimenter leurs raffineries. L’incident a alimenté la hausse des cours du pétrole ces dernières semaines.

03/05/2019

En Russie, les cas d’accusation de crime économique se multiplient

Ces dernières années, la justice s’est muée en arme au service du pouvoir politique





Vladimir Poutine
Vladimir Poutine



Avec moi, en prison, il y avait beaucoup d’ hom­mes d’affaires condamnés à des peines de cinq ou six ans », se souvient Oleg Navalny, de passage à Paris avec son frère Alexeï, l’op­posant russe qui porte plainte contre la société française Yves Rocher pour « dénonciation ca­lomnieuse ». « Beaucoup d’entre eux s’étaient simplement opposés à la saisie de leurs actifs par des re­ présentants du pouvoir, ou avaient refusé de se faire racketter. »

Ces dernières années, la justice s’est de plus en plus transformée, en Russie, en un outil de résolu­tion de conflits commerciaux, ou en arme au service du pouvoir po­litique. S’il n’a pas été le premier condamné dans une affaire éco­nomique manifestement fabri­quée, l’opposant Alexeï Navalny, grand frère d’Oleg, fait partie des précurseurs.

« En 2012, quand l’affaire Yves Ro­cher a démarré, ces accusations étaient encore exceptionnelles, assure ­t'­il. A l’époque, le pouvoir cherchait n’importe quoi pour me faire taire, sans pour autant faire de moi un prisonnier politique. Il a été jusqu’à solliciter des anciens de mon école, à évoquer des cas de braconnage... L’affaire Yves Ro­cher, qui plus est portée par une firme étrangère, leur convenait parfaitement. »

De fait, en se faisant accuser d’es­croquerie, M. Navalny se voyait ainsi attaqué sur son propre terrain. En effet, l’ancien avocat s’est imposé au sein de l’opposition par ses enquêtes sur la corruption des caciques du régime. En 2011, sa for­mule faisant de Russie unie, le parti au pouvoir, «le parti des voleurs et des escrocs » fait florès.

« Affaires fabriquées »


Dès juillet 2012, une première af­faire, dite Kirovles, avait été ouverte contre lui, qui aboutira à une condamnation pour un dé­tournement supposé. Comme dans l’affaire Yves Rocher, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a évoqué un procès « arbitraire » et « de nature politique ».

Depuis, les procès pour corrup­tion de hauts dirigeants sont monnaie courante, avec quelques cas retentissants, comme ceux, en 2016, du ministre de l’écono­mie Alexeï Oulioukaïev ou du gouverneur de Kirov Nikita Bielykh. Dernière affaire en date, en mars 2019, les accusations de détournement contre l’ex­minis­tre du « gouvernement ouvert », Mikhaïl Abyzov, qui font suite à plusieurs arrestations de gouver­neurs ou de hauts fonctionnaires.

« Oulioukaïev et Abyzov sont des voleurs, des gens sur lesquels nous avons enquêté. Mais nous ne pou­vons pas crier victoire, explique Alexeï Navalny, car leurs affaires ont aussi été fabriquées. Ce que nous exigeons, ce sont de vrais tri­bunaux et une vraie lutte contre la corruption, pas quelques victimes des luttes de clans qui sont ensuite recyclées en une prétendue lutte contre la corruption. Sinon les “pe­tits”, ceux qui dérangent, continue­ront, eux aussi, d’être victimes. »

Des simples hommes d’affaires aux opposants locaux, les cas d’accusations de crimes écono­miques – fraude, escroquerie, blanchiment, détournement... – sont de plus en plus en nom­breux. « Techniquement, rien n’est plus simple que de fabriquer une affaire, assure M. Navalny. Il suffit d’un document quelconque avec quelques chiffres écrits dessus, qui servira de preuve, et d’un juge aux ordres ou acheté, dont le travail se limite à recopier l’acte d’accusa­tion dans son verdict. »

Quant au nombre toujours plus élevé de membres de l’élite diri­geante inquiétés, elle s’explique­rait, selon M. Navalny, par la mise en retrait du président Vladimir Poutine des affaires intérieures. « Avant, pour attaquer un ministre ou un gros poisson, il fallait un or­dre direct de Poutine. Aujourd’hui, le président est occupé à ses jeux géopolitiques, et n’importe quel gé­néral du FSB [les services de sécu­rité] peut rentrer dans ce jeu pour obtenir des galons ou de l’argent. » D’après lui, la logique à l’œuvre se­ rait la même s’agissant des diri­geants américain et français du fonds d’investissement Baring Vostok, en conflit commercial avec un banquier influent et à pré­sent poursuivis pour fraude.