13/10/2020

Des éléments secrets de l’accord UE-Mercosur

Greenpeace révèle le contenu de l’Accord entre l’UE et les pays du Mercosur, et déplore que la lutte pour le climat et la biodiversité n’y soient pas des «éléments essentiels».

L’accord commercial entre l’Union européenne et les pays latino-américains du Mercosur a du plomb dans l’aile, et la fuite de l’Accord d’associa- tion qui l’encadre ne risque pas de l’aider à prendre son envol.

«Il manque deux éléments à presque tous les aspects de protection environnementale et climatique dans l’accord: un engagement contraignant et une force exécutoire», observe l’ONG environnementale Greenpeace, qui a obtenu et diffuse ce vendredi une version de cet accord datée du 18 juin.

Légitime, pas essentiel

Ainsi, ni la lutte contre le réchauffement climatique ni la protection de la biodiversité n’ont le statut d’«élément essentiel» de l’accord, contrairement au respect des principes démocratiques, ou à l’engagement à mettre en œuvre les traités de non-prolifération d’armes nucléaires. Or ce statut est un puissant levier puisque si l’une des parties considère qu’une autre contrevient à un tel élément, elle peut prendre des «mesures appropriées», y compris – en dernier resort – la suspension partielle ou complète du traité. En mai dernier, la France et les Pays-Bas avaient demandé de faire de l’Accord de Paris sur le climat un «élément essentiel» de tout accord de commerce européen – y compris ceux en cours de négociation.

La protection de l’environnement n’est pas davantage classée parmi les «principes directeurs» de l’accord, comme l’est le développement économique et social. Elle est reléguée aux «objectifs politiques légitimes», en vertu desquels les parties ont pleinement le droit de réguler.

Cette semaine, le Parlement européen s’est opposé à la ratification de l’accord UE-Mercosur, mais sans que les élus aient connaissance du volet dévoilé aujourd’hui. «La transparence n’est pas de mise, il est incroyable qu’on ait connaissance des dossiers via des fuites», indique l’écologiste Saskia Bricmont, seule eurodéputée belge francophone membre de la commission du Commerce international (Inta).
Inquiet de la politique environnementale du président brésilien Jair Bolsonaro, en contradiction avec les engagements de l’Accord de Paris, le Parlement européen «souligne que, dans ces conditions, l’accord UE-Mercosur ne peut être ratifié en l’état», indique la résolution adoptée mercredi.

Les directives de négociation de l’Union européenne avec les quatre pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) ont été définies en 1999, un accord politique a été annoncé vingt ans plus tard. Son volet commercial doit lever la majorité des taxes sur les exportations européennes (4 milliards d’euros par an), il reconnaît 350 indications géo-graphiques protégées européennes et ouvre les marchés publics aux entreprises, notamment.

Sérieux doutes

L’accord est depuis longtemps la cible d’attaques soutenues de la société civile, et notamment des associations de défense de l’environnement. «Il est tout à fait possible de faire des accords commerciaux qui garantissent la justice sociale et répondent à la crise du climat et de la biodiversité, mais on est face à un accord du siècle dernier, inconsistant avec la stratégie européenne du Pacte vert», abonde Matteo De Vos, chargé de campagne chez Greenpeace.

Depuis un an, les remises en cause se multiplient chez certains décideurs politiques européens. À l’été 2019, Emmanuel Macron annonçait retirer son soutien au traité, dénonçant l’inaction du Brésil, en matière de climat et de biodiversité. Il a été soutenu par l’Irlande et le Luxembourg. Le parlement autrichien a voté contre l’accord commercial, suivie de celui des Pays-Bas, mais aussi en Belgique des instances wallonnes et bruxelloises. Et en août, en pleine présidence allemande de l’UE, c’est la chancelière Angela Merkel qui a émis de «sérieux doutes» sur l’avenir de l’accord, dont devait pourtant débattre bientôt le Conseil.

Vendredi dernier, le commissaire au Commerce Valdis Dombrovskis a lui aussi émis des réserves: «Nous allons avoir besoin de résultats, d’engagements substantiels de la part des pays du Mercosur avant de pouvoir procéder à la ratification», reconnaissant aussi que la mise en œuvre des chapitres sur le développement durable des autres accords commerciaux passés par l’Union «n’est pas suffisamment forte».

L’Accord d’association avec le Mercosur doit être adopté par tous les parlements nationaux européens. Si le volet commercial est scindé en un traité distinct, celui-ci pourrait être adopté à la majorité par les législateurs européens.