30/09/2016

Menace dans les affaires pour les avocats


SERVICES JURIDIQUES EN LIGNE : LES «LEGAL TECH», UNE MENACE POUR LES AVOCATS?
La plateforme américaine Rocket Lawyer débarque en Europe. Ce nouveau géant de la « legal tech » est occupée à ubériser des pans entiers du droit. En Belgique, quelques start up commencent à se positionner sur ce nouveau créneau.



Legal tech



Déjà installée en Grande-Bretagne, la start-up californienne Rocket Lawyer déboule en Europe continentale. Elle déploiera ses services en France, aux Pays-Bas et en Espagne, avant de s’étendre dans d’autres pays européens. Lesquels? «Ce n’est pas encore tranché», répond Christophe Chevalley, directeur général de Rocket Lawyer Europe. L’entreprise, qui a déjà levé plusieurs dizaines de millions de dollars depuis sa création en 2008, auprès d’investisseurs comme Google Ventures et Morgan Stanley, occupe environ 200 personnes, dont une vingtaine désormais en Europe. Sa stratégie est de s’implanter localement en joint-venture avec un acteur juridique: en France, il s’agit du groupe d’édition ELS, qui héberge notamment Larder, premier éditeur juridique en Belgique.
Rocket Lawyer propose des documents juridiques (statuts d’entreprise, pactes d’actionnaires, contrats de travail, reconnaissances de dettes, contrats de fourniture de services, etc.) et du conseil en ligne à prix cassés. Aux Etats-Unis, un abonnement mensuel donnant accès à l’ensemble des documents coûte 40 dollars. Autant dire que ce genre de service fait frémir les avocats. Mais les dirigeants de Rocket Lawyer veulent à tout prix rassurer les professionnels du droit: «Les avocats ne sont pas des concurrents, mais des partenaires», assure Christophe Chevalley. Le site s’entoure en effet d’avocats qui exercent une mission de conseil, complémentaire au téléchargement de documents. Après un premier contact gratuit, l’utilisateur qui souhaite approfondir certaines questions devient client direct de l’avocat. Ce dernier ne doit rien reverser à Rocket Lawyer, qui bénéficie grâce à la présence de professionnels sur son site d’une forme de légitimité juridique.

«La plupart des avocats sont conscients qu'il faut moderniser la profession.»

Ogre de la legal tech, Rocket Lawyer débarque en France sur un marché où foisonnent les initiatives juridico-numériques, comme LegalStart, actif sur le même créneau que son nouveau concurrent américain, ou encore Captain Contrat (modèles de contrats), Weclaim (actions collectives), Guacamol (création de sociétés, etc.). En Belgique, les initiatives sont encore peu nombreuses. Mais elles existent. Et elles commencent à agiter le petit monde du droit.

Un contrat personnalisé en 15 minutes

Créé en février dernier, la start-up bruxelloise Lawbox propose elle aussi des documents juridiques à télécharger. Le service se destine principalement aux entrepreneurs et aux petites entreprises. «Les PME ont des difficultés d’accès aux services juridiques. Nous leur proposons une solution rapide et bon marché. En 15 minutes, ils peuvent confectionner un contrat personnalisé», explique Thibaut Roberti, CEO de Lawbox. La start-up lance cette semaine une nouvelle version (bêta) de son site internet, qui donne accès à une centaine de documents conçus par des avocats: contrat de cession d’action, clause de protection de propriété intellectuelle, contrat de location pour un logement Airbnb, etc. Le service fonctionne soit à l’achat unique (49 euros par document téléchargé) soit sous forme d’abonnement (99 euros par mois avec un appel à un avocat). Si nécessaire, le client peut contacter un avocat pour un conseil personnalisé (35 euros les 20 minutes).
Thibaut Roberti vante le caractère bon marché de ses services : 50 euros pour des conditions générales de vente, quand un avocat peut les facturer 500 euros, sou
ligne-t-il. Mais il se défend de vouloir ubériser le secteur : « Lawbox ne veut en aucun cas être concurrent aux avocats. Nous n’avons d’ailleurs aucune compétence juridique, précise le CEO de Lawbox. Nous mettons à disposition un outil permettant aux avocats de proposer leurs services de rédaction de contrat à un prix beaucoup plus compétitif. Nous leurs achetons les modèles et ils reçoivent des royalties sur les ventes de ceux-ci. » Pour déployer ses services, l’entrepreneur souhaite développer des partenariats avec d’autres acteurs (compagnies d’assurances ou mutuelle par exemple), qui pourraient proposer sa plateforme à leurs clients comme option complémentaire. Le CEO de Lawbox assure ne pas avoir reçu de remarques négatives de la part d’avocats: «La plupart des avocats sont conscients qu’il faut moderniser la profession», souligne-t-il.

Opérateurs low-cost

Pourtant, une certaine méfiance semble régner dans la profession autour de ces nouveaux outils en ligne. Associé chez Philippe & Partners, Jean-François Henrotte est président du groupe de travail «avocat augmenté» créé au sein d’Avocats.be. Il ausculte avec attention l’arrivée de ces acteurs alternatifs: «Le risque avec ces opérateurs low-cost, c’est que la déontologie s’érode. Pour répondre à ce nouveau modèle, nous devons développer nos propres services, avec la valeur ajoutée de l’avocat», estime Jean-François Henrotte. C’est ainsi que «Plus aucun avocat ne fait du bail.
Mon concurrent, c'est le bail papier.» Régis de Boisé, fondateur de LeBonBail.be
le barreau de Liège a créé un site permettant de télécharger gratuitement des modèles de contrat et d’entrer en contact en ligne avec un avocat. Un tiers du barreau de Liège est déjà inscrit sur la plateforme, qui comptabilise plusieurs centaines de consultations par an.
Les avocats tentent donc de se mobiliser pour contrer l’émergence de start-up du droit généralement pilotées par des entrepreneurs numériques plutôt que par des juristes professionnels. Mais ils auront sans doute du mal à freiner la créativité des legal tech. Plus spécialisée que Lawbox, LeBonBail.be fournit, comme son nom l’indique, des contrats de bail personnalisés. Le site promet de réaliser un contrat de résidence principale en dix minutes grâce à un formulaire dynamique. Il peut même s’occuper de l’enregistrement du bail via un simple envoi par e- mail. Le service est entièrement gratuit.

LeBonBail.be se rémunère via des partenariats noués avec des assurances, des sociétés de déménagement, des fournisseurs de gaz ou d’électricité... qui sollicitent les parties après signature de l’acte. En Belgique, la start-up clôture une douzaine de contrats par jour. Elle est déjà active en France et aimerait mettre un pied en Allemagne. LeBonBail.be fonctionne sur un modèle de marque blanche, intégrée comme option sur des sites liés à l’immobilier. Les principaux utilisateurs sont des agents immobiliers, mais le site est aussi fréquenté par des particuliers, et même des notaires. S’il est bien sur le créneau de la legal tech, Régis de Boisé, fondateur de la start-up, assure qu’il ne mange pas le pain des avocats: «Plus aucun avocat ne fait du bail. Mon concurrent, c’est le bail papier », avance l’entrepreneur.

Automatisation du droit

Cela fait effectivement bien longtemps que les professionnels du droit ne s’occupent plus de toute une série d’opérations « mineures ». A l’heure de signer un bail ou autre « contrat-type », beaucoup de particuliers vont à la pêche aux documents sur Google. C’est sur ce marché « parallèle » qu’un acteur comme Le Bon Bail va chercher ses clients. Rocket Lawyer ou Lawbox, qui proposent une plus grande panoplie de services, même s’ils restent relativement basiques, se retrouveront plus facilement en concurrence avec des avocats généralistes. Mais les plus grands cabinets, qui ont abandonné depuis longtemps ce type de produits, ne sont pas concernés. Du moins pas encore.
La numérisation de toute une série de tâches effectuées par les avocats est en effet en cours. D’après une enquête du Boston Consulting Group, les legal tech pourraient bientôt réaliser entre 30% et 50 % des missions confiées actuellement à des avocats «juniors». Du coup, les cabinets d’affaires cherchent à internaliser le développement de ces nouvelles solutions de numérisation, afin de les proposer à leurs clients: «Nous nous intéressons de près à l’automatisation, avance Henk Vanhulle, managing partner de Linklaters. Au niveau du groupe, nous investissons des sommes importantes dans des logiciels de pointe permettant de traiter de grandes quantités de documents en un temps record. » L’intelligence artificielle, qui progresse à grands pas, pourrait prochainement bouleverser encore plus profondément le secteur juridique.


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