Un rapport de la Commission montre la croissance des investissements étrangers sur le territoire de l’Union
C'est une première et, pour certains, l’amorce d’un vrai virage pour la politique commerciale et industrielle: dans un long rapport publié mercredi 13 mars, la Commission européenne détaille les investissements étrangers sur le territoire européen et, singulièrement, dans les secteurs-clés de l’économie. C’est aussi un pas vers la mise en place d’un mécanisme qui pourra aboutir, à l’avenir, au « filtrage » de certaines de ces opérations si elles devaient présenter un risque trop grand. L’étude indique que les investissements venus de l’étranger – hors de l’Union européenne (UE) – sont en croissance continue, avec, désormais, 35 % des actifs aux mains de compagnies étrangères – et, à la clé, 16 millions d’emplois. C’est 10 % de plus qu’il y a dix ans. Le rapport évoque – c’est nouveau – les dangers que peut engendrer cette situation si le contrôle exercé par l’UE et ses pays membres est insuffisant et si des secteurs stratégiques continuent d’être ciblés par des pays tiers. Aucun Etat et aucune menace ne sont précisément désignés, mais il est évident que les tensions avec la Russie, l’inquiétude croissante sur le rôle de la Chine ou les risques d’un conflit commercial accru avec les Etats-Unis ont favorisé une prise de conscience. Le rapport relève, aussi, la progression rapide des investisseurs « offshore », c’est-à-dire ceux situés dans des pays identifiés comme des paradis fiscaux, qui sont parvenus, en peu de temps, à contrôler 4 % des actifs étrangers dans l’UE.
Un contrôle accru
L’affirmation d’une position plus ferme, la préoccupation sécuritaire et l’exigence de réciprocité visent d’abord, à « répondre à une forte demande des citoyens et des parties prenantes », souligne la commissaire au commerce, Cecilia Malmström, dans le communiqué. « Nous ne sommes pas des naïfs du libre-échange », ajoute le président Jean-Claude Juncker.
Toutefois, Bruxelles insiste : il faut, en même temps, préserver l’un des régimes d’investissements les plus ouverts au monde. Ou du moins, ses aspects les plus bénéfiques. Ce n’est donc que « dans des cas exceptionnels » qu’il faudrait considérer des investissements étrangers comme potentiellement dangereux pour l’ordre public d’un pays, ou de l’UE dans son ensemble.
Bien des domaines sont, en réalité, déjà dominés par des intérêts hors UE: le raffinage (67 %), les produits pharmaceutiques (56 %), l’électronique et l’optique (54 %). Dans les assurances (45 %) et les équipements électriques (39 %), la part des investissements étrangers est également déterminante. Le rapport met notamment en évidence la forte progression de la Chine dans la machinerie très spécialisée et l’aéronautique. « Pourquoi ? Parce qu’elle veut créer le concurrent d’Airbus et Boeing ! », note l’euro- député Les Républicains Franck Proust, rapporteur du texte voté en février par le Parlement de Strasbourg et visant à la mise en place d’un possible « épurement » des investissements étrangers. Les Etats-Unis, le Canada ou le Japon disposent de longue date de mécanismes de ce type.
Le rapport de la Commission fournit les premiers éléments factuels en vue de ce contrôle accru. L’étude, qui sera désormais annuelle, souligne que si les investisseurs « traditionnels » (Etats- Unis, Canada, Suisse, Japon, Nor- vège, etc.) sont présents dans presque tous les domaines d’activité en Europe et gardent une place prépondérante – ils possèdent 80 % des actifs européens détenus par des étrangers – on note surtout l’irruption de nouveaux acteurs. Y compris des particuliers et des familles pas toujours bien identifiés, porteurs de passeports russes, chinois ou américains, qui ont procédé à quelque deux cents investissements en 2017.
Ces nouveaux venus orientent surtout leurs placements vers les technologies de l’information, l’aéronautique et les secteurs de pointe. Des fonds d’investissement et de placement ciblent, eux, le secteur financier, dont plus du tiers des actifs étaient détenus par des non-Européens en 2016. Mais c’est sans doute la prise de contrôle, en 2016, par le groupe chinois Midea, du fabricant allemand de robots Kuka, qui aura le plus marqué les décideurs euro- péens. D’autant que le dirigeant de l’entreprise – qui avait soutenu le rachat – a depuis été licencié...
Les participations issues d’entreprises d’Etat, notamment les russes, les chinoises et celles issues du Golfe, représentent un autre sujet de préoccupation alors que quelque 400 sociétés européennes sont directement contrôlées par des Etats étrangers, contre seulement 15 en 2007. « Certaines puissances étrangères planifient leur politique de conquête économique mais l’Europe vient donc de s’armer afin de ne pas devenir un supermarché pour grandes puissances », estime M. Proust
Le mécanisme de « protection » envisagé devrait être réellement opérationnel dans dix-huit mois. Il est vu comme complémentaire de celui mis en place, au niveau national, par quatorze pays membres–la France et l’Allemagne notamment. Il permettra à l’UE de collecter, analyser et partager des
informations sur les investisseurs, leur profil, leur financement. Il est aussi censé identifier « l’investisseur ultime », ce qui devrait empêcher une tentative malveillante de prise de contrôle d’un actif jugé stratégique.
Les Etats et la Commission européenne pourront émettre des avis (non contraignants) sur tout investissement dans l’Union. Et si un tiers des Etats évoque un risque, Bruxelles devra soulever publiquement la question. De quoi, peut-être, écarter les dangers mais aussi éviter des divisions comme celles apparues entre Paris et Varsovie d’un côté, Berlin de l’autre, au sujet de Nord Stream 2, le gazoduc sous la Baltique qui aboutira en Allemagne.
«Un Etat montré du doigt ne pourra plus dire qu’il ne savait pas ! », insiste M. Proust, pour qui la réforme favorisera encore les investissements étrangers, mais plus les investissements « étranges ».
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