Même remplis de bonnes intentions, les managers ont tendance à inhiber leurs collaborateurs.
Il est probable que vos salariés vous cachent des
informations précieuses – à propos d’un projet
qui a mal tourné, par exemple, ou d’un manager qui se comporte mal. Ou peut-être n’expriment-ils pas
leur avis sur les façons dont l’entreprise pourrait
augmenter son chiffre d’affaires ou améliorer ses
opérations. Peu importe à quel point vous êtes ouvert
en tant que manager : d’après les recherches,
la plupart des salariés auront tendance à se taire
plutôt que de remettre en question des initiatives ou
de suggérer de nouvelles idées.
Cela est vrai, même si, comme la plupart des leaders, vous pensez avoir une politique d’ouverture, vos employés viennent-ils souvent vous voir, sur votre « territoire », pour vous livrer la vérité nue uniquement
parce que vous les avez encouragés à le faire ? En réalité, ils craignent – à tort ou à raison – de vous voir
prendre leurs commentaires à titre personnel ou de
passer pour d’irrespectueux je-sais-tout.
Les leaders utilisent toute une gamme d’outils
pour faire parler les salariés, comme des enquêtes sur
le « climat » et des séances de feed-back destinées à
l’ensemble du personnel. Beaucoup de ces initiatives
visent à améliorer la communication à tous les échelons de la hiérarchie. Mais en général elles ne fonctionnent pas, malgré toutes les bonnes intentions,
pour deux raisons essentielles : la peur des conséquences (embarras, isolement, évaluations négatives
des performances, promotions manquées et même
licenciement) et une impression d’inutilité (la
conviction que dire quelque chose ne changera rien,
alors pourquoi s’embêter ?. Ici, nous allons voir en
quoi les tentatives malencontreuses des leaders pour
encourager la franchise échouent à contrer – voire
renforcent – ces sentiments. Nous examinerons également des approches beaucoup plus efficaces.
Au cours d’un certain nombre d’études, nous avons
constaté que, lorsque les employés peuvent exprime librement leurs préoccupations, les entreprises bénéficient d’un meilleur maintien de l’effectif et d’un rendement plus élevé. Dans plusieurs sociétés de services financiers, par exemple, les business units dont
les employés ont prier s’exprimer le plus ont eu de
bien meilleurs résultats financiers et opérationnels
que les autres. Et dans une chaîne nationale de restaurants, des managers sont parvenus à persuader les
cadres supérieurs d’apporter des améliorations qui
ont réduit la rotation du personnel de 32 % et permis
d’économiser au moins 1,6 million de dollars par an.
Faire tout cela au mieux est donc profitable, non
seulement aux individus avides d’apporter leur
contribution, mais aussi aux entreprises qu’ils
veulent améliorer.
Le facteur peur
Pas besoin d’un patron tyrannique pour que la peur
règne au sein d’une entreprise. Et il importe peu
qu’un événement perturbant, comme une restructuration ou un rachat, ait eu lieu longtemps auparavant.
Une fois que la peur de parler librement s’est installée,
les salariés ne cessent de justifier leur silence avec des
explications du genre : « Notre culture est ainsi faite.
On ne peut pas être en désaccord avec son patron. »
Sans s’en rendre compte, les leaders ont tendance
à aggraver le problème avec les pratiques suivantes :
Se fonder sur un feed-back anonyme.
La promesse de l’anonymat est un moyen courant d’encourager le franc-parler. Boîtes à suggestions, lignes
éthiques, médiateurs, évaluations à 360 degrés et enquêtes de satisfaction visent ce même objectif. La
logique est celle-ci : si personne ne sait qui a dit quoi,
il n’y aura aucune répercussion et on peut donc être
franc sur n’importe quel sujet.
Ce raisonnement présente trois failles.
Premièrement, permettre aux employés de rester
anonymes met en réalité les risques de parler librement en évidence – et renforce leur peur. Cela sous-
entend : « Il n’est pas prudent de faire part de ses opinions ouvertement dans cette société. Nous avons
donc créé d’autres voies de communication pour obtenir les informations dont nous avons besoin. »
Deuxièmement, l’anonymat peut déclencher une
chasse aux sorcières. C’était un des thèmes abordés
dans une entreprise du classement Fortune 500. Quand des employés apportaient
un feed-back négatif par l’intermédiaire de hotlines,
de boîtes à suggestions et autres, certains patrons exigeaient de savoir : « Qui a dit ça ?! » Des salariés d’autres
entreprises ont eu des expériences similaires. Beaucoup nous ont raconté qu’ils vont dans des bibliothèques et des cybercafés et utilisent des ordinateurs
publics pour remplir les questionnaires destinés aux
employés en ligne – parce qu’ils craignent sinon d’être
tracés via leur adresse IP.
Un homme a déclaré qu’il ne signalerait pas un problème, même à un médiateur.
Quand je lui ai demandé pourquoi, il a répliqué : « Qui
paie son salaire ? »
Troisièmement, et c’est peut-être le point le plus
important, il peut être difficile de régler un problème
tout en protégeant l’identité de la personne qui l’a
soulevé. Signaler dans un questionnaire qu’un manager agit de façon abusive, incompétente, raciste ou
sexiste n’est d’aucune utilité, à moins que les RH ou
un médiateur puissent évaluer l’étendue du problème, en rechercher les causes et mettre au point des
recommandations. Cela signifie qu’il faut mener des
entretiens, recouper les témoignages et recueillir des
informations complémentaires – ce qui implique de
parler à la personne qui a porté des accusations à l’encontre du manager. Et si une plainte fait référence à
un incident précis, le manager a souvent une idée
tout à fait claire de la personne qui l’a déposée.
Envoyer des invitations générales à se manifester.
Les portes et les attitudes ouvertes sont tout
simplement trop passives. Les salariés doivent tout
de même vous aborder pour engager une conversation, et c’est intimidant.
Dans un centre d’appels américain d’une compagnie d’assurances du Fortune 500, par exemple, les
opérationnels avaient un manager très aimable qui
montrait de l’intérêt et prenait même des mesures
lorsque des problèmes étaient soulevés. Pourtant, les
employés de ce centre d’appels ne lui faisaient
presque jamais part de problèmes de script, d’idées
pour améliorer le rendement ni de suggestions de
ventes croisées. Pourquoi ? Parce que son bureau se
trouvait à un autre étage et que, pour aller jusqu’à lui,
il fallait passer par quatre portes fermées et devant
trois secrétaires. Les centaines d’employés qui dépendaient de lui ne le voyaient presque jamais, si bien
qu’ils n’avaient pas l’impression de le connaître et
n’osaient pas l’aborder.
« Mais mes employés viennent me parler », êtes-
vous peut-être en train de vous dire. Très bien, mais il
y a peut-être des choses qu’ils ne vous racontent pas
– des sujets qui semblent plus risqués. En particulier,
si vous vous identifiez étroitement à une initiative, ils
garderont sans doute pour eux des critiques constructives la concernant, en partant du principe que vous
les prendriez à titre personnel.
Une étude menée auprès de
centaines de managers et de professionnels de pays
différents le confirme. Dans cette étude, des participants choisis au hasard pour former un premier
groupe doivent imaginer qu’ils font partie d’une
équipe multifonctionnelle chargée de développer un
nouveau produit. On leur dit que le projet se heurte
à de graves problèmes techniques et qu’ils devraient
recommander d’y mettre un terme avant de courir à
la catastrophe. Un second groupe, auquel on dit la
même chose, reçoit néanmoins une information
supplémentaire : le patron a consacré beaucoup de
temps à ce projet. Selon nos constatations, les
individus de ce groupe sont bien moins enclins à dire
ce qu’ils pensent. Comme l’a fait remarquer l’un
d’entre eux, la franchise risque de blesser ou
d’énerver le patron. « Il y a un vieil adage qui dit ‘‘il
ne faut pas tuer le messager’’, mais en général le
messager se fait tuer. »
Laisser entendre que c’est vous le boss.
Que
vous en ayez conscience ou non, vous exprimez probablement votre pouvoir en émettant des signaux
subtils (que le psychologue social Richard Hackman a
appelés « stimuli ambiants »). Cela peut inciter vos
employés à se refermer sur eux-mêmes.
Lorsque quelqu’un s’aventure dans votre bureau,
vous adossez-vous à votre fauteuil, les mains croisées
derrière la tête ? Vous pensez peut-être créer une atmosphère détendue, mais en réalité vous affichez
votre domination (cette posture vous fait paraître plus
gros, une tactique que les animaux et les humains utilisent pour faire fuir les autres). Etes-vous assis dans
un fauteuil ergonomique coûteux, derrière un grand
bureau en chêne, tandis que votre employé en a un
beaucoup plus petit, moins cher et moins confortable ?
Malgré vos bonnes intentions (« Allez-y, entrez ! »),
vous lui dites incidemment de regarder où il met les
pieds dans votre territoire.
Nous avons vu les effets des signaux subtils de
pouvoir dans de nombreuses entreprises. Le directeur
général d’un grand hôpital nous a raconté
une anecdote à propos d’un éminent médecin urgentiste. Pendant des années, ce médecin a eu un excellent dossier et a été très estimé de ses collègues
pour la qualité des soins qu’il prodiguait. Pourtant, il
avait systématiquement de mauvais résultats en matière de satisfaction des patients. Malgré l’exactitude
de ses diagnostics et l’efficacité de ses traitements, ses
patients n’étaient jamais à l’aise avec lui. Lorsque son
infirmière lui a signalé que cela les incitait à garder
pour eux des informations importantes pour l’établissement du diagnostic, il a finalement compris à quel
point c’était problématique.
Encouragé par le directeur général, le médecin a
effectué un changement simple : il s’est assis sur une
chaise lors de la tournée de ses patients, de façon à
pouvoir leur parler face à face au lieu d’être debout au-dessus d’eux allongés dans leur lit. Sa conversation
était toujours brève et son contact avec les patients presque inexistant, mais sa position assise a fait toute
la différence. Celle-ci semblait indiquer qu’il consacrait
plus de temps aux gens et qu’il se souciait d’eux, alors
même que le reste de son comportement avait très peu
changé. Le mois suivant, ses résultats en termes de
satisfaction des patients sont montés en flèche.
Le facteur « A quoi bon ? »
Dans de nombreuses sociétés étudiées, le principal motif pour lequel idées et préoccupations étaient passées sous silence n’était pas la peur,
mais plutôt la conviction que, de toute façon, les managers n’en tiendraient pas compte. Dans une société
de haute technologie du Fortune 100, les employés
ont cité l’inutilité comme motif de réserve presque
deux fois plus souvent que la peur.
Cette attitude du « A quoi bon ? » provient – et
persiste en raison – des comportements de leadership
suivants :
Ne pas incarner la liberté d’expression.
Lorsque les leaders eux-mêmes ne se font pas entendre, leurs employés en prennent note. L’un de
nous l’a constaté lors d’une intervention en tant que
chercheur externe dans un groupe de travail réunissant des cadres supérieurs d’une grande entreprise à
vocation scientifique. Chargé de comprendre les
causes du silence des salariés, puis de proposer des
solutions, le groupe de travail a mené plus de deux
cents entretiens dans de nombreux sites et à tous les
niveaux. Mais au moment de présenter leurs conclusions au P-DG et aux présidents de division, les
membres du groupe de travail ont omis de signaler la
fréquence des remarques sur le comportement de la
direction, qui inhibait toute franchise.
Sans surprise, l’équipe dirigeante a approuvé un
ensemble de recommandations relativement ineficaces et s’est arrêtée là. Imaginez l’impression que cela
a fait à ces deux cents personnes qui avaient été interrogées (et aux milliers d’autres qui avaient rempli le
questionnaire à l’origine du groupe de travail). Même
s’exprimer librement sur la liberté d’expression n’avait
servi à rien. Comme plus d’un salarié l’avait prédit, on
ne pouvait pas compter sur les cadres supérieurs pour
évoquer le problème criant mais tabou du comportement négatif de la direction. Alors pourquoi les autres
membres de la société jugeraient-ils utile d’avoir pris
le temps d’exprimer leurs préoccupations ?
Si vous ne faites pas remonter ce que vous entendez à vos supérieurs hiérarchiques, sans trop filtrer et ni
édulcorer, vos employés cesseront de gaspiller leur
salive. Et il arrivera probablement la même chose s’ils
vous voient assis en silence pendant les réunions, sachant que vous avez en tête une liste de problèmes
ou d’idées que vous pourriez mentionner. Le pouvoir s’accompagne du postulat selon lequel vous
serez la voix de vos subordonnés et agirez en leur
nom. Le manquement à cette attente est un grand facteur de démotivation.
Ne pas être clair sur les informations que
vous voulez obtenir.
Les leaders sont plus réactifs
aux idées qui apportent de l’eau à leur moulin. En réalité, ce n’est pas une mauvaise chose – ils doivent se
concentrer sur leurs priorités pour être efficaces. Mais
ils ont aussi des difficultés à admettre qu’une idée ne
les intéresse pas, ce qui entraîne une « pseudo-participation » – faire mine d’écouter, sans grande intention
de donner suite. Ils aggravent le problème en envoyant
aux salariés de vagues appels au feed-back – demander « une seule bonne idée » dans un questionnaire,
par exemple, ou inviter chacun à parler librement de
tout ce qui lui passe par la tête pendant les réunions.
Si vous ratissez si large, ce que vous récolterez ne
correspondra peut-être pas à ce que vous essayez de
faire. Nous avons constaté ce décalage dans les
domaines du service et de la santé : quand on leur
demande ce qu’ils aimeraient améliorer, les employés de première ligne ont tendance à se concentrer sur la satisfaction des clients, tandis que leurs
managers cherchent des moyens d’augmenter le
chiffre d’affaires et de réduire les temps de transaction (dans les centres d’appels) ou d’accroître le rendement et de se prémunir contre la responsabilité
juridique (dans les hôpitaux). Si vous ne précisez pas
le genre d’information que vous recherchez, vous risquez de ne pas tenir compte de l’essentiel de ce que
les gens vous disent – et de laisser entendre que ce
n’est pas la peine qu’ils fassent part de leurs idées. La
frustration est inévitable.
Lorsqu’ils prennent de nouvelles fonctions ou
intègrent une nouvelle entreprise, les leaders mènent
souvent des enquêtes ou des entretiens individuels,
dans le cadre d’un « temps d’écoute », pour entendre
les employés sur d’éventuels problèmes ou possibilités. Cela peut être tout à fait logique si vous avez le
temps de synthétiser l’information et d’agir en conséquence. Mais cela peut être contre-productif si vous
ne le faites pas. Supposez que vous soyez un nouveau
manager recruté pour diriger une expansion dans une
nouvelle région. Votre mission est déjà définie. Tenir
une série de réunions ouvertes afin que les salariés
puissent vous parler de toutes les autres choses qu’ils
aimeraient vous voir faire ou régler ne va pas changer
votre trajectoire principale. C’est une perte de temps
pour tout le monde.
Ne pas fournir de ressources pour traiter
les questions.
Dans notre activité de conseil, nous
avons vu des leaders travaillant dans l’enseignement
supérieur, les services financiers ou la vente, par
exemple, dépenser des milliers ou des millions de
dollars pour collecter des idées, sans affecter un seul
employé au dépouillement des données ni, a fortiori,
à la mise au point d’un processus d’évaluation systématique. Parfois, nous avons transcrit et analysé les
idées en fonction de leur niveau de créativité, de faisabilité et de leur apparente valeur globale pour découvrir ensuite que les cadres supérieurs n’avaient
aucune intention de tenir les personnes pour responsables de la mise en œuvre des améliorations
suggérées. Ou bien les leaders de l’entreprise ont
simplement déclaré qu’ils n’avaient pas les moyens
de financer de nouveaux projets, quels qu’ils soient.
Allouer des ressources à la collecte d’idées sans
prendre d’engagements financiers et autres, pour en
voir au moins quelques-unes se concrétiser ne peut
que donner le sentiment que la contribution des
employés ne changera rien.
Créer une culture plus communicative
Même si les leaders ont clairement des dificultés à
inciter les salariés à s’exprimer, c’est néanmoins
chose possible. Lors des recherches, nous avons
identifié les bonnes pratiques suivantes :
Faites en sorte que le feed-back devienne
régulier et spontané.
Si vous sollicitez fréquemment vos employés et discutez avec eux en face-à-
face, faire part de leurs idées leur semblera moins
menaçant et plus naturel. Programmez des réunions
régulières avec eux et n’annulez pas à chaque fois
que vous n’avez pas d’ordre du jour. En fait, vous
pourriez annoncer occasionnellement que le principal point à l’ordre du jour sera le feed-back des salariés. Dites-leur au préalable quel genre de conversation vous aurez (une réunion de brainstorming, par
exemple, ou une séance de planication) et expliquez les types de problèmes ou de possibilités dont
vous voulez discuter. Ils auront ainsi une idée de ce
qui est permis. Armez-leur également qu’ils n’ont
pas besoin d’avoir un dossier bien celé pour chaque
suggestion, de sorte qu’ils ne redoutent pas d’avoir
l’air bête ou de s’attirer des ennuis s’ils n’ont pas
toutes les réponses. Quand les premiers courageux
s’expriment, en particulier pour remettre en question la façon dont les choses se font, remerciez-les et
reconnaissez publiquement la valeur que vous
accordez à leur contribution. Assurez-vous ensuite
d’adopter au moins une des idées ou de régler au moins un des problèmes mentionnés, en veillant à
ce que tout le monde sache à qui revient le mérite
d’en avoir fait part.
Soyez transparent.
La transparence sur les
processus de feed-back peut réduire l’anxiété et accroître la participation. Dans une entreprise de taille
moyenne du secteur de la santé, une responsable
qualité a conçu un programme de six semaines pour
rassembler et concrétiser les idées des salariés visant
à apporter des améliorations dans trois grands domaines. Elle a déterminé trois phases claires : deux
semaines pour collecter les idées via une plateforme
en ligne ; deux semaines pour que des groupes de
travail évaluent l’impact et la faisabilité des idées ; et
deux semaines pour prioriser les idées à mettre en
œuvre, dresser un calendrier et annoncer les projets
au reste de l’entreprise. L’énonciation préalable des
lignes directrices et des engagements a rendu l’apport de contributions moins intimidant et moins
vain aux yeux des salariés.
Cherchez le contact.
Si vous voulez vraiment
savoir ce que vos salariés pensent de quelque chose,
allez le leur demander. Sinon, ils risquent d’aller
vous voir uniquement lorsqu’ils seront dans une situation vraiment critique. Toutefois, essayez de ne
pas ignorer de bonnes suggestions uniquement
parce qu’elles ne collent pas avec vos priorités du
moment. Un responsable fabrication d’une entreprise de produits de santé nous a raconté qu’il avait
un jour fait économiser environ un million de dollars
parce que, lors d’une visite d’usine, il avait laissé
tomber tout le cérémonial au programme pour aller
sur le terrain et discuter avec les employés de première ligne. L’un d’eux lui avait fait part d’un défaut
dans la conception d’un papier bulle, ce qu’il avait
noté et pu régler rapidement.
Solliciter un feed-back de façon informelle peut
être beaucoup plus efficace que d’y être ouvert uniquement quand il se présente à vous. Dans notre
étude des établissements financiers, nous avons
constaté que les salariés sont deux fois plus enclins
à s’exprimer lorsqu’on entre en contact proactivement avec eux pour connaître leurs suggestions que
lorsqu’on est simplement ouvert.
Lorsque vous demandez vraiment du feed-back,
allez voir les personnes qui savent ce que vous ne
savez pas. Les membres de votre réseau immédiat
vous ressemblent probablement en termes
d’expérience, de point de vue et de connaissances –
alors diversifiez-vous. Contrez la règle bien trop
répandue consistant à attendre des nouveaux qu’ils
se fondent discrètement dans la masse jusqu’à ce qu’ils comprennent « comment on fonctionne ici ».
Les nouveaux peuvent vous dire comment d’autres
entreprises procèdent et porteront un regard neuf sur
les points forts et les points faibles de votre société.
Réduisez les signes de pouvoir.
Si vous voulez
vraiment faire remonter la vérité, limitez votre pouvoir lors de vos interactions avec les salariés. Si le
MBWA (« management by walking around »), « management par échanges informels », est si efficace, c’est
en partie parce qu’il transfère l’avantage du terrain
au personnel – la conversation a lieu sur son territoire, pas sur le vôtre.
Bien sûr, certaines conversations devront se tenir
dans votre bureau, mais vous pouvez prendre des
mesures pour mettre les personnes que vous recevez
plus à l’aise. Ajoutez une petite table avec des chaises
de la même taille et de la même qualité, de façon à ce
que, lorsque quelqu’un vient vous parler, vous puissiez vous asseoir ensemble. La forme de la table
compte également. Il est généralement facile de deviner qui a le plus de pouvoir autour d’une table
ovale ou rectangulaire, mais personne ne préside
autour d’une table ronde. Et ré-fléchissez à votre tenue : avez-vous vraiment besoin d’une cravate pour
les réunions avec les créatifs ? Il faut que les salariés
aient l’impression que vous êtes l’un d’entre eux.
Ken Freeman, brillant cadre d’entreprise pendant
des décennies avant de devenir le doyen de la Questrom School of Business de l’université de Boston,
est un homme qui comprend les signes de pouvoir.
Lorsque Ken est arrivé à l’école, le bureau du doyen
se trouvait à un étage élevé avec un accès limité. Il
était plus grand et plus somptueux que tous ceux
qu’il avait jamais eus en entreprise. Quasiment personne ne venait le voir. Il a donc déménagé dans un
petit bureau avec un mur extérieur vitré, situé à un
des étages des salles de classe, dans un couloir
partant d’une cafétéria très fréquentée. Et il a fait un
autre choix délibéré pour montrer qui il était et ce
qui comptait pour lui : les seules distinctions qu’il a a affichées de façon visible ont été celles qui récompensaient l’éthique et ses diplômes universitaires.
Evitez d’envoyer des messages contradictoires.
Dans une société de R & D, les managers ne
comprenaient pas pourquoi les brillants chercheurs
qu’ils avaient recrutés se révélaient médiocres. Mais
tandis qu’elle se targuait de n’embaucher que les
meilleurs, l’entreprise donnait à ses talents l’impression d’être idiots. Quand ils faisaient des présentations devant les cadres supérieurs, les chercheurs
étaient systématiquement rabaissés et leurs idées
torpillées. Bousculer le statu quo semblait risqué.
Même les séances informelles de pensée créative
étaient bridées par l’obligation d’utiliser le modèle
PowerPoint standard de l’entreprise et de respecter
des règles sur le nombre maximum de mots par
diapositive, ce qui renforçait le sentiment de devoir
rester dans un certain cadre.
Donnez l’exemple.
La plupart des salariés comprennent que vous ne maîtrisez pas totalement les
ressources ni les décisions nécessaires à la résolution
de leurs problèmes. Pour déterminer s’il est utile de
porter quelque chose à votre attention, ils calculent
jusqu’à quel point vous êtes susceptible de représenter leurs intérêts auprès de vos supérieurs hiérarchiques. Pour documenter ce calcul implicite, nous
avons demandé à plus de dix mille employés de restaurant dans quelle mesure leur responsable direct
transmettait leurs problèmes et suggestions au directeur général avant que celui-ci agisse. Ceux dont le
patron intervenait fréquemment en leur nom
avaient une impression d’inutilité très réduite. De
plus, la fréquence à laquelle ils faisaient part de leurs
préoccupations et de leurs idées à leur responsable
était supérieure de 10 % à celle des employés qui
n’étaient pas représentés par leur patron.
Les employés se sentent motivés lorsqu’ils voient
que vous plaidez en leur faveur. Ce message nous est
parvenu très clairement lorsque nous avons discuté
avec les salariés d’une société immobilière.
Une équipe avait hérité d’un projet dont elle s’est vite rendu
compte qu’il conduirait à une situation dangereuse
et illégale s’il se poursuivait. Un des salariés a affirmé
que le leader du groupe a été « courageux » en
expliquant que celui-ci n’a « pas eu peur de parler
franchement et de faire remarquer les problèmes
posés. Il n’a pas craint de bousculer le statu quo,
sachant que le projet avait déjà été approuvé par les
cadres dirigeants, qui de toute évidence ne prêtaient
pas attention aux détails ».
Quand vos subordonnés peuvent vous voir vous
exprimer franchement, c’est formidable, mais dans de
nombreux cas c’est impossible, car ils ne sont pas là
lorsque vous interagissez avec votre supérieur. Cependant, vous pouvez leur raconter ce qu’il s’est passé et
les impliquer directement dans toute mesure de suivi.
Par exemple, au lieu de les laisser vous soupçonner de
ne pas vous être battu pour leur projet, dites-leur que
la direction a été sceptique sur certains de vos chiffres
et n’a pas été certaine qu’il mérite la priorité au regard
des nombreuses autres options à l’étude. Ensuite, invitez-les à présenter avec vous les informations complémentaires qui pourront peut-être convaincre la
hiérarchie. Cela a plusieurs avantages : premièrement,
cela montre à vos subordonnés que vous avez été disposé à faire un effort pour eux, ce qu’ils apprécieront
sans doute, quel que soit le résultat. Deuxièmement,
cela leur donne une meilleure idée des limites auxquelles vous, et vos supérieurs, êtes confrontés. Et
troisièmement, cela les maintient au courant de vos
progrès de sorte qu’ils ne se demandent pas ce qui
s’est passé depuis leur conversation avec vous – ce qui
nous amène à notre dernière recommandation.
Bouclez la boucle.
Si vous ne voulez pas que vos
subordonnés croient que leurs idées sont allées directement à la poubelle, pensez à leur dire ce que vous
avez fait ensuite et à quoi ils peuvent s’attendre en
conséquence. Dans des études rassemblant plus de
trois mille cinq cents salariés issus de différentes
entreprises, nous avons constaté que les patrons qui
ne bouclaient pas la boucle augmentaient de 30% la
conviction des subordonnés que s’exprimer était vain.
En revanche, si les managers avaient bouclé la boucle
par le passé, la fréquence à laquelle leurs subordonnés
s’exprimaient était supérieure de 19% – même après
la prise en compte de toute augmentation liée uniquement à l’ouverture, à l’intérêt et à la volonté d’effectuer des changements perçus chez les managers.
Même les leaders les mieux intentionnés négligent
souvent le suivi, tout simplement parce qu’ils sont
occupés à parer au plus pressé. Par conséquent, songez à adopter des processus incluant de façon formelle
les étapes suivantes, comme le « processus d’adéquation stratégique », conçu par Mike Beer et ses collègues
de la société de conseil TruePoint. Celui-ci prévoit que
les managers reçoivent de la part d’un groupe de travail des informations rassemblant les commentaires
des employés et indiquant les thèmes. Les managers
font ensuite savoir au groupe de travail ce qu’ils feront
en réaction au feed-back. Les membres du groupe de
travail sont chargés de communiquer les projets au
personnel et d’aider à mettre en œuvre les changements.
Autre approche efficace : suivre simplement
un calendrier strict et largement di usé pour la collecte, l’évaluation et la mise en œuvre d’idées.
OBTENIR de vos employés les idées que vous voulez et
dont vous avez besoin sera toujours un début . La plupart
des gens tiennent trop à leur bien-être social et
matériel pour prendre l’habitude de parler franchement au patron – à moins que vous ne supprimiez
quelques obstacles de leur chemin. Les demi-mesures
comme les systèmes de remontée d’informations anonyme et les vagues invitations à soumettre des
idées ne fonctionneront pas. Ce qui fera la différence, c’est la
prise d’initiatives garantissant à chacun qu’il n’est ni
risqué ni vain d’apporter sa contribution, quelle que
soit sa place dans l’entreprise.
Il est probable que vos salariés vous cachent des
informations précieuses – à propos d’un projet
qui a mal tourné, par exemple, ou d’un manager qui se comporte mal. Ou peut-être n’expriment-ils pas
leur avis sur les façons dont l’entreprise pourrait
augmenter son chiffre d’affaires ou améliorer ses
opérations. Peu importe à quel point vous êtes ouvert
en tant que manager : d’après les recherches,
la plupart des salariés auront tendance à se taire
plutôt que de remettre en question des initiatives ou
de suggérer de nouvelles idées.
Cela est vrai, même si, comme la plupart des leaders, vous pensez avoir une politique d’ouverture, vos employés viennent-ils souvent vous voir, sur votre « territoire », pour vous livrer la vérité nue uniquement
parce que vous les avez encouragés à le faire ? En réalité, ils craignent – à tort ou à raison – de vous voir
prendre leurs commentaires à titre personnel ou de
passer pour d’irrespectueux je-sais-tout.
Les leaders utilisent toute une gamme d’outils
pour faire parler les salariés, comme des enquêtes sur
le « climat » et des séances de feed-back destinées à
l’ensemble du personnel. Beaucoup de ces initiatives
visent à améliorer la communication à tous les échelons de la hiérarchie. Mais en général elles ne fonctionnent pas, malgré toutes les bonnes intentions,
pour deux raisons essentielles : la peur des conséquences (embarras, isolement, évaluations négatives
des performances, promotions manquées et même
licenciement) et une impression d’inutilité (la
conviction que dire quelque chose ne changera rien,
alors pourquoi s’embêter ?. Ici, nous allons voir en
quoi les tentatives malencontreuses des leaders pour
encourager la franchise échouent à contrer – voire
renforcent – ces sentiments. Nous examinerons également des approches beaucoup plus efficaces.
Au cours d’un certain nombre d’études, nous avons
constaté que, lorsque les employés peuvent exprime librement leurs préoccupations, les entreprises bénéficient d’un meilleur maintien de l’effectif et d’un rendement plus élevé. Dans plusieurs sociétés de services financiers, par exemple, les business units dont
les employés ont prier s’exprimer le plus ont eu de
bien meilleurs résultats financiers et opérationnels
que les autres. Et dans une chaîne nationale de restaurants, des managers sont parvenus à persuader les
cadres supérieurs d’apporter des améliorations qui
ont réduit la rotation du personnel de 32 % et permis
d’économiser au moins 1,6 million de dollars par an.
Faire tout cela au mieux est donc profitable, non
seulement aux individus avides d’apporter leur
contribution, mais aussi aux entreprises qu’ils
veulent améliorer.
Le facteur peur
Pas besoin d’un patron tyrannique pour que la peur
règne au sein d’une entreprise. Et il importe peu
qu’un événement perturbant, comme une restructuration ou un rachat, ait eu lieu longtemps auparavant.
Une fois que la peur de parler librement s’est installée,
les salariés ne cessent de justifier leur silence avec des
explications du genre : « Notre culture est ainsi faite.
On ne peut pas être en désaccord avec son patron. »
Sans s’en rendre compte, les leaders ont tendance
à aggraver le problème avec les pratiques suivantes :
Se fonder sur un feed-back anonyme.
La promesse de l’anonymat est un moyen courant d’encourager le franc-parler. Boîtes à suggestions, lignes
éthiques, médiateurs, évaluations à 360 degrés et enquêtes de satisfaction visent ce même objectif. La
logique est celle-ci : si personne ne sait qui a dit quoi,
il n’y aura aucune répercussion et on peut donc être
franc sur n’importe quel sujet.
Ce raisonnement présente trois failles.
Premièrement, permettre aux employés de rester
anonymes met en réalité les risques de parler librement en évidence – et renforce leur peur. Cela sous-
entend : « Il n’est pas prudent de faire part de ses opinions ouvertement dans cette société. Nous avons
donc créé d’autres voies de communication pour obtenir les informations dont nous avons besoin. »
Deuxièmement, l’anonymat peut déclencher une
chasse aux sorcières. C’était un des thèmes abordés
dans une entreprise du classement Fortune 500. Quand des employés apportaient
un feed-back négatif par l’intermédiaire de hotlines,
de boîtes à suggestions et autres, certains patrons exigeaient de savoir : « Qui a dit ça ?! » Des salariés d’autres
entreprises ont eu des expériences similaires. Beaucoup nous ont raconté qu’ils vont dans des bibliothèques et des cybercafés et utilisent des ordinateurs
publics pour remplir les questionnaires destinés aux
employés en ligne – parce qu’ils craignent sinon d’être
tracés via leur adresse IP.
Un homme a déclaré qu’il ne signalerait pas un problème, même à un médiateur.
Quand je lui ai demandé pourquoi, il a répliqué : « Qui
paie son salaire ? »
Troisièmement, et c’est peut-être le point le plus
important, il peut être difficile de régler un problème
tout en protégeant l’identité de la personne qui l’a
soulevé. Signaler dans un questionnaire qu’un manager agit de façon abusive, incompétente, raciste ou
sexiste n’est d’aucune utilité, à moins que les RH ou
un médiateur puissent évaluer l’étendue du problème, en rechercher les causes et mettre au point des
recommandations. Cela signifie qu’il faut mener des
entretiens, recouper les témoignages et recueillir des
informations complémentaires – ce qui implique de
parler à la personne qui a porté des accusations à l’encontre du manager. Et si une plainte fait référence à
un incident précis, le manager a souvent une idée
tout à fait claire de la personne qui l’a déposée.
Envoyer des invitations générales à se manifester.
Les portes et les attitudes ouvertes sont tout
simplement trop passives. Les salariés doivent tout
de même vous aborder pour engager une conversation, et c’est intimidant.
Dans un centre d’appels américain d’une compagnie d’assurances du Fortune 500, par exemple, les
opérationnels avaient un manager très aimable qui
montrait de l’intérêt et prenait même des mesures
lorsque des problèmes étaient soulevés. Pourtant, les
employés de ce centre d’appels ne lui faisaient
presque jamais part de problèmes de script, d’idées
pour améliorer le rendement ni de suggestions de
ventes croisées. Pourquoi ? Parce que son bureau se
trouvait à un autre étage et que, pour aller jusqu’à lui,
il fallait passer par quatre portes fermées et devant
trois secrétaires. Les centaines d’employés qui dépendaient de lui ne le voyaient presque jamais, si bien
qu’ils n’avaient pas l’impression de le connaître et
n’osaient pas l’aborder.
« Mais mes employés viennent me parler », êtes-
vous peut-être en train de vous dire. Très bien, mais il
y a peut-être des choses qu’ils ne vous racontent pas
– des sujets qui semblent plus risqués. En particulier,
si vous vous identifiez étroitement à une initiative, ils
garderont sans doute pour eux des critiques constructives la concernant, en partant du principe que vous
les prendriez à titre personnel.
Une étude menée auprès de
centaines de managers et de professionnels de pays
différents le confirme. Dans cette étude, des participants choisis au hasard pour former un premier
groupe doivent imaginer qu’ils font partie d’une
équipe multifonctionnelle chargée de développer un
nouveau produit. On leur dit que le projet se heurte
à de graves problèmes techniques et qu’ils devraient
recommander d’y mettre un terme avant de courir à
la catastrophe. Un second groupe, auquel on dit la
même chose, reçoit néanmoins une information
supplémentaire : le patron a consacré beaucoup de
temps à ce projet. Selon nos constatations, les
individus de ce groupe sont bien moins enclins à dire
ce qu’ils pensent. Comme l’a fait remarquer l’un
d’entre eux, la franchise risque de blesser ou
d’énerver le patron. « Il y a un vieil adage qui dit ‘‘il
ne faut pas tuer le messager’’, mais en général le
messager se fait tuer. »
Laisser entendre que c’est vous le boss.
Que
vous en ayez conscience ou non, vous exprimez probablement votre pouvoir en émettant des signaux
subtils (que le psychologue social Richard Hackman a
appelés « stimuli ambiants »). Cela peut inciter vos
employés à se refermer sur eux-mêmes.
Lorsque quelqu’un s’aventure dans votre bureau,
vous adossez-vous à votre fauteuil, les mains croisées
derrière la tête ? Vous pensez peut-être créer une atmosphère détendue, mais en réalité vous affichez
votre domination (cette posture vous fait paraître plus
gros, une tactique que les animaux et les humains utilisent pour faire fuir les autres). Etes-vous assis dans
un fauteuil ergonomique coûteux, derrière un grand
bureau en chêne, tandis que votre employé en a un
beaucoup plus petit, moins cher et moins confortable ?
Malgré vos bonnes intentions (« Allez-y, entrez ! »),
vous lui dites incidemment de regarder où il met les
pieds dans votre territoire.
Nous avons vu les effets des signaux subtils de
pouvoir dans de nombreuses entreprises. Le directeur
général d’un grand hôpital nous a raconté
une anecdote à propos d’un éminent médecin urgentiste. Pendant des années, ce médecin a eu un excellent dossier et a été très estimé de ses collègues
pour la qualité des soins qu’il prodiguait. Pourtant, il
avait systématiquement de mauvais résultats en matière de satisfaction des patients. Malgré l’exactitude
de ses diagnostics et l’efficacité de ses traitements, ses
patients n’étaient jamais à l’aise avec lui. Lorsque son
infirmière lui a signalé que cela les incitait à garder
pour eux des informations importantes pour l’établissement du diagnostic, il a finalement compris à quel
point c’était problématique.
Encouragé par le directeur général, le médecin a
effectué un changement simple : il s’est assis sur une
chaise lors de la tournée de ses patients, de façon à
pouvoir leur parler face à face au lieu d’être debout au-dessus d’eux allongés dans leur lit. Sa conversation
était toujours brève et son contact avec les patients presque inexistant, mais sa position assise a fait toute
la différence. Celle-ci semblait indiquer qu’il consacrait
plus de temps aux gens et qu’il se souciait d’eux, alors
même que le reste de son comportement avait très peu
changé. Le mois suivant, ses résultats en termes de
satisfaction des patients sont montés en flèche.
Le facteur « A quoi bon ? »
Dans de nombreuses sociétés étudiées, le principal motif pour lequel idées et préoccupations étaient passées sous silence n’était pas la peur,
mais plutôt la conviction que, de toute façon, les managers n’en tiendraient pas compte. Dans une société
de haute technologie du Fortune 100, les employés
ont cité l’inutilité comme motif de réserve presque
deux fois plus souvent que la peur.
Cette attitude du « A quoi bon ? » provient – et
persiste en raison – des comportements de leadership
suivants :
Ne pas incarner la liberté d’expression.
Lorsque les leaders eux-mêmes ne se font pas entendre, leurs employés en prennent note. L’un de
nous l’a constaté lors d’une intervention en tant que
chercheur externe dans un groupe de travail réunissant des cadres supérieurs d’une grande entreprise à
vocation scientifique. Chargé de comprendre les
causes du silence des salariés, puis de proposer des
solutions, le groupe de travail a mené plus de deux
cents entretiens dans de nombreux sites et à tous les
niveaux. Mais au moment de présenter leurs conclusions au P-DG et aux présidents de division, les
membres du groupe de travail ont omis de signaler la
fréquence des remarques sur le comportement de la
direction, qui inhibait toute franchise.
Sans surprise, l’équipe dirigeante a approuvé un
ensemble de recommandations relativement ineficaces et s’est arrêtée là. Imaginez l’impression que cela
a fait à ces deux cents personnes qui avaient été interrogées (et aux milliers d’autres qui avaient rempli le
questionnaire à l’origine du groupe de travail). Même
s’exprimer librement sur la liberté d’expression n’avait
servi à rien. Comme plus d’un salarié l’avait prédit, on
ne pouvait pas compter sur les cadres supérieurs pour
évoquer le problème criant mais tabou du comportement négatif de la direction. Alors pourquoi les autres
membres de la société jugeraient-ils utile d’avoir pris
le temps d’exprimer leurs préoccupations ?
Si vous ne faites pas remonter ce que vous entendez à vos supérieurs hiérarchiques, sans trop filtrer et ni
édulcorer, vos employés cesseront de gaspiller leur
salive. Et il arrivera probablement la même chose s’ils
vous voient assis en silence pendant les réunions, sachant que vous avez en tête une liste de problèmes
ou d’idées que vous pourriez mentionner. Le pouvoir s’accompagne du postulat selon lequel vous
serez la voix de vos subordonnés et agirez en leur
nom. Le manquement à cette attente est un grand facteur de démotivation.
Ne pas être clair sur les informations que
vous voulez obtenir.
Les leaders sont plus réactifs
aux idées qui apportent de l’eau à leur moulin. En réalité, ce n’est pas une mauvaise chose – ils doivent se
concentrer sur leurs priorités pour être efficaces. Mais
ils ont aussi des difficultés à admettre qu’une idée ne
les intéresse pas, ce qui entraîne une « pseudo-participation » – faire mine d’écouter, sans grande intention
de donner suite. Ils aggravent le problème en envoyant
aux salariés de vagues appels au feed-back – demander « une seule bonne idée » dans un questionnaire,
par exemple, ou inviter chacun à parler librement de
tout ce qui lui passe par la tête pendant les réunions.
Si vous ratissez si large, ce que vous récolterez ne
correspondra peut-être pas à ce que vous essayez de
faire. Nous avons constaté ce décalage dans les
domaines du service et de la santé : quand on leur
demande ce qu’ils aimeraient améliorer, les employés de première ligne ont tendance à se concentrer sur la satisfaction des clients, tandis que leurs
managers cherchent des moyens d’augmenter le
chiffre d’affaires et de réduire les temps de transaction (dans les centres d’appels) ou d’accroître le rendement et de se prémunir contre la responsabilité
juridique (dans les hôpitaux). Si vous ne précisez pas
le genre d’information que vous recherchez, vous risquez de ne pas tenir compte de l’essentiel de ce que
les gens vous disent – et de laisser entendre que ce
n’est pas la peine qu’ils fassent part de leurs idées. La
frustration est inévitable.
Lorsqu’ils prennent de nouvelles fonctions ou
intègrent une nouvelle entreprise, les leaders mènent
souvent des enquêtes ou des entretiens individuels,
dans le cadre d’un « temps d’écoute », pour entendre
les employés sur d’éventuels problèmes ou possibilités. Cela peut être tout à fait logique si vous avez le
temps de synthétiser l’information et d’agir en conséquence. Mais cela peut être contre-productif si vous
ne le faites pas. Supposez que vous soyez un nouveau
manager recruté pour diriger une expansion dans une
nouvelle région. Votre mission est déjà définie. Tenir
une série de réunions ouvertes afin que les salariés
puissent vous parler de toutes les autres choses qu’ils
aimeraient vous voir faire ou régler ne va pas changer
votre trajectoire principale. C’est une perte de temps
pour tout le monde.
Ne pas fournir de ressources pour traiter
les questions.
Dans notre activité de conseil, nous
avons vu des leaders travaillant dans l’enseignement
supérieur, les services financiers ou la vente, par
exemple, dépenser des milliers ou des millions de
dollars pour collecter des idées, sans affecter un seul
employé au dépouillement des données ni, a fortiori,
à la mise au point d’un processus d’évaluation systématique. Parfois, nous avons transcrit et analysé les
idées en fonction de leur niveau de créativité, de faisabilité et de leur apparente valeur globale pour découvrir ensuite que les cadres supérieurs n’avaient
aucune intention de tenir les personnes pour responsables de la mise en œuvre des améliorations
suggérées. Ou bien les leaders de l’entreprise ont
simplement déclaré qu’ils n’avaient pas les moyens
de financer de nouveaux projets, quels qu’ils soient.
Allouer des ressources à la collecte d’idées sans
prendre d’engagements financiers et autres, pour en
voir au moins quelques-unes se concrétiser ne peut
que donner le sentiment que la contribution des
employés ne changera rien.
Créer une culture plus communicative
Même si les leaders ont clairement des dificultés à
inciter les salariés à s’exprimer, c’est néanmoins
chose possible. Lors des recherches, nous avons
identifié les bonnes pratiques suivantes :
Faites en sorte que le feed-back devienne
régulier et spontané.
Si vous sollicitez fréquemment vos employés et discutez avec eux en face-à-
face, faire part de leurs idées leur semblera moins
menaçant et plus naturel. Programmez des réunions
régulières avec eux et n’annulez pas à chaque fois
que vous n’avez pas d’ordre du jour. En fait, vous
pourriez annoncer occasionnellement que le principal point à l’ordre du jour sera le feed-back des salariés. Dites-leur au préalable quel genre de conversation vous aurez (une réunion de brainstorming, par
exemple, ou une séance de planication) et expliquez les types de problèmes ou de possibilités dont
vous voulez discuter. Ils auront ainsi une idée de ce
qui est permis. Armez-leur également qu’ils n’ont
pas besoin d’avoir un dossier bien celé pour chaque
suggestion, de sorte qu’ils ne redoutent pas d’avoir
l’air bête ou de s’attirer des ennuis s’ils n’ont pas
toutes les réponses. Quand les premiers courageux
s’expriment, en particulier pour remettre en question la façon dont les choses se font, remerciez-les et
reconnaissez publiquement la valeur que vous
accordez à leur contribution. Assurez-vous ensuite
d’adopter au moins une des idées ou de régler au moins un des problèmes mentionnés, en veillant à
ce que tout le monde sache à qui revient le mérite
d’en avoir fait part.
Soyez transparent.
La transparence sur les
processus de feed-back peut réduire l’anxiété et accroître la participation. Dans une entreprise de taille
moyenne du secteur de la santé, une responsable
qualité a conçu un programme de six semaines pour
rassembler et concrétiser les idées des salariés visant
à apporter des améliorations dans trois grands domaines. Elle a déterminé trois phases claires : deux
semaines pour collecter les idées via une plateforme
en ligne ; deux semaines pour que des groupes de
travail évaluent l’impact et la faisabilité des idées ; et
deux semaines pour prioriser les idées à mettre en
œuvre, dresser un calendrier et annoncer les projets
au reste de l’entreprise. L’énonciation préalable des
lignes directrices et des engagements a rendu l’apport de contributions moins intimidant et moins
vain aux yeux des salariés.
Cherchez le contact.
Si vous voulez vraiment
savoir ce que vos salariés pensent de quelque chose,
allez le leur demander. Sinon, ils risquent d’aller
vous voir uniquement lorsqu’ils seront dans une situation vraiment critique. Toutefois, essayez de ne
pas ignorer de bonnes suggestions uniquement
parce qu’elles ne collent pas avec vos priorités du
moment. Un responsable fabrication d’une entreprise de produits de santé nous a raconté qu’il avait
un jour fait économiser environ un million de dollars
parce que, lors d’une visite d’usine, il avait laissé
tomber tout le cérémonial au programme pour aller
sur le terrain et discuter avec les employés de première ligne. L’un d’eux lui avait fait part d’un défaut
dans la conception d’un papier bulle, ce qu’il avait
noté et pu régler rapidement.
Solliciter un feed-back de façon informelle peut
être beaucoup plus efficace que d’y être ouvert uniquement quand il se présente à vous. Dans notre
étude des établissements financiers, nous avons
constaté que les salariés sont deux fois plus enclins
à s’exprimer lorsqu’on entre en contact proactivement avec eux pour connaître leurs suggestions que
lorsqu’on est simplement ouvert.
Lorsque vous demandez vraiment du feed-back,
allez voir les personnes qui savent ce que vous ne
savez pas. Les membres de votre réseau immédiat
vous ressemblent probablement en termes
d’expérience, de point de vue et de connaissances –
alors diversifiez-vous. Contrez la règle bien trop
répandue consistant à attendre des nouveaux qu’ils
se fondent discrètement dans la masse jusqu’à ce qu’ils comprennent « comment on fonctionne ici ».
Les nouveaux peuvent vous dire comment d’autres
entreprises procèdent et porteront un regard neuf sur
les points forts et les points faibles de votre société.
Réduisez les signes de pouvoir.
Si vous voulez
vraiment faire remonter la vérité, limitez votre pouvoir lors de vos interactions avec les salariés. Si le
MBWA (« management by walking around »), « management par échanges informels », est si efficace, c’est
en partie parce qu’il transfère l’avantage du terrain
au personnel – la conversation a lieu sur son territoire, pas sur le vôtre.
Bien sûr, certaines conversations devront se tenir
dans votre bureau, mais vous pouvez prendre des
mesures pour mettre les personnes que vous recevez
plus à l’aise. Ajoutez une petite table avec des chaises
de la même taille et de la même qualité, de façon à ce
que, lorsque quelqu’un vient vous parler, vous puissiez vous asseoir ensemble. La forme de la table
compte également. Il est généralement facile de deviner qui a le plus de pouvoir autour d’une table
ovale ou rectangulaire, mais personne ne préside
autour d’une table ronde. Et ré-fléchissez à votre tenue : avez-vous vraiment besoin d’une cravate pour
les réunions avec les créatifs ? Il faut que les salariés
aient l’impression que vous êtes l’un d’entre eux.
Ken Freeman, brillant cadre d’entreprise pendant
des décennies avant de devenir le doyen de la Questrom School of Business de l’université de Boston,
est un homme qui comprend les signes de pouvoir.
Lorsque Ken est arrivé à l’école, le bureau du doyen
se trouvait à un étage élevé avec un accès limité. Il
était plus grand et plus somptueux que tous ceux
qu’il avait jamais eus en entreprise. Quasiment personne ne venait le voir. Il a donc déménagé dans un
petit bureau avec un mur extérieur vitré, situé à un
des étages des salles de classe, dans un couloir
partant d’une cafétéria très fréquentée. Et il a fait un
autre choix délibéré pour montrer qui il était et ce
qui comptait pour lui : les seules distinctions qu’il a a affichées de façon visible ont été celles qui récompensaient l’éthique et ses diplômes universitaires.
Evitez d’envoyer des messages contradictoires.
Dans une société de R & D, les managers ne
comprenaient pas pourquoi les brillants chercheurs
qu’ils avaient recrutés se révélaient médiocres. Mais
tandis qu’elle se targuait de n’embaucher que les
meilleurs, l’entreprise donnait à ses talents l’impression d’être idiots. Quand ils faisaient des présentations devant les cadres supérieurs, les chercheurs
étaient systématiquement rabaissés et leurs idées
torpillées. Bousculer le statu quo semblait risqué.
Même les séances informelles de pensée créative
étaient bridées par l’obligation d’utiliser le modèle
PowerPoint standard de l’entreprise et de respecter
des règles sur le nombre maximum de mots par
diapositive, ce qui renforçait le sentiment de devoir
rester dans un certain cadre.
Donnez l’exemple.
La plupart des salariés comprennent que vous ne maîtrisez pas totalement les
ressources ni les décisions nécessaires à la résolution
de leurs problèmes. Pour déterminer s’il est utile de
porter quelque chose à votre attention, ils calculent
jusqu’à quel point vous êtes susceptible de représenter leurs intérêts auprès de vos supérieurs hiérarchiques. Pour documenter ce calcul implicite, nous
avons demandé à plus de dix mille employés de restaurant dans quelle mesure leur responsable direct
transmettait leurs problèmes et suggestions au directeur général avant que celui-ci agisse. Ceux dont le
patron intervenait fréquemment en leur nom
avaient une impression d’inutilité très réduite. De
plus, la fréquence à laquelle ils faisaient part de leurs
préoccupations et de leurs idées à leur responsable
était supérieure de 10 % à celle des employés qui
n’étaient pas représentés par leur patron.
Les employés se sentent motivés lorsqu’ils voient
que vous plaidez en leur faveur. Ce message nous est
parvenu très clairement lorsque nous avons discuté
avec les salariés d’une société immobilière.
Une équipe avait hérité d’un projet dont elle s’est vite rendu
compte qu’il conduirait à une situation dangereuse
et illégale s’il se poursuivait. Un des salariés a affirmé
que le leader du groupe a été « courageux » en
expliquant que celui-ci n’a « pas eu peur de parler
franchement et de faire remarquer les problèmes
posés. Il n’a pas craint de bousculer le statu quo,
sachant que le projet avait déjà été approuvé par les
cadres dirigeants, qui de toute évidence ne prêtaient
pas attention aux détails ».
Quand vos subordonnés peuvent vous voir vous
exprimer franchement, c’est formidable, mais dans de
nombreux cas c’est impossible, car ils ne sont pas là
lorsque vous interagissez avec votre supérieur. Cependant, vous pouvez leur raconter ce qu’il s’est passé et
les impliquer directement dans toute mesure de suivi.
Par exemple, au lieu de les laisser vous soupçonner de
ne pas vous être battu pour leur projet, dites-leur que
la direction a été sceptique sur certains de vos chiffres
et n’a pas été certaine qu’il mérite la priorité au regard
des nombreuses autres options à l’étude. Ensuite, invitez-les à présenter avec vous les informations complémentaires qui pourront peut-être convaincre la
hiérarchie. Cela a plusieurs avantages : premièrement,
cela montre à vos subordonnés que vous avez été disposé à faire un effort pour eux, ce qu’ils apprécieront
sans doute, quel que soit le résultat. Deuxièmement,
cela leur donne une meilleure idée des limites auxquelles vous, et vos supérieurs, êtes confrontés. Et
troisièmement, cela les maintient au courant de vos
progrès de sorte qu’ils ne se demandent pas ce qui
s’est passé depuis leur conversation avec vous – ce qui
nous amène à notre dernière recommandation.
Bouclez la boucle.
Si vous ne voulez pas que vos
subordonnés croient que leurs idées sont allées directement à la poubelle, pensez à leur dire ce que vous
avez fait ensuite et à quoi ils peuvent s’attendre en
conséquence. Dans des études rassemblant plus de
trois mille cinq cents salariés issus de différentes
entreprises, nous avons constaté que les patrons qui
ne bouclaient pas la boucle augmentaient de 30% la
conviction des subordonnés que s’exprimer était vain.
En revanche, si les managers avaient bouclé la boucle
par le passé, la fréquence à laquelle leurs subordonnés
s’exprimaient était supérieure de 19% – même après
la prise en compte de toute augmentation liée uniquement à l’ouverture, à l’intérêt et à la volonté d’effectuer des changements perçus chez les managers.
Même les leaders les mieux intentionnés négligent
souvent le suivi, tout simplement parce qu’ils sont
occupés à parer au plus pressé. Par conséquent, songez à adopter des processus incluant de façon formelle
les étapes suivantes, comme le « processus d’adéquation stratégique », conçu par Mike Beer et ses collègues
de la société de conseil TruePoint. Celui-ci prévoit que
les managers reçoivent de la part d’un groupe de travail des informations rassemblant les commentaires
des employés et indiquant les thèmes. Les managers
font ensuite savoir au groupe de travail ce qu’ils feront
en réaction au feed-back. Les membres du groupe de
travail sont chargés de communiquer les projets au
personnel et d’aider à mettre en œuvre les changements.
Autre approche efficace : suivre simplement
un calendrier strict et largement di usé pour la collecte, l’évaluation et la mise en œuvre d’idées.
OBTENIR de vos employés les idées que vous voulez et
dont vous avez besoin sera toujours un début . La plupart
des gens tiennent trop à leur bien-être social et
matériel pour prendre l’habitude de parler franchement au patron – à moins que vous ne supprimiez
quelques obstacles de leur chemin. Les demi-mesures
comme les systèmes de remontée d’informations anonyme et les vagues invitations à soumettre des
idées ne fonctionneront pas. Ce qui fera la différence, c’est la
prise d’initiatives garantissant à chacun qu’il n’est ni
risqué ni vain d’apporter sa contribution, quelle que
soit sa place dans l’entreprise.
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