03/06/2019

Espionnage économique

Le laboratoire Menarini s’est procuré des documents confidentiels de ses concurrents





Menarini France
Le siege de Menarini France 



La filiale française du laboratoire pharmaceutique italien s’est procuré des documents appartenant à deux de ses concurrents. L’un d’entre eux, provenant du groupe français Sanofi, a été envoyé directement au PDG de Menarini France. Le laboratoire italien dément l’implication de son patron et affirme qu’il s’agit d’une initiative isolée d’anciens salariés.

En matière économique, tous les coups sont parfois permis. Des documents confidentiels obtenus par Mediapart montrent que la filiale française du laboratoire pharmaceutique italien Menarini a eu recours à des méthodes d’espionnage économique musclées et juridiquement problématiques.

Selon nos informations, le plus gros laboratoire italien est parvenu à obtenir, au début des années 2010, des documents confidentiels issus de deux de ses concurrents, le japonais Takeda et le français Sanofi. Un courriel interne indique que le document propriété de Sanofi a été obtenu à la demande du PDG de Menarini France, Thierry Poiraud.

Confronté par Mediapart, Menarini France a reconnu les faits, mais a rejeté la responsabilité sur deux de ses anciens salariés. « La société Menarini et l’ensemble de la chaîne managériale, incluant son président- directeur général, n’a jamais sollicité d’informations confidentielles », nous a répondu un porte-parole de la filiale française.

Menarini affirme aussi que les documents n’étaient pas « confidentiels », soit parce qu’ils étaient incomplets, soit parce qu’il s’agissait d’études « environnementales » réalisées par des prestataires externes. Sauf que ces documents appartenaient bien à Takeda et Sanofi, et ont été obtenus par Menarini sans leur autorisation.

Le premier document concerne une activité stratégique de l’industrie pharmaceutique. Confrontés à une crise de leur recherche interne, les gros laboratoires recherchent de plus en plus de nouveaux médicaments à l’extérieur, en rachetant des start-up qui développent des molécules prometteuses ou en passant des accords de licence avec elles. D’où une concurrence acharnée pour repérer les meilleurs et exploiter leurs molécules au meilleur prix.

Menarini cherchait manifestement à savoir comment procédaient certains de ses concurrents. La filiale française du laboratoire a obtenu en 2013 un document qui décrit la méthodologie utilisée par son concurrent français Sanofi pour évaluer les partenariats ou acquisitions qu’il envisage de passer avec des entreprises extérieures.

Ce document de huit pages, réalisé pour Sanofi par le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG), est un résumé : il décrit très précisément l’ensemble des critères à évaluer avant d’engager des fonds dans des partenariats (potentiel de la molécule visée, synergies possibles, ou encore risques à clarifier), mais sans dévoiler la manière dont chacun d’entre eux est quantifié.

Il n’empêche : Menarini a eu connaissance de la méthodologie globale de son concurrent. Et il est très étonnant que le laboratoire italien ait pu se procurer un document issu d’une entreprise aussi sensible que Sanofi, plus gros laboratoire français et numéro 5 mondial.

Plus embarrassant encore, un courriel interne confidentiel indique que le PDG de Menarini France, Thierry Poiraud, a reçu le document de Sanofi par courriel à l’été 2013, et suggère qu’il a été à l’initiative de l’opération. « Comme convenu, voici le template d’évaluation BD Sanofi. Je reste à ton service », lui écrit son correspondant, un salarié du laboratoire.

Contacté par Mediapart, Menarini France répond que « son président- directeur général n’a jamais sollicité d’informations confidentielles » au sujet d’un concurrent. Le laboratoire affirme que le document provenant de Sanofi a été « remis à l’initiative d’un salarié (passé par Sanofi) qui a quitté la société et avec qui nous sommes actuellement en conflit ». Menarini relativise enfin l’importance du document : « C’est un formulaire vierge ne contenant pas d’information confidentielle, il s’agit seulement d’une check-list d’informations à recueillir dans le cadre d’un éventuel projet de licence avec un partenaire. »

Le second cas problématique remonte à la fin 2012. Menarini prépare le lancement en France du Bretaris Genuair, un médicament contre la broncho- pneumopathie chronique obstructive (BPCO), une grave maladie des poumons. Selon nos informations, le laboratoire italien a réussi à se procurer deux études réalisées pour le lancement d’une molécule concurrente : le Daxas, du laboratoire suisse Nycomed, lequel venait d’être racheté par le japonais Takeda.

Ces études, réalisées en 2010 et 2011 pour Nycomed par les cabinets Cegedim et Axess Research, détaillaient, sur 105 pages au total, le marché de la BPCO grâce à un questionnaire « administré » à 180 médecins. Résultat : une foule de données et de tableaux sur l’origine des prescriptions et les médicaments les plus appréciés, le type de médecins les plus influents, ou encore les différences d’approche et de comportement entre pneumologues de ville et hospitaliers.

Bref, Menarini a pu s’inspirer du travail de son concurrent pour préparer le lancement de sa propre molécule, Bretaris Genuair. Même si l’histoire s’est mal terminée : ni le Daxas ni le Bretaris n’ont finalement été commercialisés en France, après que la Haute Autorité de santé a émis en avril 2013 un avis défavorable à leur remboursement par la Sécurité sociale pour cause d’efficacité insuffisante.

Là encore, Menarini charge ses collaborateurs, affirmant que « ces données ont été présentées par une salariée qui en avait eu connaissance dans le cadre de ses expériences antérieures ». Le laboratoire ne dément pas que ces études appartenaient à Nycomed/Takeda, mais indique qu’elles « ne contiennent pas d’information de nature confidentielle concernant [ces] sociétés », car « il s’agit de données environnementales et de pratiques de prescriptions réalisées par un prestataire ».

Le laboratoire indique enfin que les faits que nous rapportons « sont antérieurs à la formalisation par notre société, en 2016, de son code de conduite qui contient une section dédiée au principe de respect des données confidentielles », que les salariés s’engagent par écrit à respecter et au sujet duquel ils sont formés.

Peu connu du grand public en France, Menarini est une institution en Italie, où il a été au centre d’un scandale retentissant. La famille Aleotti, propriétaire du labo et détentrice d’une des plus grosses fortunes de la Péninsule, a été poursuivie pour avoir surfacturé le prix des médicaments vendus par Menarini, et avoir transféré les profits de l’opération, à hauteur de 1 milliard d’euros, via un montage complexe de sociétés offshore immatriculées dans les paradis fiscaux.

Lucia et Alberto Aleotti, les enfants du fondateur (décédé en 2014), ont été condamnés en 2016 à dix et sept ans de prison ferme pour blanchiment dans cette affaire, mais ont été acquittés en appel en 2018. La famille a été sauvée par une loi d’amnistie votée par Silvio Berlusconi, qui lui a permis de rapatrier leur milliard en Italie sans crainte de sanctions. La cour d’appel a donc finalement jugé que les Aleotti ne pouvaient pas être condamnés pour blanchiment, puisque le retour des fonds s’est fait en respectant la loi d’amnistie.

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