21/02/2015

Stratégie

Réinventez votre business avant qu'il ne soit trop tard



Stratrégie




Tôt ou tard, toutes les entreprises, même celles qui accumulent les succès, voient leurs opportunités de croissance se réduire. Face à cette désagréable réalité, elles sont obligées de se réinventer. C'est leur capacité à réussir cette transition - de l’étape de maturité d'une activité au stade de croissance de la suivante- qui sépare les sociétés très performantes de celles dont le séjour au sommet est très bref.

Les conséquences pour les entreprises qui n'arrivent pas à se réinventer à temps sont sévères comme par exemple les cartes routiere Derouck qui vient de déposé le bilan. Comme Matthew S. Oison et Derek van Bever le montrent dans leur ouvrage «Stall Points», une société dont la croissance cale a moins de 10% de chances de se remettre totalement sur les rails. Cette faible probabilité explique pourquoi deux tiers des firmes qui piétinent seront plus tard rachetées ou feront faillite.

Les causes potentielles de l’arrêt de la croissance ne manquent pas : quitter son cœur de métier ou le conserver trop longtemps, négliger les problèmes d'exécution, se tromper sur l’évolution des gouts des consommateurs, se focaliser dangereusement sur les économies d’échelle... Toutes supposent que l’entreprise n’a pas réussi à remédier à ce qui était défectueux dans son fonctionnement.

Après une décennie passée à étudier les facteurs de la performance dans les entreprises, nous avons compris que ces explications ne tenaient pas compte d’un élément crucial. Si les firmes n’arrivent pas à se réinventer, ce n’est pas parce qu’elles sont incapables de régler leurs dysfonctionnements, mais parce qu’elles attendent bien trop longtemps avant de commencer à réparer les ravages du temps. En fait, elles consacrent la plus grande partie de leur énergie à la gestion de leurs opérations courantes - qui suivent la fameuse courbe financière en S reflétant d’abord la lente progression des ventes d'un nouveau produit ou service, puis leur forte croissance, avant qu’elles commencent finalement à stagner- et pas assez d’énergie à créer de nouvelles activités. Résultat : lorsque leurs marchés clés se mettent à stagner, elles se démènent en vain.

Les recherches montrent que les entreprises qui arrivent à se réinventer ont un trait en commun : elles s’efforcent d’élargir leur vision, grâce à la surveillance en occurrence, du suivi de l’évolution de la concurrence, du renouvellement des compétences de l’entreprise et de la préparation d’un vivier de talents. Au fond, elles décident - en contradiction avec les conceptions généralement admises - de se focaliser sur la résolution de problèmes qui n’existent pas encore.

Les courbes à surveiller

Décider ainsi de se réinventer avant que le besoin s’en fasse sentir n’est pas une démarche naturelle. D’autant que les choses paraissent aller de soi juste avant que l’entreprise ne décline: le chiffre d’affaires généré par le business model actuel progresse, les profits sont solides, le cours de l’action à son zénith. Pourtant, c’est exactement le moment où il faut que les dirigeants agissent. Pour se positionner de façon à se propulser au départ de la prochaine courbe financière en S, voilà sur quoi ils doivent se concentrer.

La courbe cachée de la concurrence.

 Longtemps avant qu’une activité florissante voie son chiffre d’affaires plafonner, l’état de la concurrence sur lequel elle a été fondée s’effrite. Dans l’industrie du téléphone mobile, par exemple, la concurrence a changé plusieurs fois, pour les constructeurs comme pour les opérateurs et distributeurs: prix, couverture des réseaux, design, politiques de marque, valeur des services, nouvelles applications. Une courbe en S cachée enregistre comment la concurrence change dans un secteur. Seules les entreprises hautement performantes voient les besoins des clients se transformer et créent un nouveau socle de concurrence, tout en continuant à exploiter les activités existantes qui n’ont pas atteint leur pic.

Netflix, par exemple, a radicalement changé l’état de la concurrence dans la location de DVD, en y introduisant la livraison postale. Au même moment, cette entreprise a entrepris de se réinventer en s’efforçant de maîtriser la technologie du streaming sur Internet, qui supprime les copies physiques des films.

L'idée en bref


Les entreprises les plus dynamiques repensent leur stratégie et réinventent leur façon d’opérer avant que l’arrêt de leur croissance les paralyse. Afin de réussir à passer d’une courbe financière en S à la suivante, elles suivent trois règles quî les distinguent de leurs concurrents moins performants.

Se concentrer sur les frontières.

Elles portent leur attention sur les frontières de l’entreprise et celles du marché, de façon à ne pas succomber à la myopie qui accompagne le succès sur une longue période


Secouer l’équipe dirigeante.

Elles changent la composition de leur équipe de dirigeants plus tôt et plus radicalement que ne le font leurs concurrents.



Conserver une réserve de talents.

Alors que les autres entreprises réduisent les effectifs pour comprimer les coûts, elles font l’inverse en entretenant un vivier de cadres talentueux, ayant la capacité de développer de nouvelles activités.




C’est quand les profits sont solides que l'entreprise doit entreprendre de se réinventer


Aujourd’hui, Netflix est le plus important loueur de DVD par voie postale aux Etats-Unis et un acteur majeur du streaming en ligne, A l’inverse, Blockbuster a gardé son réseau de magasins de location de DVD, certes en l’améliorant (suppression des pénalités de retard), mais cette firme est restée sans réaction lorsque la situation concurrentielle s’est transformée.

La courbe cachée des compétences.

 En établissant les offres de produits et de services qui leur permettent d’escalader la courbe financière en S, les entreprises très performantes créent des compétences particulières. Il en a été ainsi de Dell avec son modèle de vente directe d’ordinateurs, de Walmart avec sa chaîne d’approvisionnement unique, de Toyota avec ses méthodes de production et ses capacités techniques qui ont donné naissance aux voitures de luxe Lexus et aux hybrides comme la Prius. Mais, comme c’est le cas pour les bases de la concurrence, le monopole des compétences s’avère bref, et les managers doivent investir pour les renouveler s’ils veulent propulser l’entreprise sur une nouvelle courbe de compétences en S. Le plus souvent, cependant, la fin d’une courbe de compétences devient perceptible seulement quand il ne reste plus assez de temps pour développer une nouvelle courbe.

Prenons l’industrie de la musique. Les principaux acteurs se sont seulement concentrés sur l’amélioration de leur activité, et c’est un fabricant de PC qui a développé les compétences nécessaires pour fournir de la musique numérique à prix abordable à des millions de consommateurs. Au contraire, les entreprises à hautes performances cherchent continuellement à se réinventer et à transformer leur marché. Procter & Gamble a ainsi autrefois créé le marché, alors inexistant, des couches jetables. Ce groupe a passé cinq ans à développer les compétences qui allaient permettre à
ce produit d’être vendu au même prix que celui que les consommateurs payaient pour acheter et laver des couches en tissu. De même, JefF Bezos, le P-DG d’Amazon, remarque qu’il a fallu cinq à sept ans avant que les graines que sa compagnie avait plantées - la diversification au-delà des produits média, la représentation d’autres vendeurs qu’Amazon, l’expansion internationale - aient un impact important sur les résultats. Le processus requiert donc d’être clairvoyant, de s’engager très tôt et de faire totalement confiance à sa R&D.

La courbe cachée du talent.

De nombreuses sociétés perdent de vue qu’il leur faut développer et retenir ce qu’on pourrait appeler le talent de premier rang - c’est-à-dire des cadres qui ont la volonté et la capacité de développer de nouveaux business. Cela est notamment important quand l’activité progresse, mais n’a pas encore atteint son pic: dans ces circonstances, les entreprises ont tendance à vouloir gérer au plus juste (car elles sont déjà sur la pente descendante de la courbe d’apprentissage des compétences) et plus durement (car une pression visant à maximiser les marges se fait sentir). La réduction des effectifs et l’absence d’investissement dans le talent ont alors un effet pervers, l’entreprise chassant les collaborateurs sur lesquels elle pourrait compter pour se réinventer.

Les étude montre que les firmes les plus performantes s’efforcent au contraire d’attirer en permanence de nouveaux talents. Schlumberger, spécialisé dans les services pétroliers, envoie ainsi des «ambassadeurs» dans des dizaines d’écoles d’ingénieurs. Parmi eux, des cadres de haut niveau en charge de budgets importants, qui peuvent approuver la donation d’équipements à ces écoles et le financement de recherches. La création de ces liens étroits se traduit par la préférence accordée à la firme lorsqu'elle a besoin d’embaucher, ce qui lui permet de bénéficier d'un «pipeline» de talents qu’elle va ensuite développer. Schlumberger est même «producteur net de talents» dans son secteur, ce qui est la marque des entreprises très performantes.

En gérant ces trois courbes en S cachées - tout en restant bien sûr focalisées sur la courbe en S de croissance du chiffre d’affaires-, les firmes hautement performantes ont initié le processus de réinvention avant même que la croissance de leurs activités ait commencé à ralentir. Les outils de management qu'elles ont utilisés? Regardons d'abord leur réponse face à la courbe cachée de la concurrence.

Une stratégie centrée sur les frontières


Les méthodes traditionnelles de planning stratégique sont utiles pour allonger la courbe en S du chiffre d’affaires d’une activité existante, mais elles sont inopérantes pour détecter comment le socle de la concurrence va changer sur un marché, Pour arriver à se réinventer, il faut compléter l’approche traditionnelle par un processus stratégique parallèle, qui place au centre à la fois les frontières du marché et celles de l’entreprise. Grâce à cette approche «centrée sur les frontières», la gestion stratégique devient une activité permanente, même en l’absence de processus ou de structures dédiés.

Placer au centre les frontières du marché.

Une stratégie centrée sur les frontières permet à l’entreprise de scruter sans arrêt la périphérie du marché, à la recherche de besoins non satisfaits ou de problêmes non résolus. Le géant de la pharmacie Novo Nordisk est ainsi arrivé à comprendre, grâce à un projet baptisé Dawn (Diabetes attitudes, wishes and needs), que ses activités futures concerneraient bien plus que la santé corporelle. Pour étudier les attitudes, les souhaits et les besoins des diabétiques, Dawn a rassemblé des milliers de médecins, d’infirmières, d’experts et de patients, ainsi que des délégués d’organisations telles que l’OMS, afin de placer les hommes -et non la maladie - au centre du traitement.

Les recherches menées au sein de Dawn ont révélé à Novo Nordisk les besoins sociaux et psychologiques des patients. L'entreprise a ainsi appris que plus de 40% des diabétiques ont des problèmes psychologiques et que 15% souffrent de dépression. Ces informations l’ont poussée à commencer à se réinventer. Désormais, elle se focalise moins sur la fabrication et le développement de médicaments, et s’occupe davantage de la prévention et du traitement des maladies, pariant ainsi son avenir sur sa capacité à prendre en charge les patients autant que leur maladie.

Placer au centre les frontières de l’entreprise.

Les collaborateurs de terrain, les équipes de recherche et les responsables opérationnels jouent tous un rôle crucial pour détecter les mutations du marché. Un manager performant doit trouver le moyen d’inclure leurs remarques dans le processus de décision. L’entreprise Best Buy est ainsi à l’écoute de ses directeurs de magasin éloignés du siège, ce qui a permis à l’un d’eux de créer à New York une boutique dédiée aux touristes portugais débarquant de bateaux de croisière. De même, le spécialiste des produits d’entretien Reckitt Benckiser a eu l’idée d’un de ses produits* vedettes, Air Wiek Freshmatic, grâce à l’un de ses chefs de marque en Corée. Son idée suscita des résistances en interne, parce qu’elle nécessitait d’incorporer de l’électronique dans un produit pour la première fois, mais Bart Brecht, le P-DG, a validé ce projet enthousiasmant, qui ne faisait pourtant pas l’unanimité.

Si le processus stratégique reste ainsi centré sur les frontières, il ne peut être formalisé. Les recherches montrent que, si les collaborateurs peu ou moyennement performants bâtissent une stratégie routinière, les plus efficaces adoptent des méthodes et un timing qui permettent d’éviter toute prédictibilité et d’empêcher les jeux d’être faits à l’avance.

Mais, au fur et à mesure que le paysage concurrentiel change, l’avantage précis ainsi acquis s’évapore rapidement. Au moment où la nouvelle activité décolle, des imitateurs se préparent déjà à la contrer. D’autres, attirés par ce succès, se mettent aussi sur les rangs. D’où la question : comment une entreprise peut-elle se doter des compétences nécessaires pour se placer sur une nouvelle courbe financière en S ?

Le changement au sommet

Certains cadres excellent dans la gestion - ils modernisent les usines, agrandissent la zone d’implantation ou élargissent les gammes de produits. D’autres sont des entrepreneurs: leur force réside dans la création de nouvelles activités. Les uns ne sont pas meilleurs que les autres. Ce qui importe, c'est que les aptitudes de l’équipe dirigeante correspondent aux besoins de l'entreprise sur la courbe en S des compétences. Les ennuis commencent quand l’équipe dirigeante reste en place pour gérer la courbe financière en S, au lieu d'évoluer afin de se doter d?un nouvel ensemble de compétences originales.

Eviter ce piège, c’est bien entendu contredire la nature humaine. Quel membre d’une équipe dirigeante souhaite partir alors que l’entreprise se porte bien? Pourtant, les firmes à hautes performances savent qu’une des clés permettant de se doter des compétences nécessaires pour se placer sur une nouvelle courbe en S est de renouveler l’équipe dirigeante en la bouleversant sans cesse.

Renouveler très tôt l’équipe dirigeante. Regardons comment l'équipe dirigeante d’Intel a évolué. Au cours de son histoire, le fabricant de semi-conducteurs a été dirigé par cinq P-DG: Robert Noyce, Gordon Moore, Andy Grove, Cratg Barrett et aujourd’hui Paul Otellini. Pas une seule fois l'entreprise n'a dû chercher à l'extérieur pour pourvoir le poste, et les transitions ont été tranquilles et bien orchestrées. «Afin d'identifier d’éventuels manques, nous discutons des changements de dirigeants à l’horizon d’une décennie», explique David Yoffie, qui fait partie du conseil d’administration d'Intel depuis 1989.

L’objectif d'Intel lors de ces changements au sommet est de rompre la continuité pour faire évoluer l’activité. Ainsi, lorsque Andy Grove céda sa place de P-DG, en 1998, il était toujours un leader ultraperformant. Si la continuité avait été la principale préoccupation, il aurait pu rester trois ans de plus, jusqu’à 65ans, l’âge de la retraite chez Intel. Au lieu de quoi, il a rendu son sceptre à Barrett, qui a alors mis en place une nouvelle stratégie de croissance, fondée sur l’extension des produits.

En fait, chacun des P-DG d’Intel a laissé sa marque. Grove décida d’abandonner les puces pour se tourner vers les microprocesseurs, et c’est cette transition qui a permis à l’entreprise de devenir un leader mondial du high-tech. Depuis qu’il a pris la barre, en 2005, Otellini s’est, pour sa part, focalisé sur les processeurs Atom destinés à tous les équipements mobiles se connectant sur le Web, tels que les smartphones, les tablettes, les systèmes de navigation... et même les machines à coudre.

Grâce à son planning de succession, Intel s’offre la possibilité de choisir le meilleur P-DG pour relever les défis auxquels l’entreprise fait face, au lieu de nommer le prochain candidat dans la file d’attente. Et, en changeant très tôt de P-DG, elle donne à la nouvelle équipe dirigeante le temps nécessaire pour réinventer l’entreprise, bien longtemps avant que la détérioration du chiffre d’affaires et le rétrécissement des options possibles ne se transforment en crise.

Equilibrer les vues à court terme et à long terme.

Autre facteur clé pour faire apparaître une nouvelle courbe de compétences: s’assurer que l’équipe dirigeante garde à la fois un œil sur le présent et un sur l’avenir. Ainsi, quand Adobe a racheté Macromedia en 2005, le P-DG d’alors, Bruce Chizen, a jaugé ses managers pour déterminer ceux qui auraient la capacité d’augmenter le chiffre d’affaires de l’entreprise jusqu’à 10 milliards de dollars. Mais il a estimé que la plupart ne possédaient pas les compétences ou la motivation pour y arriver. Chizen a donc choisi plus de managers de Macromedia que d’Adobe pour occuper les postes clés dans le nouvel organigramme. Sa décision se fondait sur les besoins futurs d’Adobe, et non sur sa perception des managers les plus compétents au moment où il effectuait son choix. Le Pdg d’Adobe s’appliqua le même traitement. A 52 ans seulement, après sept ans de succès aux commandes de l’entreprise, il céda sa place à Shantanu Narayen, son second depuis longtemps. Le timing pouvait sembler étrange, mais il faisait sens. Car l'entreprise devait relever de nouveaux défis et avait grand besoin de nouvelles compétences au moment où elle s’apprêtait à affronter des concurrents bien plus gros, tels que Microsoft.

Dans d’autres cas, l’équipe dirigeante peut avoir besoin de points de vue originaux pour contrebalancer une ligne managériale bien établie. Avant que Ratan Tata ne soit nommé à la tête du groupe indien Tata, en 1991, les principaux cadres dirigeaient leurs baronnies depuis des années et ne partaient que très tard à la retraite. Le nouveau P-DG les força à quitter l’entreprise (ce qui déclencha, bien sûr, des réactions hostiles), et il fixa un âge limite de retraite afin de mettre fin à l’immobilité de l’équipe dirigeante. Ce changement créa des dizaines d’opportunités pour les jeunes cadres brillants du groupe. Grâce à eux, Tata est devenue la première entreprise privée en Inde.

S'organiser pour éviter toute surcharge. 

En dernier lieu, les entreprises les plus performantes organisent leurs équipes dirigeantes de façon à ce que les responsabilités soient réparties et exercées de manière efficace. Les trois tâches critiques sont à cet égard le partage de l’information, les consultations précédant les décisions importantes et la prise de décision elle-même. Dans de nombreuses firmes, ces trois fonctions sont remplies par un seul groupe d'individus, mais cela peut s’avérer gênant.

Une autre approche, que nous avons observée dans beaucoup d’entreprises performantes, consiste à diviser ces tâches en créant des «équipes à l’intérieur des équipes». Au sommet, un groupe de trois à sept personnes prend les grandes décisions. Il reçoit des informations et des avis d’autres équipes, afin que des centaines de collaborateurs puissent apporter leur contribution à la stratégie.

Une réserve de talents


Réinventer un business n'exige pas seulement des équipes dirigeantes alertes, mais aussi une foule de collaborateurs prêts à faire décoller et à développer avec succès de nouvelles activités. Les entreprises très performantes ont une approche aussi exigeante que celle consistant à changer l’équipe dirigeante avant que l’activité principale ne plafonne: elles favorisent l’émergence dans leurs rangs de beaucoup plus de talents qu’il n’est nécessaire pour gérer efficacement leurs activités existantes (et en particulier le talent qui consiste à créer et à développer de nouvelles activités). Une telle attitude est loin d’être évidente quand tout semble aller bien, ce qui explique pourquoi beaucoup d’entreprises rechignent à l’adopter.

Un des signes montrant qu’une entreprise a des talents en excès est que ses collaborateurs ont du temps pour penser. De nombreux groupes très performants (par exemple Google et 3M) donnent ainsi à leurs salariés une partie de la semaine pour explorer de nouvelles idées. D’autres entreprises se dotent d’un banc fourni, afin de permettre à des cadres prometteurs de mener à bien des projets de développement plutôt que de les assigner à la réalisation des tâches urgentes. Toutes les entreprises performantes recherchent ce type de candidats et s’efforcent ensuite de les «muscler» afin qu’ils puissent relever de nouveaux défis.

Embaucher des candidats compatibles avec la culture de l’entreprise

 Les entreprises à hautes performances ont toutes dans l’idée d’embaucher des cadres pour le long terme - ce qui altère fondamentalement la nature de l’embauche et l’effort de formation. Ainsi, elles ne cherchent pas seulement de très bons collaborateurs pour remplir leurs postes vacants. Elles savent en effet qu’en définitive, c’est avant tout l’adaptation à leur culture qui est le facteur clé des performances du candidat tout au long de sa carrière dans l’entreprise.

Prenons l’exemple de Four Seasons Hotels and Resorts. Cette chaîne d’hôtels de luxe recherche des salariés qui vont s’épanouir dans un business consistant à traiter les clients comme des rois - et certains de ses hôtes sont en effet des rois. «Je peux apprendre à n’importe qui à être serveur, explique Isadore Sharp, le P-DG, dans son ouvrage “Four Seasons: l’histoire d’une philosophie du business”. Mais je ne peux supprimer une mauvaise attitude si elle est ancrée. Nous recherchons donc des gens qui disent ; “Je serais fier d’être portier chez vous.”»

Reckitt Benckiser place aussi l’adaptation culturelle au centre de son processus d’embauche. Avant même que les candidats entament leur démarche, ils peuvent effectuer en ligne une simulation qui détermine s’ils ont une chance de correspondre à la culture «super dynamique» de l’entreprise. Ils sont mis face à des scénarios de business auxquels on leur demande de répondre. Après avoir pris connaissance de leur «score de compatibilité», ils choisissent eux-mêmes de maintenir ou non leur candidature.


Se préparer aux défis de l’avenir.

S’assurer que les nouveaux collaborateurs sont prêts à affronter avec succès les périodes les plus difficiles d’une longue carrière nécessite ce qu’on peut appeler «l’exigence de la force». Dans les entreprises peu performantes, les collaborateurs peuvent s’effondrer quand surviennent des difficultés ou de mauvaises surprises. Pour leur part, les firmes très performantes créent un environnement - souvent très exigeant - qui permet à leurs salariés d’acquérir les compétences et l’expérience dont ils auront besoin pour mettre en place la nouvelle courbe en S de l’entreprise. L’objectif consiste en partie à créer ce queBob Thomas appelle dans son livre sur le sujet «un creuset d’expérience» est proche de celle «d’épiphanie» en langage philosophique ou de «tournant de la vie» en psychologie). C'est un événement qui change la vie, professionnelle ou privée, et dont les leçons aident à se glisser dans la peau d’un leader.

Les creusets d’expérience peuvent - et doivent -être créés intentionnellement. Quand le jeune Jeff Immelt démarra chez General Electric, le PDG d'alors, Jack Welch, et le directeur des ressources humaines, Bill Conaty, lui demandèrent de s'occuper du problème de millions de compresseurs de réfrigérateurs défectueux, bien qu’il ne connût ni ce matériel ni les procédures de rappel Immelt a plus tard déclaré qu’il ne serait jamais devenu PDG sans ce baptême du feu.


Donner aux salariés l’occasion de s’affirmer.

Après avoir choisi et testé les bons collaborateurs, les entreprises doivent leur donner une chance de s’exprimer, Pour vraiment leur permettre d’exceller dans leur job, il faut examiner soigneusement ce qu’on leur demande de faire au quotidien.

UPS sait ainsi depuis longtemps que ses chauffeurs sont un élément crucial de sa réussite. Un chauffeur confirmé connaît toujours l’itinéraire le plus rapide, et il prend en compte l’horaire, la météo et bien d’autres facteurs pour réaliser sa livraison. Mais le taux de rotation de ce personnel est élevé, en partie à cause de l’effort physique nécessaire au chargement des camions. Une tâche qu’UPS a donc décidé d’isoler en la confiant à des salariés à temps partiel, plus faciles à trouver et payés moins cher. La société a ainsi permis à son groupe de chauffeurs de se concentrer sur ses compétences et de réaliser parfaitement son travail.

Les entreprises peuvent aussi se servir de leur structure organisationnelle pour fournir à leurs salariés l’opportunité de prendre du galon. Illinois Tool Works (ITW), un fabricant de produits et d’équipements industriels, compte ainsi 800 unités opérationnelles. Quand l'une d'entre elles devient trop importante {au-delà de 50 millions de dollars de ventes), elle est divisée, ce qui permet de promouvoir de jeunes managers. Et chez ITW, «jeune» signifie qu’on peut diriger une activité avant d’avoir 30 ans.

Les entreprises très performantes n’hésitent pas en effet à promouvoir leurs salariés talentueux avant ceux qui ont de l’ancienneté. Quand A. G. Lafley a pris les rênes de Procter & Gamble, il a cherché quelqu’un pour diriger, en Amérique du Nord, la division soins de bébé, qui se portait mal. Au lieu de nommer à ce poste un de ses 78 managers confirmés, il a choisi Deborah Henretta, située bien plus bas dans l’organigramme. Un pari payant, puisque Henretta mit fin à vingt années de pertes et fut ensuite promue présidente du groupe en Asie,

Bref, pour doter l’entreprise d'un surplus de talents, il faut casser le moule d’une manière ou d’une autre, comme l’ont fait les dirigeants d’UPS, de P&G ou d’ITW. Cela permet de conserver dans les effectifs des collaborateurs indispensables - voire des groupes entiers dans le cas d’UPS. Et cela fait savoir à l’entreprise tout entière que l’acquisition et la préservation du talent passeront toujours avant la réduction des coûts.

Toutes les entreprises, mêmes celles qui sont au top, peuvent être affectées par un ralentissement de l’économie. Et lorsque la conjoncture se durcit, les problèmes des firmes dont l’activité se situe vers la fin de la courbe financière en S sont exacerbés. De plus, même en période faste, il faut affronter des crises provoquées par de nouveaux concurrents agressifs, par l’évolution de la technologie ou simplement par le vieillissement de l’industrie ou de l’entreprise. De sorte que certaines firmes peuvent être très prospères, alors que la vôtre (ou votre secteur) affronte sa propre récession.

Face à tous ces défis, les entreprises qui gèrent les trois courbes cachées en S -la dynamique concurrentielle, les compétences différenciantes et la préparation d’une réserve de talents - se trouvent dans une bien meilleure position pour se réinventer: elles peuvent plus facilement se positionner sur une nouvelle courbe financière en S. Les autres affronteront sans doute l’arrêt de leur croissance en lançant dans l’urgence un programme de réinvention drastique. Avec peu de chances de réussite...



08/02/2015

Hausse en vue des prix des terres rares



Terres rares


La baisse des prix des terres rares ne serait que temporaire. La Chine prépare la parade pour consolider son monopole dans ce secteur stratégique malgré la fin récente des quotas.

Malgré la fin des quotas à l’exportation de terres rares, la Chine ne risque pas de perdre avant longtemps son monopole sur cette matière première indispensable à l’industrie électronique, du high-tech à l’automobile, en passant par le nucléaire. L’empire du Milieu, qui produit 98 à 99% des terres rares de la planète, met actuellement tout en œuvre pour pérenniser sa domination sur le marché mondial. Selon les informations et les bruits de couloir, cette situation devrait entraîner, à moyen terme, une remontée des prix des terres rares, alors que ceux-ci sont orientés à la baisse depuis deux ans.

Pour rappel, au début de cette année, la Chine a mis fin aux quotas à l’exportation qu’elle avait imposés durant dix ans sur les terres rares. L’Europe, les Etats-Unis et le Japon ont réussi à la faire plier à travers l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). Mais cela veut-il dire, pour autant, que la Chine a abandonné ses velléités monopolistiques? La stratégie et les objectifs de la Chine n’ont pas changé, c’est juste la méthode qui évolué. Suite au rachat du Français Rhodia, le groupe de chimie belge est devenu leader mondial des formulations à base de terres rares.

Pékin consolide son monopole


Le gouvernement chinois met en place actuellement une stratégie qui devrait aboutir au même résultat que les quotas.

Comment? D’une part, Pékin est occupé à consolider son industrie des terres rares en la regroupant autour de six grandes entreprises, dont les plus importantes sont Baotu High Tech et China Mine Métal. C’est la fin des petites entreprises qui se multipliaient dans le désordre.
Les entreprises européennes ou américaines qui voudraient concurrencer ces six géants risquent de se heurter à un mur. Pour l’instant, les deux seules sociétés occidentales encore en activité, Lynas (Australie) et Molycorp (Californie), sont proches de la faillite.

D’autre part, la Chine se prépare à remplacer la taxe à l’exportation, décriée par l’OMC, par une taxe sur la production des ressources minières. Celle-ci devrait faire remonter les prix vers le haut. De même que les nouvelles réglementations environnementales chinoises. La baisse actuelle des prix est toute relative. Certaines terres rares sont d’ailleurs plus chères qu’avant la crise»,

Projets occidentaux à court de financement


Pour tenter de briser le monopole chinois, plusieurs pays ont relancé des investissements dans ce secteur abandonné à la fin les années nonante. La Chine est loin d’être le seul pays au monde à détenir des terres rares dans son sol. Ces matières premières sont, en réalité, présentes dans la plupart des sols. Mais leur extraction coûte cher en raison de l’impact environnemental.
Selon Adamas Intelligence, un bureau canadien d’experts en terres rares, une cinquantaine de projets seraient en cours de développement dans le monde. Mais leur aboutissement est loin d’être assuré.
L’expert d’Adamas Ryan Castilloux estime que «l’émergence de ces nouvelles sociétés d’extraction de terres rares se heurte à un manque d’intérêt pour le financement de leur projet». Selon Bloomberg, pas moins de 12 milliards d’investissements seraient nécessaires. Or, le marché pèse moins de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. L’expert prévoit également une remontée des prix à moyen terme, suite à la mise en place de la nouvelle stratégie chinoise.

Depuis deux ans, les prix des terres rares sont en baisse en raison d’une surcapacité du secteur.
La Chine, premier producteur mondial, a supprimé récemment ses quotas mais le gouvernement chinois prépare une réplique pour assurer son monopole: une consolidation de ses producteurs et une nouvelle taxe. Résultat, selon les observateurs, les prix des terres rares devraient repartir à la hausse à moyen terme.