Arnaque à touristes ou aubaine pour amateurs éclairés ? Un journaliste spécialisé dans les ventes d’art embarque pour une croisière en Méditerranée. Son but : en apprendre plus sur les combines de Park West. Cette galerie américaine, qui organise des ventes aux enchères à bord de paquebots, s’est attiré une réputation sulfureuse.
De tous les passagers réunis pour la vente aux enchères, l’homme assis devant moi est celui qui donne le plus l’impression de n’être venu que pour boire un coup gratuitement. Les prospectus déposés dans nos cabines annonçaient que le champagne coulerait à fots et, parmi les élégants polos et les jolies robes d’été, ce sexagénaire se distingue par sa tenue décontractée : un débardeur blanc au logo “Virginia Beach” délavé, un short de sport noir et la visière de sa casquette bleue rabattue sur des lunettes de soleil.
Il est 11 heures du matin et notre paquebot, le Norwegian Epic, traverse les bouches de Bonifacio, entre la Sardaigne et la Corse, emportant vers l’Italie ses quelque six mille passagers et membres d’équipage. Tandis que le personnel de salle fait entrer les acheteurs potentiels, un serveur approche avec un plateau de verres de champagne. L’homme au débardeur vide joyeusement une fûte : “Et voilà pour le petit déjeuner !” Avant que les enchères ne commencent, le commissaire-priseur nous invite à observer attentivement des dizaines d’œuvres d’art disposées sur des chevalets dans la pièce – des marines impressionnistes, des chaumières mièvres de Thomas Kinkade [un peintre américain décédé en 2012, connu pour ses scènes et paysages kitsch], une statue de la Liberté version pop art de Peter Max, et une composition surréaliste représentant une olive anthropomorphique.
L’amateur de champagne s’appelle Chuck Bialon et vient de Pittsburgh. Il me dit avoir assisté à des dizaines de ventes de ce type au fil des ans. “C’est une arnaque”, me glisse-t-il à l’oreille. Les commissionnaires circulent dans la salle, à portée de voix, proposant à des collectionneurs en puissance des prix avant enchère qu’ils présentent comme des rabais spectaculaires. Bialon m’alerte à mi-voix sur le danger caché : la couverture Wi-Fi est si mauvaise à bord qu’il est pratiquement impossible d’aller vérifer les prix du marché sur Google – et les passagers ont donc peu de chance d’apprendre que des clients mécontents accusent depuis longtemps la maison qui organise les enchères, la galerie Park West, de vendre des œuvres d’art surévaluées comme des investissements.
Il a pourtant un jour acheté un Rembrandt pour 12 000 dollars lors d’une croisière Carnival aux Caraïbes, ajoute-t-il. Une gravure qui trône désormais dans sa salle à manger. Je voudrais lui demander des détails, mais le commissaire priseur m’a vu prendre des notes. Pour l’instant, je dois jouer le jeu et me fondre à la foule. Si je suis là aujourd’hui, c’est parce qu’il flotte un parfum de scandale autour des enchères d’art sur les paquebots de croisière.
Fondée en 1969, Park West a son siège dans les environs de Détroit et se revendique comme la plus grande galerie d’art du monde. Elle vend des tableaux et des sculptures dans les milliers d’enchères qu’elle organise chaque année sur plus d’une centaine de paquebots. Park West travaille avec la Norwegian, la Royal Caribbean et Carnival [les trois plus gros croisiéristes au monde]. Toutes ces compagnies touchent un pourcentage sur les ventes. La galerie a déjà pu revendiquer un chifre d’affaires annuel de pas moins de 400 millions de dollars et compte plus de 2 millions de clients.
Ces chiffres vertigineux s’accompagnent toutefois de nombreuses plaintes. Depuis 2008, la galerie fait l’objet de toute une série de poursuites judiciaires pour pratiques commerciales abusives, notamment pour de fausses signatures de Salvador Dalí et des promesses de retour sur investissement. Une déclaration écrite de la galerie, déposée auprès d’un tribunal en 2012 dans le cadre d’un contentieux d’assurance, atteste qu’au moins vingt et un clients de Park West ont engagé onze procès aux États-Unis.
Selon un autre document du même dossier, signé en 2013 par le fondateur de Park West, six de ces recours collectifs ont été regroupés en une seule procédure de litige. Park West était accusée d’avoir vendu des œuvres d’art à des prix surévalués en usant de pressions psychologiques, en présentant des évaluations fondées sur des méthodologies fantaisistes et en mentant sur l’authenticité des pièces.
Park West a qualifé ces allégations d’infondées, mais précise tout de même avoir accepté en 2011 un accord amiable prévoyant des remboursements partiels et la reprise de certaines œuvres. La galerie affirme avoir depuis lors modifé certaines de ses pratiques commerciales, et donne désormais à ses clients quarante jours pour reprendre les œuvres et quarante mois pour les échanger.
En dépit de ces actions en justice, les ventes d’art de Park West ne se sont jamais mieux portées. Cette bonne santé est soit un formidable rebondissement de l’entreprise, soit la preuve qu’elle n’a jamais rien fait de mal. Afin de démêler le vrai du faux, j’ai réservé une cabine sans fenêtre sur l’Epic pour un circuit en Méditerranée entre l’Italie, la France et l’Espagne. Oui, je serai payé pour m’offrir une semaine de croisière – mais non sans prendre certains risques : en 2009, le capitaine d’un paquebot de la Royal Caribbean a ordonné à ses agents de sécurité de débarquer un enseignant new-yorkais à Oslo, en plein milieu de la croisière, après que celui-ci eut imprimé un prospectus pour informer ses compagnons de voyage des procès en cours contre Park West. Pour éviter d’en arriver là, je ne dirai rien de ma mission. Mais si on me pose la question, je n’en ferai pas non plus mystère.
Sur le coup de midi, Scott Bisset, 48 ans, et Sharyn Miller, 51 ans, viennent suivre une vente dans le salon Bliss Ultra bain – est savamment étudiée : “Il ne faut surtout pas qu’ils pensent que vous avez de l’argent. Sans quoi, les prix risquent de grimper.” Ce couple cosmopolite vit à Dubaï, mais lui est originaire du Royaume-Uni, où ils possèdent une maison, et elle passe une partie de son temps à s’occuper du bétail dans sa ferme familiale de Nouvelle-Zélande. Bisset et Miller savent parfaitement où ils mettent les pieds : ils ont déjà acheté des œuvres à Park West lors d’une précédente croisière et c’est des clients satisfaits qui reviennent.
Après s’être fait enregistrer et avoir récupéré leur plaquette d’acheteur [la “raquette” que lèvent les enchérisseurs], ils font le tour du salon pour examiner les 300 tableaux exposés. Ils en repèrent quatre, dont une “édition limitée” d’un phare de Thomas Kinkade et une vue d’un pont sur la Seine de Daniel Wall, peintre chinois établi en Caroline du Nord qui, selon le site Internet de Park West, est à l’origine d’un mouvement dit d'impressionnisme intense”. Avant l’ouverture de la séance de vente, Park West propose au couple les quatre tableaux en un seul lot, avec une mise à prix de 5 100 dollars – une somme déjà bien en deçà du prix unitaire afché au catalogue. Tout le monde prend place et la vente peut débuter. Sur son estrade, le commissaire-priseur, Dillon Cilliers, rappelle au public les conditions de vente imprimées sur les plaquettes, soulignant l’article 1, qui précise en grosses lettres majuscules que “toutes les ventes sont définitives”.
Cilliers, un fringant Sud-Africain, dicte le tempo, débitant son boniment à toute allure et abattant son marteau de bois sur la table. Le lot de Bisset et Miller arrive sur la sellette. Ils l’emporteront s’il n’y a pas de concurrence. Personne n’enchérit. Adjugé pour 5 100 dollars. “On ne peut pas vraiment appeler ça des enchères, admet Mme Miller. Mais je pense que nous avons économisé 3 000 dollars.” Avant la fin de la séance, le couple acquiert encore un autre Daniel Wall fgurant un paysage de Central Park (pour 570 dollars) et un deuxième phare de Thomas Kinkade (pour 1 150 dollars). Il s’agit bien d’une œuvre sur toile, mais est-ce pour autant un tableau ? Dificile à dire. De près, on remarque des touches de couleur et des coups de pinceau qui, par endroits, donnent de la texture à l’image.
Park West ne vend généralement pas de pièces uniques au sens où l’entendraient la plupart des collectionneurs amateurs. Mis à part quelques œuvres de prestige, il propose essentiellement des reproductions enrichies de quelques éléments singuliers, comme une signature manuscrite. La terminologie officielle distingue les “giclées”, obtenues par impression numérique à jet d’encre, des sérigraphies, imprimées sur de la soie tendue sur cadre, et des “techniques mixtes”, qui, comme la plupart des œuvres de Peter Max, sont des lithographies sur papier enrichies de touches de peinture. Il m’a fallu passer des journées entières dans la galerie et assister à plusieurs ventes pour comprendre ces subtilités – sachant que je couvre les ventes d’art depuis des années en tant que journaliste et que j’ai un doctorat en archéologie. Les traces de pinceau m’ont désarçonné – et ce n’est qu’en consultant le catalogue que j’ai compris que les œuvres d'impressionnisme intense” de Wall étaient en fait des “giclées sur toile rehaussées à la main”.
La maison Park West reconnaît d’ailleurs que la plupart de ses œuvres d’art sont en partie produites en série. Qu’en est-il alors des Kinkade qu’a acquis Melle Miller, elle n'aurait pas les lithos qu’elle a vues à l’exposition, mais d’autres tirages de la même série, envoyés de Floride par le service d’encadrement et d’expédition de la galerie. Ainsi, les pièces présentées sur le paquebot peuvent rester en place. C’est d’ailleurs écrit noir sur blanc à l’article 16 des conditions de vente : si vous achetez une œuvre en technique mixte ou rehaussée, “vous recevrez plus probablement une œuvre unique qui est une variante de l’exemple exposé”. Au total, Bisset et Miller ont dépensé 7 079 dollars cet après-midi-là.
Nous avons jeté l’ancre au large de Cannes lorsque les pièces de prestige sont exposées dans la galerie d’art du pont 5 : une lithographie d’arabesques colorées de Joan Miró, signée et numérotée, une gravure d’Henri Matisse et quelques estampes en noir et blanc de Marc Chagall. La pièce maîtresse est un ensemble de six gravures de Salvador Dalí que je reconnais au premier coup d’œil. Je n’en reviens pas de les voir mises à l’encan ici. Dans les années 1940, Dalí a travaillé avec Walt Disney à un court- métrage animé, Destino, pour lequel il avait dessiné plusieurs story-boards. Le projet n’a jamais abouti du vivant des deux hommes, mais il a par la suite été relancé par le neveu de Disney, Roy, qui en a tiré un film de sept minutes. En 2003, à l’occasion de sa sortie, Disney a édité une série de gravures numérotées à partir d’images du film. En 2008, Park West a proposé six gravures Destino à 11 000 dollars – soit à moitié prix de ce qu’il prétendait être leur valeur d’expertise. Aujourd’hui, ces évaluations ne tiennent plus. Puisque nous sommes dans un port et que mon téléphone capte à nouveau, j’en profte pour vérifer rapidement sur Google : lors d’enchères récentes, les gravures Destino étaient évaluées entre 200 et 300 dollars l’une. Sur le site de petites annonces Craigslist, le propriétaire d’une série achetée auprès de Park West essaye d’en refourguer cinq pour 4 000 dollars, avec les cadres et les certifcats d’authenticité de la galerie. Les gravures Destino apparaissent dans le recours collectif contre Park West : les plaignants citent un expert de Dalí qui a estimé les lithographies à 100 dollars pièce.
Je suis curieux de savoir combien Park West en demande et, ce soir-là, je retourne au salon d’exposition pour une réception VIP. Les galeristes et leurs invités sont tirés à quatre épingles dans leurs robes du soir, vestons et cravates. Une table a été dressée avec biscuits apéritifs, cubes de fromage et une profusion de fûtes de champagne. J’entends à plusieurs reprises une employée féliciter une collectionneuse en puissance sur sa “magnifique robe”. Je demande à une autre les prix du Miró, qui me plaît vraiment, et de la série Destino de Dalí. Elle consulte les tarifs dans un classeur : le Miró est à 14 000 dollars, et je pourrais acquérir la série de Dalí pour 14 900 dollars.
Une quarantaine de passagers arrivent au salon
Le Bistro, où a lieu la vente. Impeccablement mis dans un costume sombre et une cravate vert pâle, Cilliers annonce aux nouveaux arrivants que s’ils veulent du champagne gratuit ou des billets de tombola, ils doivent s’enregistrer et obtenir leur plaquette d’acheteur. Une fois que tout le monde est assis, il annonce sans ambages qu’il attend des acheteurs et non des curieux. “Si vous êtes venu pour le spectacle, vous vous êtes trompé d’endroit”, déclare-t-il. Un serveur fait circuler des flûtes de mimosa au champagne. “Ce n’est pas un show télévisé, poursuit Cilliers en pointant un doigt sur ses yeux, puis vers le public. Je vous vois !”
Bientôt, les ventes s’enchaînent : un bronze de chat, annoncé à 6 400 dollars, est adjugé à l’unique preneur pour 4900 dollars. Puis un groupe de trois tableaux, évalué à 19150 dollars, est présenté. Un couple américain a négocié une première offre à 9 790 dollars et prie pour que personne ne surenchérisse. Cilliers scrute la salle, cherchant des enchérisseurs. Personne. Le coup de marteau est accueilli par un tonnerre d’applaudissements. Le mari, dont la nuque rasée vire au rouge, rayonne de soulagement. Le commissaire- priseur vend également une page de manuscrit en latin sur vélin en lettres rouges et noires, qu’il décrit comme “un morceau d’histoire” à un autre acquéreur sans concurrent, au prix de départ de 4100 dollars, puis adjuge pour 1025 dollars une giclée de léopards signée Andrew Bone [un artiste zimbabwéen spécialisé dans les scènes animalières] à un homme arborant un tee-shirt au logo des Yankees. (Plus tard, lorsque je l’interroge, celui-ci me parle de son acquisition comme d’une peinture sur toile”, et je n’ai pas le cœur de le détromper.)
Les employés de Park West sont aux petits soins pour le couple américain qui a déjà dépensé 9790 dollars. L’un se penche par-dessus leur épaule en chuchotant. Quelques minutes plus tard, Cilliers présente une œuvre de l’artiste brésilien contemporain Romero Britto, affirmant qu’elle est estimée à 4 200 dollars mais qu’il la met à prix à 1390 dollars. Le couple, désormais au centre de tous les regards, esquisse un discret hochement de tête. Cilliers abat son marteau tandis que son assistante offre un peu plus de champagne aux heureux acquéreurs.
Entre deux lots, des jeux sont organisés. Park West est réputé pour entrecouper ses ventes de divertissements, comme des tombolas ou des tirages de cadeaux mystère. Une autre tactique consiste à proposer des enchères par élimination. Un manutentionnaire présente une gravure évaluée à 300 dollars. Cilliers demande à ceux qui sont prêts à surenchérir de 5 dollars de lever leur plaquette. “Si vousn’avezpas 5 dollars, je vous donne 5 dollars”, commente-t-il. Dans l’assistance, presque toutes les planchettes se lèvent. A mesure qu’il augmente le prix par paliers, elles s’abaissent l’une après l’autre. À 70 dollars, j’en compte encore huit levées, lorsque soudain le marteau tombe, concluant la vente à 560 dollars. L’épisode aurait été déroutant pour quiconque n’aurait pas compris que A ce n’est pas l’original qui est en vente - que Park West a des centaines, voire des milliers de copies identiques du tirage dans ses réserves. (Certains gagnants de ces tours d’enchères me confieront plus tard qu’ils pensaient que le jeu continuerait jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un candidat en lice, ce qui leur aurait laissé le temps de se retirer.)
Quand l’Epic me ramène à Rome, à peine arrivé devant mon bureau, je m’empresse de vérifier si la lithographie de Miré que j’admirais tant était une bonne affaire pour 14 000 dollars. En fait, elle fait partie d’une série de 39 lithos - dont seules 13 sont signées - vendue à Londres par Christie’s _ en 2015 pour l’équivalent d’environ 96 000 dollars de l’époque. L’estimation la plus généreuse à laquelle je parviens - en assignant une valeur zéro aux tirages non signés - mettrait une litho signée à 7400 dollars. Je trouve un peu plus tard un chiffre précis : en 2011, la maison new-yorkaise Swann Auction Galleries a vendu l’un des Miré pour 3360 dollars, frais compris. Il est vrai que les prix varient d’une année sur l’autre. Mais si j’avais effectivement payé à Park West ce que l’on pourrait considérer comme une surévaluation de 317 %, j’aurais rejoint les rangs des clients mécontents.
Maintenant que je ne suis plus à bord et que je ne risque plus de me faire débarquer, je contacte le fondateur et PDG de Park West, Albert Scaglione, 77 ans. “Nous ne sommes pas là pour escroquer les gens”, m’assure-t-il au téléphone. Depuis les procès qui lui ont été intentés, dit-il, sa société a renforcé son service de déontologie, qui visionne les vidéos de chaque vente. Il nie que les prix de Park West soient gonflés, assurant que ce sont les prix du marché pour les maisons de vente de sa taille. “Nous ne sommes ni Christie’s ni Sotheby’s”, rappelle-t-il.
Il concède que, pendant les séances, les clients ne savent pas trop s’ils sont face à des reproductions ou à des tableaux originaux. “C’est souvent confus, ça va trop vite”, reconnaît-il, ajoutant qu’il pourrait peut-être songer à améliorer la signalétique pour dissiper les malentendus. Soit. Mais comment explique-t-il les prix apparemment élevés de lithos évaluées moins cher sur la terre ferme ? Il botte en touche : “Vous en trouverez peut-être une qui sera partie au tiers de son prix dans une obscure vente en Autriche.” Et les gravures Destino de Dali ? Park West a fixé ses prix en tant que distributeur exclusif de la série sur le marché, se justifie-t-il, et celles que l’on trouve à d’autres prix viennent, dans le meilleur des cas, “de gens qui nous les ont achetées et les revendent”. D’ailleurs, ajoute-t-il, “qu’est-ce qui vous dit que ce ne sont pas des faux Destino ?” Je lui fais part d’un changement que j’ai effectivement pu constater à bord de l’Epic : je n’ai pas entendu une seule fois le commissaire-priseur présenter l’acquisition d’œuvres d’art comme un investissement. En fait, lorsque
j’ai posé la question à deux assistants différents, ceux- ci m’ont fourni la même réponse : “Nous ne pouvons pas prédire l’avenir.” “Nous sommes actuellement en très bonne position sur le marché, me dit Scaglione. Avons-nous eu des commissaires-priseurs qui vendaient des objets d’art comme des investissements ? Oui. Et nous les avons virés.”
Il me reste un mystère à résoudre : le cas Rembrandt. Chuck Bialon, analyste système en retraite, m’avait promis de me raconter l’histoire de A à Z lorsqu’il serait rentré chez lui, en Pennsylvanie, où il élève des poissons tropicaux dans quarante aquariums installés dans sa cave. Au téléphone, il m’explique qu’il a acheté une eau-forte du maître hollandais à Park West il y a sept ans, lors d’une croisière. C’est un autoportrait au béret. Selon le certificat d’expertise fourni par Park West, elle a été tirée au xixe siècle à partir de plaques de cuivre que Rembrandt van Rijn avait gravées de son vivant au xvne siècle. Dans ce document, l’œuvre est estimée à 11 800 dollars - le prix qu’a payé Bialon. Mais l’expertise ne dit absolument rien de sa provenance. Désormais, l’acheteur veut savoir. “Cette oeuvre a dormi quelque part pendant deux cents ans. Elle était forcément entre les mains de quelqu’un.” Il a appelé Park West, a donné le numéro d’enregistrement inscrit sur le certificat d’expertise et a demandé à recevoir un historique de sa gravure. Dans un premier temps, on lui a promis une réponse par e-mail dans la semaine. Ne voyant rien arriver, Bialon a relancé la galerie et s’est fait balader d’un service à un autre, pour finir par s’entendre dire qu’il aurait un certificat d’authenticité et rien d’autre.
Scaglione est au courant des exigences de Bialon et refuse catégoriquement de lui fournir la provenance de son Rembrandt. “Les oeuvres nous sont confiées par des familles, des clients. Nous n’avons jamais indiqué nos sources et nous ne le ferons jamais”, conclut-il.
La veille de la publication de cet article, j’ai reçu un e-mail de Scaglione. Il m’offrait une nouvelle occasion d’observer les méthodes de la galerie. Lorsque je l’avais appelé au téléphone, il m’avait demandé de ne pas enregistrer notre conversation. Et il m’annonçait maintenant que lui-même l’avait enregistrée et me demandait de lui soumettre mon article, afin qu’il puisse vérifier “tous [ses] propos”. Et il ajoute : “Nous avons filmé toutes les enchères auxquelles vous avez assisté” à bord de l’Epie. “Nous avons des vidéos de chaque œuvre d’art qui a été présentée et des moments où vous preniez des notes et où vous n’en preniez pas.” Voici au moins un domaine où Park West a appris à apprécier l’art de l’authentification.
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