16/09/2017

Cosmétique halal


Un marché porteur


Les entreprises proposent de plus en plus de produits spécialement destinés à la population musulmane. Y compris dans le domaine de la beauté. Illustration en Espagne.

N'aturel, détox, bio, écologique... Par les temps qui courent, il devient de plus en plus rare de ne pas trouver l’une ou l’autre de ces appellations, voire plusieurs, sur les emballages des articles qui viennent remplir nos paniers. Le nouveau terme en vogue dans les entrées de cette singulière encyclopédie est celui de halal, un mot qui désigne les pratiques notamment alimen- taires obéissant aux préceptes de la charia (loi islamique) : pas la moindre trace de porc ou de ses dérivés, aucun alcool.


Si peu d’Espagnols s’étonnent encore de trouver des boucheries qui proposent ce type de produits aux près de 2 millions de musulmans habitant dans le pays (selon les chiffres de l’Union des communautés islamiques d’Espagne), la cosmétique halal, cette nouvelle lame de fond, leur aura peut-être échappé. D’après un rapport [sur l’économie islamique mondiale] de Thomson Reuters, ce marché représentait 56 milliards d’euros en 2015, et il pourrait croître jusqu’à 81 mil- liards d’euros en 2021. Il s’agit de produits de beauté qui excluent les graisses d’origine animale et les alcools. À l’avant-garde de ce mouvement, Natura Bissé, marque espagnole de produits de luxe, qui parfait le look des stars d’Hollywood avant qu’elles ne fassent leur entrée sur le tapis rouge des Oscars. Elle est devenue la première entre- prise européenne à obtenir une certification aux Émirats arabes unis.

En Espagne, le premier institut de beauté destiné spécifiquement aux musulmanes a ouvert à Madrid il y a trois ans. Cet établis- sement aux murs aveugles, situé près de la plus grande mosquée de la ville, s’appelle Masturah. Là, les femmes peuvent trou- ver des produits de soins pour leurs che- veux, leur peau ou leurs ongles, qui soient adaptés à leur style de vie. “Les cosmétiques ne sont pas traités de la même manière que les aliments”, reconnaît Yasmine Salem, fon- datrice de l’institut. Les règles étant moins strictes que pour la nourriture, “un produit cosmétique écologique aurait la même validité que s’il possédait le label halal”.

Yasmine Salem tient à ce que les crèmes et les produits de maquillages soient “res- pectueux de l’environnement et qu’ils aient été produits sans mauvaises pratiques, abus ou exploitation d’êtres humains ou d’animaux. Ils ne doivent pas non plus contenir de pesti- cides et sont généralement 100 % naturels.”

L’obtention du label halal par des entre- prises comme Natura Bissé, implantée dans les Émirats depuis 2007 et certifiée depuis 2015, est davantage liée à un “processus de modernisation” qu’à la question religieuse, y compris pour vendre dans les pays musul- mans, souligne Ricardo Fisas, vice-président de la division internationale du groupe barcelonais [et PDG de l’entreprise].

Garantir qu’un produit ne soit pas haram – interdit –, mais parfaitement halal, est devenu un processus industriel réglementé, contrôlé par des organismes présents dans le monde entier : sous l’égide des Émirats pour le monde arabe (lequel représente un quart des fidèles de l’islam, soit 1,8 milliard d’in- dividus, selon le Pew Research Center) et sous la supervision d’autres pays comme la Malaisie et Singapour pour l’Asie, par exemple. En Espagne, l’agence de certification la plus importante est l’Institut halal de Cordoue, appartenant à la Junta Islámica de España. Cette agence a accordé son label à quelque 300 entreprises nationales, “95 % relevant de l’alimentation, suivies du secteur touristique, dont la part est de 4 %”, explique Hanif Escudero, directeur de la normalisation au sein de cet organisme. Le sec- teur de la cosmétique, précise-t-il, reste de dimension modeste, avec une seule société accréditée par l’institut : les Laboratoires Válquer, de Tolède. Selon le directeur de cette entreprise, José Luis Cerrillo, bénéficier de ce label constitue “un gros avantage, car il permet de ne pas exclure la population musulmane d’Espagne et du reste de l’Europe, pas plus que les visiteurs”.

Certificat

Seule l’Indonésie prévoit d’adopter une loi halal, en vertu de laquelle à partir de 2019 tout produit importé ou commercialisé dans le pays devra être conforme aux préceptes de la charia. Ailleurs, la tendance est à exiger que, lorsque le produit porte la dénomination halal sur l’étiquette, il soit accompagné d’un certificat, comme c’est déjà le cas en Malaisie, au Maroc, en Algérie, en Croatie, dans les Émirats et dans certains États des États-Unis. Sur le reste du globe, la clientèle demande des produits éthiques et naturels, sans nécessairement de label ni même l’appellation halal. “Mais il est vrai que détenir le label nous aide à remplir les conditions sanitaires d’entrée dans certains pays, car sa possession suppose d’être passé par toute une série de contrôles”, note Ricardo Fisas.

Situé au carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, l’opulent émirat de Dubaï est désormais un passage obligé vers les marchés arabes. “Sa position nous permet de toucher tout le marché des hôtels de luxe de l’océan Indien : les Maldives, l’île Maurice, les Seychelles...”, ajoute Ricardo Fisas. Suivant la voie tracée tout au long de ses trente ans d’histoire, Natura Bissé commercialise ses produits à travers des instituts de beauté, des hôtel sous des spas haut de gamme. En outre, pour 2019, la société compte ouvrir seize points de vente exclusifs dans cette zone. “Nous avons aussi un pied en Inde, nous sommes introduits au Levant et nous regardons d’un bon œil l’ouverture du marché iranien, qui représente une clientèle de 80 millions de per- sonnes, avec une très bonne connaissance des soins de la peau.”

Depuis les PME jusqu’aux grands groupes, nombreux sont les fabricants qui veulent entrer dans la course à l’obtention du cer- tificat halal. La population musulmane va continuer à croître : d’ici 2030, elle devrait compter 2,2 milliards de personnes. Des multinationales comme le groupe japonais Shiseido proposent déjà des produits cer- tifiés, conçus spécialement pour des pays comme le Bangladesh, où il s’est implanté en 2012. Et [le groupe anglo-néerlandais] Unilever, leader dans cinq pays à forte popu- lation musulmane (Indonésie, Pakistan, Bangladesh, Inde et Égypte), a déjà rem- placé certains ingrédients de base comme le saindoux, le suif, les huiles d’origine ani- male, la gélatine et l’alcool pour le colla- gène, la kératine ou la glycérine, afin de se conformer aux pratiques islamiques.

1900 MILLIARDS DE DOLLARS

C’est la valeur du marché islamique mondial (hors produits financiers) en 2015, selon les estimations de Thomson Reuters. L’alimentation se taille la part du lion (1 170 milliards de dollars, dont 415 milliards de produits certifiés halal). Viennent ensuite les vêtements (243 milliards, dont 44 milliards consacrés à la “mode pudique”), les loisirs et médias (189 milliards), les voyages (151 milliards, dont 24 milliards pour le tourisme halal), la pharmacie (78 milliards) et la cosmétique (56 milliards).



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