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Ce sont deux intermédiaires qui se débattent dans les filets de la justice américaine, un Chinois et un Sénégalais. Les révélations sur leurs agissements, entre 2014 et 2016, pourraient éclairer l’ascension fulgurante d’un jeune champion chinois du pétrole, le groupe CEFC, dont les ambitions planétaires contrastent avec la discrétion de son patron, le mystérieux Ye Jianming, 40 ans.
Le premier intermédiaire, Patrick Ho, 68ans, a comparu, lundi 8 janvier, devant une cour de New York. Accusé de corruption, il a plaidé non coupable. Ancien secrétaire à l’intérieur de Hongkong (2002-2007), c’est lui qui aurait recruté le Sénégalais Cheikh Tidiane Gadio, ex-ministre des affaires étrangères de son pays, pour 400 000 dollars (340 000 euros). Ce dernier aurait joué de ses relations avec le président du Tchad, Idriss Déby, pour accéder aux ressources pétrolières de son pays : CEFC se serait, en retour, engagé à verser au chef d’Etat tchadien un pot-de-vin de 2 millions de dollars, présenté comme un « don à une cause charitable », selon l’accusation américaine.
Le procès ne devrait pas s’ouvrir avant 2019. D’ici là, la justice américaine veut analyser des centaines de milliers de documents, des relevés de comptes bancaires et des écoutes téléphoniques des accusés. L’enquête pourrait en dire davantage sur CEFC, ses relations au sein des Nations unies et ses méthodes pour se hisser rapidement parmi les acteurs majeurs du marché pétrolier.
En moins de trois ans, le groupe a investi dans une zone portuaire de Géorgie, pris le contrôle d’une branche de la compagnie gazière et pétrolière nationale du Kazakhstan et obtenu la plus importante concession sur le premier champ pétrolier d’Abou Dhabi. Il est particulièrement bien introduit en République tchèque, où il a racheté le Slavia Prague, club de football de renom, et le brasseur Lobkowicz, pris une participation dans la compagnie Czech Airlines et une autre dans une banque également importante en Slovaquie, J & T. A ce jour, la plus grosse opération du groupe dirigé par M. Ye est la prise, en septembre 2017, de 14 % des parts du géant pétrolier russe Rosneft, jusqu’alors détenues par le suisse Glencore et le fonds souverain du Qatar, contre 7,7 milliards d’euros.
« Donation » de 500 000 dollars
Dans l’affaire africaine qui intéresse les enquêteurs américains, l’intermédiaire de Hongkong, Patrick Ho, a aussi pris contact avec le ministre ougandais des affaires étrangères, Sam Kutesa, à l’époque où celui-ci venait d’accéder à la présidence de l’Assemblée générale des Nations unies, fin 2014. M. Ho aurait promis à M. Kutesa d’obtenir un profit personnel si un projet de coentreprise pétrolière devait aboutir. En échange, l’homme politique ougandais lui permettait de se rapprocher du président, Yoweri Museveni, selon le procureur de Manhattan. Patrick Ho a transféré 500 000 dollars sur un compte désigné par M. Kutesa, un versement présenté tour à tour comme « une donation » pour la campagne du président ougandais, pourtant déjà réélu, puis comme un « soutien » au chef de la diplomatie ougandaise.
Pendant que, selon l’accusation américaine, Patrick Ho rétribuait Sam Kutesa, alors à la tête de l’Assemblée de l’ONU, le site de la radio d’Etat chinoise reprenait ce communiqué de CEFC : « L’Assemblée générale des Nations unies nomme Ye Jianming conseiller honoraire spécial. » Ce genre de titres ne correspond à aucune fonction opérationnelle. A Hongkong, M. Ye est aussi le « consultant politique spécial » du Nouveau Parti du peuple, une formation pro-Pékin. En République tchèque, en- fin, il est « conseiller économique » du président Milos Zeman, candidat à sa réélection.
De son côté, CEFC a renvoyé l’ascenseur, notamment en Europe. L’ex-ministre tchèque de la défense, Jaroslav Tvrdik, a été nommé vice-président du conseil d’administration de CEFC Eu- rope... et conseiller du président Zeman sur la Chine. En 2013, Vuk Jeremic, après avoir été ministre des affaires étrangères de la Serbie puis dirigé, lui aussi, l’Assemblée générale de l’ONU de sep- tembre 2012 à septembre 2013, devient « consultant » pour l’entreprise chinoise.
Au sein de CEFC, on craint désormais que le nom du patron soit associé au procès à venir à New York. « C’est une très bonne personne, il est brillant. On ne devrait pas écrire sur lui sous un angle négatif, on ne devrait pas être suspicieux de ses connexions ou de quoi que ce soit. Il garde profil bas, on devrait s’en inspirer », confie un cadre du groupe.
Partout, M. Ye affiche son soutien aux « nouvelles routes de la soie », le grand projet planétaire du président Xi Jinping. Ye ne cherche pas à dissimuler le caractère tout à fait politique de ses investissements. « Si un jour la République chèque s’opposait à la Chine, nous devrions retirer nos investissements et repenser notre stratégie sur place », déclarait-il en 2017.
Par ailleurs, M. Ye entretient des liens dont il n’a jamais précisé la nature avec des entités de l’armée chinoise. En 2012, une filiale de CEFC cotée à Singapour précisait dans un rapport de transaction financière qu’entre 2003 et 2005, Ye Jianming a été secrétaire général adjoint de l’Association des contacts amicaux de la Chine à l’international. Une plate-forme du bureau de liaison du département politique de l’Armée populaire de libération, chargée d’établir des contacts hors des frontières. Mais en septembre 2016, Ye Jianming démentait avoir jamais occupé ce poste, tout en ajoutant qu’on le lui avait proposé – sans expliquer pourquoi l’on offrirait à un aussi jeune homme d’affaires de piloter une organisation de l’armée.
Il n’a pas détaillé non plus comment il s’était associé en affaires avec un puissant clan « rouge », en l’occurrence la famille du défunt maréchal Ye Jianying, figure historique de l’Armée populaire de libération et qui fut formellement la tête de l’Etat chinois de 1978 à 1983. Selon d’autres documents financiers, le président de CEFC a investi avec sa petite-fille dans une société de distribution de films et séries de Hongkong. Il porte le même nom de famille mais a démenti être le petit-fils du respecté maréchal.
Dans ce monde très politique, les accusations de la justice américaine jettent une lumière malvenue sur CEFC. Dans le journal Global Times, après l’annonce, le 20 novembre 2017, de l’arrestation de M. Ho, l’entreprise a d’abord soutenu qu’il y avait de « profondes motivations de politique inter- nationale » derrière l’enquête.
Mais le contenu des courriels accablant l’intermédiaire Patrick Ho est assez détaillé pour que le conglomérat change de posture. « Il a enfreint la loi américaine, je pense que c’est vrai parce qu’on peut voir les virements bancaires. Les faits sont avérés. Ce n’est pas bon, cela a des implications très néfastes pour l’image de CEFC et toutes ses branches », déclare ainsi notre interlocuteur au sein de CEFC.
La stratégie de l’entreprise consiste désormais à couper le lien qui liait le groupe à M. Ho. « CEFC ne l’a jamais autorisé à agir de la sorte, explique la source dans l’entreprise. C’est son ambition personnelle. Je le connais très bien, c’était un homme politique ambitieux, il a fait beaucoup de choses dépassant de loin notre imagination. Nous sommes très en colère. Je le méprise », ajoute ce responsable.
Le procès ne devrait pas s’ouvrir avant 2019. D’ici là, la justice américaine veut analyser des centaines de milliers de documents, des relevés de comptes bancaires et des écoutes téléphoniques des accusés. L’enquête pourrait en dire davantage sur CEFC, ses relations au sein des Nations unies et ses méthodes pour se hisser rapidement parmi les acteurs majeurs du marché pétrolier.
En moins de trois ans, le groupe a investi dans une zone portuaire de Géorgie, pris le contrôle d’une branche de la compagnie gazière et pétrolière nationale du Kazakhstan et obtenu la plus importante concession sur le premier champ pétrolier d’Abou Dhabi. Il est particulièrement bien introduit en République tchèque, où il a racheté le Slavia Prague, club de football de renom, et le brasseur Lobkowicz, pris une participation dans la compagnie Czech Airlines et une autre dans une banque également importante en Slovaquie, J & T. A ce jour, la plus grosse opération du groupe dirigé par M. Ye est la prise, en septembre 2017, de 14 % des parts du géant pétrolier russe Rosneft, jusqu’alors détenues par le suisse Glencore et le fonds souverain du Qatar, contre 7,7 milliards d’euros.
« Donation » de 500 000 dollars
Dans l’affaire africaine qui intéresse les enquêteurs américains, l’intermédiaire de Hongkong, Patrick Ho, a aussi pris contact avec le ministre ougandais des affaires étrangères, Sam Kutesa, à l’époque où celui-ci venait d’accéder à la présidence de l’Assemblée générale des Nations unies, fin 2014. M. Ho aurait promis à M. Kutesa d’obtenir un profit personnel si un projet de coentreprise pétrolière devait aboutir. En échange, l’homme politique ougandais lui permettait de se rapprocher du président, Yoweri Museveni, selon le procureur de Manhattan. Patrick Ho a transféré 500 000 dollars sur un compte désigné par M. Kutesa, un versement présenté tour à tour comme « une donation » pour la campagne du président ougandais, pourtant déjà réélu, puis comme un « soutien » au chef de la diplomatie ougandaise.
Pendant que, selon l’accusation américaine, Patrick Ho rétribuait Sam Kutesa, alors à la tête de l’Assemblée de l’ONU, le site de la radio d’Etat chinoise reprenait ce communiqué de CEFC : « L’Assemblée générale des Nations unies nomme Ye Jianming conseiller honoraire spécial. » Ce genre de titres ne correspond à aucune fonction opérationnelle. A Hongkong, M. Ye est aussi le « consultant politique spécial » du Nouveau Parti du peuple, une formation pro-Pékin. En République tchèque, en- fin, il est « conseiller économique » du président Milos Zeman, candidat à sa réélection.
De son côté, CEFC a renvoyé l’ascenseur, notamment en Europe. L’ex-ministre tchèque de la défense, Jaroslav Tvrdik, a été nommé vice-président du conseil d’administration de CEFC Eu- rope... et conseiller du président Zeman sur la Chine. En 2013, Vuk Jeremic, après avoir été ministre des affaires étrangères de la Serbie puis dirigé, lui aussi, l’Assemblée générale de l’ONU de sep- tembre 2012 à septembre 2013, devient « consultant » pour l’entreprise chinoise.
Au sein de CEFC, on craint désormais que le nom du patron soit associé au procès à venir à New York. « C’est une très bonne personne, il est brillant. On ne devrait pas écrire sur lui sous un angle négatif, on ne devrait pas être suspicieux de ses connexions ou de quoi que ce soit. Il garde profil bas, on devrait s’en inspirer », confie un cadre du groupe.
Partout, M. Ye affiche son soutien aux « nouvelles routes de la soie », le grand projet planétaire du président Xi Jinping. Ye ne cherche pas à dissimuler le caractère tout à fait politique de ses investissements. « Si un jour la République chèque s’opposait à la Chine, nous devrions retirer nos investissements et repenser notre stratégie sur place », déclarait-il en 2017.
Par ailleurs, M. Ye entretient des liens dont il n’a jamais précisé la nature avec des entités de l’armée chinoise. En 2012, une filiale de CEFC cotée à Singapour précisait dans un rapport de transaction financière qu’entre 2003 et 2005, Ye Jianming a été secrétaire général adjoint de l’Association des contacts amicaux de la Chine à l’international. Une plate-forme du bureau de liaison du département politique de l’Armée populaire de libération, chargée d’établir des contacts hors des frontières. Mais en septembre 2016, Ye Jianming démentait avoir jamais occupé ce poste, tout en ajoutant qu’on le lui avait proposé – sans expliquer pourquoi l’on offrirait à un aussi jeune homme d’affaires de piloter une organisation de l’armée.
Il n’a pas détaillé non plus comment il s’était associé en affaires avec un puissant clan « rouge », en l’occurrence la famille du défunt maréchal Ye Jianying, figure historique de l’Armée populaire de libération et qui fut formellement la tête de l’Etat chinois de 1978 à 1983. Selon d’autres documents financiers, le président de CEFC a investi avec sa petite-fille dans une société de distribution de films et séries de Hongkong. Il porte le même nom de famille mais a démenti être le petit-fils du respecté maréchal.
Dans ce monde très politique, les accusations de la justice américaine jettent une lumière malvenue sur CEFC. Dans le journal Global Times, après l’annonce, le 20 novembre 2017, de l’arrestation de M. Ho, l’entreprise a d’abord soutenu qu’il y avait de « profondes motivations de politique inter- nationale » derrière l’enquête.
Mais le contenu des courriels accablant l’intermédiaire Patrick Ho est assez détaillé pour que le conglomérat change de posture. « Il a enfreint la loi américaine, je pense que c’est vrai parce qu’on peut voir les virements bancaires. Les faits sont avérés. Ce n’est pas bon, cela a des implications très néfastes pour l’image de CEFC et toutes ses branches », déclare ainsi notre interlocuteur au sein de CEFC.
La stratégie de l’entreprise consiste désormais à couper le lien qui liait le groupe à M. Ho. « CEFC ne l’a jamais autorisé à agir de la sorte, explique la source dans l’entreprise. C’est son ambition personnelle. Je le connais très bien, c’était un homme politique ambitieux, il a fait beaucoup de choses dépassant de loin notre imagination. Nous sommes très en colère. Je le méprise », ajoute ce responsable.
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