11/04/2018

Un nouveau repenti témoigne sur la mafia corse

L’homme a livré des éléments sur un double assassinat à Bastia fin 2017 et une alliance avec la criminalité des cités

Les policiers, pourtant expérimentés, ont cru avoir devant eux un invraisemblable mythomane. Mais ils ont fini par croire à son témoignage sur la mafia. Et début mars, sa vie a changé. Il a changé de nom et vit sous protection dans un lieu secret. Le statut de repenti lui a été accordé en contrepartie de ses informations sur le crime organisé corse.

Ses révélations, recueillies à partir de la mi-décembre, ont fourni des informations précieuses sur la préparation d’un double assassinat commis, en plein jour, le 5 décembre, à l’aéroport de Bastia. Elles lèvent également le voile sur des aspects inédits du fonctionnement interne du grand banditisme français et posent des questions sur les liens pouvant exister entre voyous et policiers.

En théorie, ce nouveau repenti, Philippe M. n’avait rien à faire dans cet univers criminel. Il a travaillé pour l’association des maires de France dans les années 2000 puis au cabinet d’un maire de banlieue avant de notamment tenter une carrière politique comme suppléant d’une candidate UMP aux législatives de 2012, finalement battue.

« On tourne un film »

Son chemin va dévier en février 2017. Alors qu’il séjourne quelques jours dans une résidence hôtelière à La Baule (Loire-Atlantique), il fait la connaissance de Jacques Mariani. Héritier d’un baron de la Brise de mer, clan mafieux insulaire qui a régné pendant près de trente ans, ce criminel de haut rang purge, alors, en travaillant à l’accueil, une fin de peine en régime aménagé sous bracelet électronique. Les deux hommes sympathisent et Mariani lui présente l’un de ses proches, Christophe Guazelli, fils d’un autre baron de la Brise de mer.

Le trio déjeune souvent chez Cocoche, un restaurant de La Baule. Philippe M. et son épouse aident Jacques Mariani dans ses démarches administratives et fréquentent sa famille quand elle vient, fin mars, dans la région. Début avril, sous couvert d’un investissement très rentable dans un projet im- mobilier en Allemagne, l’homme emprunte 75 000 euros en espèces à Mariani. Mais les fonds, qui lui sont remis par un inconnu, au bar du Méridien à Paris, vont vite s’évaporer. Le contact, à Dortmund en Allemagne, a disparu avec l’argent.

Tout bascule le 5 décembre 2017, à l’aéroport de Bastia. Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni, deux piliers du grand banditisme corse, tombent dans un guet- apens mortel. Deux hommes les attendaient à la sortie. Plein de sang-froid, alors que les coups de feu ont déjà retenti, l’un d’eux dit à une douanière présente sur les lieux, « ne vous inquiétez pas, on tourne un film ».

Liens avec les services de l’Etat

Les victimes appartiennent au clan d’un homme redouté en Corse, Jean-Luc Germani, alors incarcéré, dont l’ombre plane derrière les règlements de comptes ayant causé la mort, en 2009, des pères de Jacques Mariani et de Christophe Guazzelli. Quilichini était venu accueillir Codaccioni, qui devait réintégrer, après une permission, la prison de Borgo (Haute-Corse) où il effectuait une peine prononcée dans un dossier de meurtre.

Ce que le trio de La Baule ne sait pas, c’est que, pendant toute l’année 2017, il a été sous surveillance policière dans le cadre d’une enquête pour extorsion de fonds et trafic de stupéfiants entre la Corse et Marseille. Or, certains éléments recueillis grâce aux écoutes et à la sonorisation du véhicule de Guazzelli ont permis d’avoir vent des visées criminelles contre le clan ennemi Germani. Mais faute de précisions, la police n’a pas pu empêcher la fusillade de Bastia. Elle parvient, néanmoins, à interpeller une dizaine de personnes, dont Jacques Mariani et Christophe Guazzelli, peu de temps après, dans le seul dossier d’extorsion et de trafic de drogue.

Pour consolider le dossier du double homicide, il restait, notamment, à convaincre Philippe M. de révéler ce qu’il savait des activités de ces deux amis corses de La Baule. Lors de la perquisition de son domicile, les enquêteurs sont d’abord surpris de l’entendre avouer qu’il a été prévenu de leur arrivée par une parente de Jacques Mariani, elle-même avertie par un policier. Les enquêteurs découvrent aussi une feuille sur laquelle figure une vingtaine de noms. Il s’agit de fonctionnaires de police en fonction, parfois de haut rang, à Marseille et à Nanterre, parfois à la retraite, et de connaissances de Jacques Mariani, tous considérés comme sources du clan Germani.

Philippe M. est entendu comme témoin. Il décrit sa relation amicale avec Mariani. Mais après la perte des 75 000 euros, il affirme avoir été mis sous pression pour rembourser par les proches de Mariani, dont trois frères gitans. Il assure, aussi, que la liste de noms de policiers a été fournie à Jacques Mariani par Redoine Faïd, un braqueur de banques connu pour son implication dans la mort d’une policière municipale, en 2010, et pour son évasion, en 2013, de la maison d’arrêt de Sequedin (Nord). En prison depuis, c’est l’un de ses frères, selon Philippe M., qui aurait fait le lien avec les voyous corses de La Baule.

D’après Philippe M., le duo Mariani-Guazzelli se serait allié avec Redouane Faïd, une figure de la criminalité des cités, pour se venger du clan Germani. Une rencontre au sommet aurait eu lieu, selon lui, en 2017, au Fouquet’s, un restaurant sur les Champs-Elysées, à Paris, avec une dizaine de personnes dont Jacques Mariani et le frère de Redoine Faïd. Selon Philippe M., qui n’était pas présent, la discussion aurait porté sur les moyens permettant d’éliminer des amis de Jean-Luc Germani.

Les deux hommes ayant tendu le guet-apens à l’aéroport de Bastia auraient d’ailleurs été recrutés parmi les relations de Redoine Faïd dans la région marseillaise. Enfin, le plan se serait cristallisé sur la personne de Jean-Luc Codac-cioni grâce à une information transmise par un gardien de la prison de Borgo (Haute-Corse) sur ses dates de sortie en permission. Un élément de plus sur les liens entre le monde criminel et les services de l’Etat qui pourraient, à eux seuls, motiver l’ouverture d’enquête distincte.

Interrogé sur son rôle, Philippe M. dit n’avoir eu de liens «que financiers » avec Jacques Mariani mais que ce dernier et Guazzelli parlaient librement en sa présence. Auditionnée, son épouse a confirmé la proximité entre son mari, Jacques Mariani et Christophe Guazzelli, qui venaient, selon elle, régulièrement à leur domicile.

Le conseil de Christophe Guazzelli, Me Jean-Louis Seatelli a indiqué que son client n’était visé que par la procédure liée aux stupéfiants et qu’il n’avait connaissance d’aucune charge sur le double homicide de l’aéroport de Bastia. Une réaction similaire à celle de l’un des avocats de Jacques Mariani, Me Jean-Sébastien de Casalta, qui assure que son client n’est poursuivi que par les soupçons d’extorsion qu’il dément avoir commis. Enfin, le conseil de Redoine Faïd, Me Cohen Sabban, a dit « tout ignorer de cette affaire» et ajouté que « ni son client ni son frère n’avaient été entendus dans ces dossiers ».

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