Brussels Airport vs Brussels South
L’aéroport de Bruxelles est de plus en plus concurrencé par celui de Charleroi, appelé Brussels South. Les deux plateformes affichent des plans d’investissements: cargo et immobilier pour le premier. Et toujours plus de capacité pour le second.
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source Brussels airlines company.
L’aéroport rattrape le terrain perdu dans le long-courrier, notamment grâce à Brussels Airlines.
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Après l’annonce de la suppression de 1.400 postes par Caterpillar à Gosselies, le ministre wallon des Transports André Antoine n’est pas près d’interrompre le soutien financier de la Région à l’aéroport de Charleroi. Ce dernier officiellement dénommé Brussels South Charleroi Airport — a accueilli 6,5 millions de passagers en 2012, soit une croissance de plus de 10%. Une belle performance pour une année de stagnation économique.
En 2000, l’aéroport de Charleroi était encore un petit aéroport de province accueillant tout au plus 230.000 passagers par an. Le voilà à présent au niveau d’un aéroport international comme celui de Bucarest ou de Glasgow. En août dernier, Ryanair, qui représente 83% du trafic passagers à Charleroi, a commercialisé quasiment autant de sièges que Brussels Airlines. De quoi inquiéter les patrons de Brussels Airport et Brussels Airlines, respectivement Arnaud Feist et Bernard Gustin. Tous deux ont critiqué Brussels South et, indirectement Ryanair, avançant que les subsides reçus par le premier alimentent une concurrence déloyale. La Région wallonne verse effectivement 30 millions d’euros par an, ce qui contribue à réduire les frais facturés aux compagnies aériennes. Ces subsides sont d’ailleurs examinés à la loupe par la Commission européenne.
La relance stratégique de Brussels Airport
Malgré cette concurrence carolo, Brussels Airport se porte mieux que bien. En 2011, il a réalisé un bénéfice de 64 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 403 millions (les données 2012 ne sont pas encore disponibles). L’aéroport sort d’une période d’économies où il a pu réduire son endettement, sous la houlette d’Arnaud Feist, CEO depuis 2010 et patron ad interim depuis 2009. Après une période assez tendue tant avec le personnel qu’avec les compagnies aériennes, le calme est revenu à Brussels Airport. Arnaud Feist a rangé le projet de terminal lowcost pour attirer de nouvelles compagnies, alléchées par des redevances (et un service) plus modestes. Il mise désormais sur le développement de Brussels Airlines et des compagnies aériennes de l’association Star Alliance, dont fait partie la compagnie aérienne belge. «Brussels Airlines nous accompagne lorsque nous prospectons des compagnies aériennes pour les encourager à lancer des vols long-courriers vers la capitale», indique Arnaud Feist. Brussels Airlines vante alors les possibilités de correspondances sur son réseau. Air Canada, membre de Star Alliance, a ainsi ouvert récemment la ligne Bruxelles-Montréal. L’aéroport de Bruxelles, qui n’a jamais récupéré le niveau de fréquentation atteint avant la faillite de la Sabena en 2001 (21,6 millions de passagers), a besoin de ces vols long-courriers.
Arnaud Feist a également lancé d’ambitieux développements. Le plus visible pour les voyageurs sera le Connector, un nouvel édifice qui centralisera la sécurité pour les deux jetées (A et B). Il sera installé au-dessus du tunnel qui relie la salle des départs avec le Pier A. «Les passagers ne l’aiment pas, reconnaît Arnaud Feist, ils ont l’impression de marcher trop longtemps,» Le Connector corrigera ce souci et facilitera la gestion de la sécurité. A plus long terme, la prolongation du Pier A vers l’ouest (vers le Ring) est envisagée pour absorber de nouveaux passagers. Avec ses trois pistes, Brussels Airport pourrait en théorie absorber jusqu’à 30 millions !
Charleroi : vers les 13 millions de passagers ?
Charleroi cherche lui aussi à s’agrandir. «Lors de son inauguration en 2008, la nouvelle infra- structure était conçue pour 3 mil- lions de passagers», sourit Jean-Jacques Cloquet, administrateur délégué de Brussels South. Depuis, il a fallu quelque peu réaménager le bâtiment pour absorber la croissance imposée par le succès de Ryanair, qui est passé de 49 à 98 destinations des- servies depuis 2008. Il a aussi fallu faire passer le nombre de gates (portes d’embarquement) de 12 à 14 et agrandir les parkings.
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L'aeroport de Ryannair et de JetairFly (parts de marché des compagnies en 2011). Sources BSCA |
A plus long terme, Charleroi estime son potentiel à 9 millions de passagers d’ici 2020, avec une évolution vers 13 à 14 millions dans les années suivantes. Le conseil d’administration exa- mine plusieurs options d’ex- tension et de réaménagement de l’aérogare à réaliser d’ici 2016. «De quoi accroître l’emploi de 1.500 postes», estime Jean- Jacques Cloquet, qui désigne les emplois liés au fonctionnement de l’aéroport, les concessions et les compagnies actives dans les installations. «Pour le moment, 3.000 travaillent à l’aéroport.»
Une des conditions de ces développements est l’ouverture d’une desserte ferroviaire (lire l’encadré «Les grands projets de «C’est important pour attirer de nouvelles compagnies. Nous arrivons à une taille où une gare est considérée comme un élément indispensable pour amener les passagers» précise Jean- Jacques Cloquet. Le projet en cours prévoit une gare le long de l’autoroute, qui pourrait à la fois desservir l’aéroport et séduire les navetteurs.
Attirer de nouvelles compagnies est également important pour le patron de Brussels South Charleroi, même s’il reconnaît que ce n’est pas simple. «Les compagnies sont réticentes à venir concurrencer Ryanair ici.» Hormis la compagnie irlandaise, seuls deux autres transporteurs, le hongrois WizzAir et le belge JetairFly, sont présents à Brussels South. Ce dernier, qui est aussi présent à Brussels Airport, a basé quatre avions à Charleroi. Pour proposer des départs à la clientèle locale, mais aussi organiser des vols pour les communautés immigrées (vers le Maroc, par ex.).
Jean-Jacques Cloquet souhaiterait convaincre Brussels Airlines de baser deux ou trois avions à Charle- roi. «Pour Genève ou Berlin, par exemple, des destinations où ils sont en concurrence avec des lowcost au départ de Bruxelles.»
La rivalité entre Brussels Airport et Brussels South n’est donc pas près de s’atténuer. Elle est la conséquence inattendue de la libéralisation des vols européens dans les années 1990. Les monopoles détenus par les aéroports nationaux ont été grignotés par la montée en puissance des aéroports régionaux, eux- mêmes dopés par les vols lowcost. Cette concurrence nouvelle oppose des structures au profil fort différent:
1. Deux aéroports, deux modèles très différents
Tout rapproche et tout oppose Brussels Airport et Brussels South Charleroi Airport. Le premier est un aéroport national, organisé pour favoriser les correspondances. Il offre toute la panoplie des transports aériens: long-courrier, court-courrier, fret, aviation d’affaires. Il accepte tous les modèles d’avions, toutes les tailles, propose des services haut de gamme comme des lounge business.
Charleroi, lui, est conçu pour les compagnies lowcost. Il est optimisé pour que les vols s’opèrent avec un arrêt de maximum 25 minutes. L’avion doit se vider et se remplir au plus vite. Il n’est pas équipé pour faciliter les correspondances. Les bagages ne passent pas d’un avion à l’autre : c’est au passager de faire le travail et de se ré-enregistrer. Si un retard fait manquer l’avion suivant, tant pis pour le passager : il devra acheter un autre ticket.
«Nous avons tout de même 7 % de passagers qui atterrissent à Charleroi en correspondance, avance Jean-Jacques Cloquet. Avec un bagage à main, ce n’est pas trop fastidieux.» A Brussels Airport, 16 % des passagers sont en transit. Aux services réduits correspondent des redevances modérées, indispensables pour que les compagnies low cost restent à Charleroi. Limitée à 2 euros par passager, avec une réduction pour les gros clients comme Ryanair, l’aéroport reste imbattable (à titre de com- paraison, Brussels Airport demande plus de 20 euros).
2. L’un est subsidié, l’autre pas
Les 30 millions reçus tous les ans par Charleroi intéressent Commission européenne, qui enquête sur ces aides publiques tout comme celles consenties à de nombreux aéroports régionaux en Europe. «Nous fonctionnons selon les règles qui pré- valaient au moment où l’aéroport s’est développé, plaide Jean- Jacques Cloquet. Si les choses changent, nous aimerions connaître les nouvelles règles du jeu.» En effet, la Commission avait d’abord concentré son attention sur la chasse aux subsides des compagnies aériennes, lesquels sont interdits. Elle ne s’est intéressée qu’ensuite à la situation des aéroports, dont le soutien peut passer pour une aide indirecte à des compagnies.
«Ce sont des aides discutables car Charleroi, avec plus de 6 millions de passagers, n’est plus un petit aéroport régional», s’ex- clame Arnaud Feist, patron de Brussels Airport, qui s’inquiète moins des aides à Liège, pourtant identiques. La Commission prend son temps pour trancher. Et plus le temps passe, moins les subsides pèseront dans les comptes, car ceux-ci ont été gelés alors que le nombre de passagers augmente. Les emplois se créent- ils à Charleroi au détriment de ceux de l’aéroport bruxellois? Ce n’est pas certain dans la mesure où les vols lowcost génèrent une nouvelle clientèle de voyageurs.
3. Deux centres commerciaux différents
Les droits facturés aux compagnies ne suffisant générale- ment pas, les aéroports assurent leur rentabilité avec les recettes commerciales des boutiques,des parkings, etc. A Bruxelles, la clientèle des vols long-courriers est une cible de choix pour les enseignes de luxe. Le passager russe ou chinois en transit est prêt à débourser plusieurs milliers d’euros pour une montre Breitling ou des vêtements.
A Charleroi, le passager achètera au mieux un parfum ou une montre à une centaine d’euros. Malgré ces caractéristiques, près de 50 % des recettes de Brussels South proviennent de l’activité commerciale.
Les deux aéroports partagent la volonté d’augmenter leurs recettes commerciales. Brussels Airport profitera du Connector pour placer des commerces après les portiques de sécurité, ce qui n’est actuellement pas le cas sur le Pier B. Actuellement les surfaces commerciales occupent 8.600 m2 à Bruxelles.
A Charleroi, la surface est plus modeste (1.300 m2). Grâce au projet Walkthrough, les passagers traverseront à l’avenir des magasins après les contrôles de sécurité. «Les voyageurs sont davantage tentés d’acheter quand ils passent dans les magasins plutôt que devant», assure Jean-Jacques Cloquet. D’ici 2016, il souhaite passer à 5.800 m2 de surfaces commerciales.
Les grands projets de Brussels Airport
Le Connector : pour améliorer l’accueil des passagers.
Il se substituera aussi au tunnel, fort peu apprécié des passagers, qui relie la salle des départs au terminal A. Il sera lumineux, situé à la hauteur des pistes. Des commerces seront installées après le contrôle. Mise en service en 2015.
Le Gateway : l’immobilier de bureau au bord du tarmac
L’ancien terminal datant de 1958 sera réaménagé et développé en bureaux avec Codic. Un contrat a été signé avec la société d’audit Deloitte, qui y installera son siège pour la Belgique, avec 2.000 collaborateurs. Les bureaux occuperont, dès 2016, une surface de 34.000 m2. Il s’agit de la première étape d’un développement immobilier baptisé «The Airport Village».
The Airport Village : toujours plus d’immobilier
Projet de développement immobilier destiné à des entre- prises intéressées par la proximité de l’aéroport et de la gare. Ce projet à long terme (une dizaine d’années) est déjà ancien. Les zones visées sont situées entre les deux voies d’accès menant à l’aérogare et sur les côtés. Surface envisagée : 400.000 mètres carrés de bureaux. L’objectif est d’augmenter les revenus immobiliers, sur le modèle de Schiphol (Amsterdam) ou de Francfort.
Le cargo : relancer une activité déclinante
L’aéroport cherche à enrayer le recul de ses revenus dans l’activité cargo (érodée depuis le départ de DHL) via la construction de nouveaux bâtiments et la rénovation d’anciennes installations. Brussels Airport ne vise plus seulement les transporteurs, mais aussi les forwarders (qui organisent la logistique des entreprises) et des entreprises. St Jude Medical (matériel médical) installe ainsi sa base européenne à Brussels Airport.
Le Walk through : pour augmenter les recettes commerciales
La zone située entre les contrôles et les portes d’embarquement va être bientôt entièrement réaménagée. Les passagers vont traverser littéralement des magasins. Objectif: accroître d’au moins 15 % les recettes commerciales, qui représentent presque la moitié du chiffre d’affaires.
Une gare : pour attirer plus de monde encore
Indispensable pour un aéroport de cette taille. Le projet d’une gare souterraine, trop cher, a été enterré. Brussels South espère une gare plus simple située près de l’auto- route, reliée par un «people mover» (un petit train). Mise en service en 2020.
Extensions : pour accueillir 9 millions de passagers
L’aérogare, datant de 2008, devrait être réaménagée par une extension de ses deux extrémités. Et aussi par une refonte du bâtiment actuel en séparant les flux des arrivées et des départs sur deux niveaux différents, au lieu d’un seul aujourd’hui. Le dossier, encore à l’examen, débouchera sur un aménagement prévu pour 2016. Le plan prévoit une capacité de 9 millions de passagers, extensibles à 13 voire 14 millions par la suite.
Evolution du nombre de passagers à Charleroi et à Bruxelles