13/04/2014

Corruption en Guinée

Pots-de-vin et micros cachés autour d'une mine africaine




FBI corruption en guinée
image d'illustration 

Un businessman français avoue à la justice US qu’il a tenté d’effacer des traces de corruption pour l’octroi d’un fabuleux gisement de fer en Guinée.

EN annonçant, le 10 mars, à ses juges américains qu’il plaiderait coupable, l’homme d’affaires français Frédéric Cilins a provoqué un sacré coup de théâtre. La Cour de New York doit examiner une extraordinaire affaire de corruption internationale. Certains épisodes se sont déroulés en Guinée, d’autres aux Etats-Unis, ou encore en Suisse et en France.

Pendant des mois, et jusqu’à son arrestation, le 14 avril 2013, à l’aéroport de Jacksonville (Floride), le FBI surveillait Cilins, soupçonné de vouloir corrompre la veuve de l’ex-dictateur guinéen Lansana Conté. Pourquoi ? Parce que celle-ci, nommée Mamadie Touré, vivant aux USA, détenait des documents explosifs. Ils prouvaient que, du temps de sa splendeur, son mari avait accordé au groupe minier BSGK, moyennant pots-de-vin, la fabuleuse concession de Simandou, le plus vaste gisement de fer non exploité de la planète. Le bénéficiaire est une boîte plutôt spécialisée dans le diamant, et dirigée par le milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz.

Missionné par BSGR, Cilins tentait depuis des semaines de convaincre Mamadie Touré de détruire les papiers compromettants. Mais il ignorait que le FBI enregistrait chacun de leurs appels et de leurs discussions. Comme dans les polars, les flics avaient d’abord « retourné » la veuve pour la conduire à collaborer, puis l’avaient équipée de micros.

Mensonges sur la bande

Quand il a découvert la teneur des enregistrements, les échanges se déroulaient en français, le businessman français a vite compris qu’il n’avait pas le choix : il a basculé, lui aussi, dans le camp de la sincérité. Auparavant, Cilins avait farouchement nié toute mauvaise intention, et le groupe BSGR prétendait le connaître à peine. Mais certains dialogues enregistrés sont cruellement éloquents.

Exemple : Cilins, dont la société, basée aux îles Vierges, a déjà financé une propriété en Floride pour Mamadie Touré, lui promet 5 millions de dollars supplémentaires. Il ajoute :« Il y aura encore plus. Et, ça, c’est la communication qui m’a été donnée directement par le numéro 1. Je ne veux même pas donner son nom. » Puis, en chuchotant : « Beny (Steinmetz). « Un peu plus tard, il lui demande à son interlocutrice de signer un document certifiant que le groupe minier n’a jamais tenté de le corrompre. Lors d’une autre conversation, il lui a même dicté son texte : « Tu dois dire (au FBI) : “Je n’ai jamais touché le moindre centime. Je connais BSGR, mais j’ai rien à voir avec ça.” »

Mais, la priorité absolue, c’est de livrer au broyeur ou aux flammes les fameux papiers. Cilins ne cesse d’y revenir : « C’est un truc qui fait 28 pages. Personne ne sait qu’on a ça (...), c’est une bombe atomique pour toi (...), il faut détruire. Très très urgent (...), il faut tout détruire et nier. »
En comédienne consommée, la veuve joue la surprise et tend la perche à Cilins pour lui faire avouer un forfait avec lequel on ne plaisante pas, outre- Atlantique : « Vous me dites qu’il faut mentir à la (sic) FBI ? « Et son suborneur, après quelques répliques, tombe dans le panneau : « Bien sûr qu’il faut mentir. Sinon, tu peux faire une croix sur les Etats-Unis (et sur la carte de séjour). » Ce qui ne l’empêche pas de lui proposer de se mettre au vert quelque temps :« A ta place, je partirais dans la semaine à Freetown (Sierra Leone) (....), je veux t’aider à partir en Sierra... »

Le FBI sort les menottes

Lors de leur dernier entretien, alors que Mamadie Touré n’a toujours pas donné satisfaction au Français, les flics du FBI décident qu’ils en savent assez. La dernière transcription s’achève sur une phrase digne d’une série policière US. Alors que Cilins vient d’annoncer qu’il va vérifier l’horaire de son vol retour pour Paris, une voix nouvelle apparaît dans l’enregistrement et lui intime cet ordre sec : « Stand up. Put your hands behind your back » (« Debout, mains dans le dos »).

Confondu, Cilins déclarera devant la Cour fédérale de Manhattan : « J’ai proposé de l’argent à un témoin du gouvernement pour quitter les Etats-Unis afin d’éviter un interrogatoire du FBI. Je savais que c’était mal. » Ledit FBI, bien sûr, subodore que ces efforts n’émanaient pas d’un homme isolé.
Le « Wall Street Journal » le surnomme d’ailleurs « le lobbyiste de BSGR », et l’enquête américaine a débouché sur des perquisitions du groupe minier à Paris, à Londres et à Genève. Les juges qui travaillent sur l’affaire voudraient comprendre comment, en 2008, Beny Steinmetz a pu s’offrir, pour 160 millions, des droits de recherche sur le site guinéen de Simandou. Et revendre, deux ans plus tard, 51 % de ces droits au groupe brésilien Vale 2,5 milliards. Ces mesquins n’admettent pas qu’en Afrique on change parfois le fer en or.

Les deux clans croisent le fer

L’AFFAIRE de la mine de Simandou est aussi celle d’une lutte entre groupes et hommes d’influence, au plus haut niveau international. Quand il remporte la première élection pluraliste de Guinée, en décembre 2010, le socialiste Alpha Condé entreprend de remettre à plat l’économie et le Système des concessions minières. Comme l’a raconté « Jeune Afrique » (octobre 2013), son ex-condisciple de lycée Bernard Kouchner lui présente le milliardaire et spéculateur américain George Soros.
Intérêt ou philanthropie ? Celui-ci met à son service plusieurs ONG, qu’il finance, ainsi que le tout-puissant cabinet US d’avocats DLA Piper. L’ex- Premier ministre british Tony Blair se joint bientôt à la fine équipe. Laquelle va découvrir moult turpitudes minières commises par les prédécesseurs d’Alpha Condé, dont celles de Simandou.

De son côté, Beny Steinmetz, qui a perdu ses alliés à la tête de l’Etat guinéen, peut compter sur des soutiens au plus haut niveau en Israël (dont l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert), et, en France, il entretient de bonnes relations avec des députés et ex-ministres UMP, comme Jean-François Copé, Claude Goasguen, Luc Chatel ou Patrick Balkany...

En mai 2013, lorsque Sarkozy est allé rencontrer le Premier ministre Benyamin Netanyahou et soutenir la candidature législative, pour les Français de l’étranger, de Valérie Hoffenberg (finalement battue), c’est Steinmetz qui a pris en charge une partie du voyage. L’UMP est pauvre, et la retraite d’un ancien chef d’Etat tellement chiche...


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