Comprendre les consommateurs du monde arabe
La classe moyenne qui s’y développe aspire au progrès et à la modernité, mais elle ne souhaite pas abandonner ses traditions religieuses. |
En 2005, la très discrète Arla Foods, le plus grand producteur scandinave de produits laitiers, était devenu un acteur majeur dans le monde arabe. Les marques de cette coopérative suédo-danoise, telles que Lurpak, Puck et l’éponyme Arla, dominaient les marchés du beurre, du fromage et de la crème au Moyen-Orient : cette année-là, ses ventes y atteignirent 550 millions de dollars, un record. C’est alors que les caricatures firent leur apparition.
Le 30 septembre 2005, le « Jyllands Posten », un journal danois, publia un article intitulé « Le Visage de Mahomet », accompagné d’une douzaine de dessins représentant le prophète de l’Islam de façon peu flatteuse. Cela mit en colère les musulmans du monde entier, et, en janvier 2006, des dignitaires religieux saoudiens appelèrent à boycotter les produits danois. En quelques jours, la plupart des détaillants du monde arabe retirèrent les produits Arla de leurs rayons. L’entreprise organisa alors une campagne de communication massive pour se distancer des caricatures, en insistant sur le fait qu’elle était implantée dans la région depuis quarante ans. Mais, bien que les dignitaires aient levé leur interdiction en avril, ses ventes de 2006 n’atteignirent que la moitié de leur niveau préboycott.
En 2008, dix-sept journaux danois publièrent de nouveau un des dessins controversés, juste au moment où les ventes d’Arla s’étaient presque rétablies. Elles s’effondrèrent donc une fois de plus, ce qui coûta à l’entreprise 274 millions de dollars. Arla fit tout pour se défendre, mais son chiffre d’affaires ne se redressa pas avant 2010 – un signe de l’importance de l’Islam sur les marchés arabes. De fait, cette influence est plus forte dans le monde arabe que dans d’autres nations à forte population musulmane, telles que l’Inde, l’Indonésie et le Bangladesh.
Depuis le 11 septembre 2001, la résurgence de l’Islam fait peur aux multinationales et les rend peu désireuses d’investir dans les vingt-deux pays qui composent la Ligue arabe. Selon un postulat stéréotypé, le monde arabe est une société fermée de mollahs et de militants favorables au djihad et aux fatwas, dont les dirigeants détestent les étrangers, et dont la jeunesse (hommes et femmes confondus) est incitée à mépriser la culture et les produits de l’Occident. Ajoutons les troubles politiques et les conflits armés des révolutions du Printemps arabe – qui ont chassé du pouvoir les chefs d’Etat en Egypte, en Lybie, en Tunisie et au Yémen – et il est facile d’en conclure que la région est instable, chaotique et peu propice aux affaires.
Comme beaucoup d’autres idées concernant le monde arabe, celle-ci est un fruit de l’imagination. Entre 2008 et 2010, j’ai voyagé dans dix-huit pays de la Ligue arabe. J’y ai étudié nombre de marchés et d’entreprises, et rencontré plus de 600 personnes -depuis des P-DG et des entrepreneurs qui travaillaient dans des gratte-ciel jusqu’aux clients des souks et des bazars. Tant les choses que j’ai vues que les rencontres que j’ai faites m’amènent à penser que le marché arabe n’est pas séparé du reste du monde. Les consommateurs ont les mêmes exigences que partout ailleurs, et, en dépit des bouleversements, les marchés de la région sont en croissance, connectés à l’économie globale et extrêmement concurrentiels.
Si la Ligue arabe était un seul pays, son PNB aurait atteint plus de 2300 milliards de dollars en 2011, ce qui en ferait la huitième économie mondiale, devant la Russie ou l’Inde. Le revenu par tête y atteindrait
6700 dollars, soit plus que celui d’un Chinois ou d’un Indien. D’autre part, plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, ce qui en fait l’un des marchés mondiaux les plus jeunes.
Le 30 septembre 2005, le « Jyllands Posten », un journal danois, publia un article intitulé « Le Visage de Mahomet », accompagné d’une douzaine de dessins représentant le prophète de l’Islam de façon peu flatteuse. Cela mit en colère les musulmans du monde entier, et, en janvier 2006, des dignitaires religieux saoudiens appelèrent à boycotter les produits danois. En quelques jours, la plupart des détaillants du monde arabe retirèrent les produits Arla de leurs rayons. L’entreprise organisa alors une campagne de communication massive pour se distancer des caricatures, en insistant sur le fait qu’elle était implantée dans la région depuis quarante ans. Mais, bien que les dignitaires aient levé leur interdiction en avril, ses ventes de 2006 n’atteignirent que la moitié de leur niveau préboycott.
En 2008, dix-sept journaux danois publièrent de nouveau un des dessins controversés, juste au moment où les ventes d’Arla s’étaient presque rétablies. Elles s’effondrèrent donc une fois de plus, ce qui coûta à l’entreprise 274 millions de dollars. Arla fit tout pour se défendre, mais son chiffre d’affaires ne se redressa pas avant 2010 – un signe de l’importance de l’Islam sur les marchés arabes. De fait, cette influence est plus forte dans le monde arabe que dans d’autres nations à forte population musulmane, telles que l’Inde, l’Indonésie et le Bangladesh.
Depuis le 11 septembre 2001, la résurgence de l’Islam fait peur aux multinationales et les rend peu désireuses d’investir dans les vingt-deux pays qui composent la Ligue arabe. Selon un postulat stéréotypé, le monde arabe est une société fermée de mollahs et de militants favorables au djihad et aux fatwas, dont les dirigeants détestent les étrangers, et dont la jeunesse (hommes et femmes confondus) est incitée à mépriser la culture et les produits de l’Occident. Ajoutons les troubles politiques et les conflits armés des révolutions du Printemps arabe – qui ont chassé du pouvoir les chefs d’Etat en Egypte, en Lybie, en Tunisie et au Yémen – et il est facile d’en conclure que la région est instable, chaotique et peu propice aux affaires.
Comme beaucoup d’autres idées concernant le monde arabe, celle-ci est un fruit de l’imagination. Entre 2008 et 2010, j’ai voyagé dans dix-huit pays de la Ligue arabe. J’y ai étudié nombre de marchés et d’entreprises, et rencontré plus de 600 personnes -depuis des P-DG et des entrepreneurs qui travaillaient dans des gratte-ciel jusqu’aux clients des souks et des bazars. Tant les choses que j’ai vues que les rencontres que j’ai faites m’amènent à penser que le marché arabe n’est pas séparé du reste du monde. Les consommateurs ont les mêmes exigences que partout ailleurs, et, en dépit des bouleversements, les marchés de la région sont en croissance, connectés à l’économie globale et extrêmement concurrentiels.
Si la Ligue arabe était un seul pays, son PNB aurait atteint plus de 2300 milliards de dollars en 2011, ce qui en ferait la huitième économie mondiale, devant la Russie ou l’Inde. Le revenu par tête y atteindrait
6700 dollars, soit plus que celui d’un Chinois ou d’un Indien. D’autre part, plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, ce qui en fait l’un des marchés mondiaux les plus jeunes.
L’attractivité de la région ne repose plus seulement sur le sommet de la pyramide économique. Une classe moyenne en pleine croissance, qui compte déjà plus de 150 millions de personnes (sur une population totale dépassant 350 millions d’habitants), est occupée à gagner et à dépenser ses revenus. La consommation privée représente 44 % de l’économie de la région, contre 35% en Chine (mais 56% en Inde). Il n’est donc pas étonnant que l’expert du Moyen- Orient Vali Nasr écrive dans «Forces of Fortune», son livre publié en 2011 : «Dans toute la région, une nouvelle économie se développe, qui mélange les valeurs locales et l’explosion de la consommation, et crée des liens plus solides avec l’économie mondiale. Et cette tendance n'est pas seulement aussi puissante et importante que la menace fondamentaliste, elle l’est bien plus encore.»
Les pays arabes ne sont à bien des égards pas différents du Brésil, de l’Inde et de la Chine d’il y a vingt ans : ils sont importants, complexes - et couramment méconnus. Mais ce qui rend le marché arabe plus compliqué, voire menaçant, c’est que l’Islam et la culture arabe y sont entremêlés. La religion tient une place centrale dans la société et les affaires, et elle gouverne la plupart des facettes du marché. Son influence ne diminue pas: les consommateurs arabes qui désirent le progrès, la modernité et l’intégration sociale ne souhaitent pas pour autant abandonner leurs traditions religieuses et culturelles. Ainsi les Arabes apprécient et respectent les marques occidentales, mais seulement si elles ne rentrent pas en conflit avec leurs valeurs. Les entreprises qui négligent l’interaction entre culture et religion, croyant qu’elles ne s’influencent pas l’une l’autre, ignorent un facteur décisif pour réussir dans la région.
Tous les consommateurs du monde arabe ne sont pas musulmans, mais l’Islam façonne l’économie de la région. Ses cinq piliers affectent chaque consommateur et chaque entreprise.
Les pays arabes ne sont à bien des égards pas différents du Brésil, de l’Inde et de la Chine d’il y a vingt ans : ils sont importants, complexes - et couramment méconnus. Mais ce qui rend le marché arabe plus compliqué, voire menaçant, c’est que l’Islam et la culture arabe y sont entremêlés. La religion tient une place centrale dans la société et les affaires, et elle gouverne la plupart des facettes du marché. Son influence ne diminue pas: les consommateurs arabes qui désirent le progrès, la modernité et l’intégration sociale ne souhaitent pas pour autant abandonner leurs traditions religieuses et culturelles. Ainsi les Arabes apprécient et respectent les marques occidentales, mais seulement si elles ne rentrent pas en conflit avec leurs valeurs. Les entreprises qui négligent l’interaction entre culture et religion, croyant qu’elles ne s’influencent pas l’une l’autre, ignorent un facteur décisif pour réussir dans la région.
Respecter les cinq piliers de l’Islam
Tous les consommateurs du monde arabe ne sont pas musulmans, mais l’Islam façonne l’économie de la région. Ses cinq piliers affectent chaque consommateur et chaque entreprise.
La chahada
Dans le Coran, le livre sacré de l’Islam, la croyance au monothéisme et l’acceptation de Mahomet comme prophète d’Allah est résumée dans la phrase rythmique: «La ilaha illallah, Muhamadun rasul- allah» («Il n’y a d’autre dieu que Dieu, et Mahomet est son messager»). Cette profession de foi est le premier pilier de l’Islam. La chahada, comme on l’appelle, comporte plusieurs niveaux d’implications et d’interprétations. Les comprendre tous n’est pas toujours chose aisée, en particulier pour faire des affaires. La jurisprudence islamique dépend de déclarations ou d’actes d’approbation ou de désapprobation attribués au prophète Mahomet (les hadiths), qui sont des outils pour interpréter le Coran. Ils peuvent être subjectifs. De plus, les sunnites (qui sont majoritaires en Arabie Saoudite), les chiites (la communauté dominante à Bahreïn) et les ibadites (nombreux à Oman) se basent sur différents ensembles de hadiths, de sorte que les entreprises opérant dans le monde arabe doivent comprendre les nuances de chacun d’entre eux.
Enfreindre la règle ou l’esprit de la chahada peut avoir un impact majeur sur la réputation et le succès d’une entreprise, comme Aria l’a découvert sans le savoir. « Cela nous a pris quarante ans pour bâtir un business au Moyen-Orient, et cinq jours pour le voir s’arrêter complètement», a dit à BBC News un porte-parole de l’entreprise en 2006.
Les hommes d’affaires occidentaux, en particulier, doivent comprendre que les règles de l’Islam sont perçues comme émanant d’un mandat divin, ainsi que le soulignent Frank Vogel et Samuel Hayes dans leur livre «Islamic Law and Finance: Religon, Risk, and Return». Cependant, les consommateurs arabes pardonnent vite: après avoir invoqué les valeurs islamiques de tolérance, de justice et de pardon. Aria a été la première entreprise danoise à être exemptée du boycott.
Les firmes étrangères doivent donc se démarquer de tout ce qui peut être perçu comme offensant l’Islam. Par exemple, l’Islam interdit la représentation de l’image d’Allah, y compris l’écriture de son nom. De nombreuses entreprises ont dû changer leur logo et leurs emballages pour s’adapter à cet impératif. Ainsi, à la fin des années 1990, quand les cadres d’Unilever Arabia ont découvert le nouveau logo de l’entreprise quelques jours avant son lancement, certains d’entre eux ont eu l’impression que, vu sous un certain angle, il ressemblait au mot Allah écrit en arabe. Risque qu’ils auraient ignoré sur un autre marché, mais dont ils savaient qu’il valait mieux se méfier en Arabie Saoudite. En dépit des coûts supplémentaires, Unilever Arabia à donc travaillé avec le siège à la création d’un nouveau logo avant son lancement.
Bien que l’Islam soit le fondement de leur culture, les Arabes préfèrent souvent que les entreprises séparent la religion et le commerce. Les publicités au ton ouvertement religieux ne marchent presque jamais. Dans les années 1990, lorsque Procter & Gamble a lancé Tide liquide sur les marchés arabes, l’entreprise décida d’utiliser toute une série de publicités montrant à quel point il était facile pour les femmes de se servir de ce produit pour laver leurs voiles. Elle prit soin de présenter la tâche comme une corvée quotidienne sans sous-entendu religieux, faisant ainsi clairement comprendre qu’elle percevait les rapports entre la culture et le business sur le marché arabe.
La salat
Les prières formelles, ou salat, se composent de la répétition d’une série d’actions et de mots cinq fois par jour. Que ce soit l’appel du muezzin ou les flèches pointant vers La Mecque (la ville sainte à laquelle les musulmans font face durant la prière) dans les chambres d’hôtels, on ne peut échapper à la salat dans le monde arabe.
La prière crée une routine à laquelle doivent s’adapter les entreprises étrangères. Dans des pays tels que l’Arabie Saoudite, elles doivent fermer brièvement trois fois par jour. Empêcher les employés de prier est interdit par la loi. Le travail s’arrête dans les usines et les bureaux, les réunions s’interrompent et les magasins ferment leur porte. Dès que la prière est finie, les gens reprennent leur activité comme si de rien n’était.
La dévotion aux prières quotidiennes peut varier d’un pays arabe à l’autre, mais quel que soit l’usage local, les moments de prière rythment la journée. Certaines entreprises l’ont bien compris. Ainsi, Titan Industries, le fabricant de montres indien, a développé pour le marché arabe une horloge indiquant le moment de chaque prière de la journée. Des applications comme Al-Qibla, qui indiquent le début exact des prières et la direction de La Mecque via un GPS et un logiciel cartographique, sont aussi disponibles sur la boutique iTunes.
La zakat
L’Islam requiert que les musulmans fassent don de 2,5% de leur richesse chaque année. Pilier de l’Islam, la zakat (nom que les musulmans donnent à ce don) génère un fond annuel garanti d’argent philanthropique.
Calculer le montant de la zakat générée dans les pays arabes s’avère presque impossible. La plupart des Arabes font leurs dons en privé et de manière informelle, de sorte qu’on n’en garde pas trace. De plus, le don se calcule comme un pourcentage de la richesse personnelle au-delà d’un certain montant - et non comme une fraction du revenu - ce qui le rend encore plus difficile à estimer. Alors que mes calculs très prudents suggèrent que le montant total tourne autour de 3,3 milliards de dollars par an, les experts locaux affirment qu’il dépasse aisément 25 milliards de dollars, soit 1,3% du PNB régional en 2010. A comparer avec les 2% du PNB que les individus, les entreprises et les fondations consacrent aux causes charitables aux Etats-Unis.
Avec la zalcat, les Arabes ont créé une des plus imposantes rentes philanthropiques du monde. Malheureusement, son usage est très désorganisé, ce qui crée une opportunité pour le secteur social. Dans le passé, le gouvernement ou les familles régnantes supervisaient la collecte et la distribution des fonds. Mais de nos jours, il y a moins de musulmans qui donnent leur argent à des organisations étatiques: ils ne font pas confiance aux personnages puissants pour utiliser leur argent de la manière la plus philanthropique qui soit. De plus, la fragmentation des dons dans la plupart des pays arabes rend leur utilisation moins efficace qu’elle ne pourrait l’être.
Si les pays arabes réunissaient (ensemble ou même séparément) la collecte de la zakat et la géraient de manière professionnelle, ils pourraient réussir des choses étonnantes, comme le montre l’exemple de la Chambre de la zakat soudanaise, qui attire une bonne part de la collecte nationale. Elle a ainsi disposé d’environ 250 millions de dollars en 2010, et les a dépensés en grande partie dans des programmes qui promouvaient le développement et l’autosuffisance, en particulier auprès des femmes. L’organisation distribue des semences pour l’agriculture et de la farine, dont les femmes se servent pour cultiver ou fabriquer des produits qu’elles peuvent vendre.
Les gouvernements ne sont pas forcés de superviser les fonds de la zakat: des spécialistes financiers des banques islamiques pourraient gérer l’argent, et des érudits islamiques et experts en philanthropie pourraient créer un système pour dépenser les fonds de manière efficace.
Selon plusieurs experts, l’argent pourrait servir à des prêts de type microfinance ainsi qu’à des services de santé et de prestations sociales pour les citoyens dans le besoin.
L’obstacle: les gouvernements arabes croient fermement que les soins à la personne sont de leur ressort, et craignent que les autres organisations qui s’en occupent essaient seulement de gagner de l’influence politique.
Quelques pionniers ont cependant développé des méthodes innovantes pour accroître la valeur des dons de la zakat. Ainsi, la société Abdul Latif Jameel de Djedda (Arabie Saoudite) finance un programme - auquel ses collaborateurs peuvent apporter leur contribution à la zakat - qui forme des ouvriers, soutient des entrepreneurs en herbe et aide des start-up à se développer. La famille Jameel a décidé qu’un tel projet aiderait mieux la communauté que les dons d’argent de ses collaborateurs. Bien qu’onéreux, le programme a formé des centaines de travailleurs à des jobs mieux payés et a contribué à faire naître des dizaines de petites entreprises depuis 2002. Il pourrait bien jouer un rôle précurseur pour établir un modèle de responsabilité sociale des entreprises arabes du secteur privé basé sur la zakat.
Le saoum
Durant le mois du ramadan, qui célèbre la révélation des premiers versets du Coran au prophète Mahomet, les musulmans pratiquent le saoum, c’est-à-dire le jeûne du lever au coucher du soleil (les étrangers non musulmans en sont exemptés, bien que, par politesse, ils ne doivent pas manger ou boire en public durant les heures de jeûne).
La période du ramadan est à la fois spirituelle et festive, l’accent variant selon les pays. Les gouvernements de la région ordonnent une réduction de deux heures des horaires de bureau, ce qui représente à la fois un défi et une opportunité: les consommateurs ont plus de temps pour leurs loisirs (et pour dépenser), mais il peut être difficile pour les entreprises de continuer à fonctionner en raison de la réduction du temps de travail des employés. La plupart des firmes chamboulent leurs horaires, comprenant que les gens restent éveillés du crépuscule à l’aube, qu’ils se lèveront donc tard ou partiront tôt.
Les entreprises locales et étrangères ont rendu le mois du ramadan aussi important pour les ventes que la période des fêtes de fin d’année en Occident.
La plupart des distributeurs arabes écoulent autant de biens au cours de ce seul mois que pendant le reste de l’année. Le prix des publicités télévisées monte durant le ramadan, tandis que les chaînes lancent de nouvelles émissions. Et les appels sur mobiles se multiplient du fait des connexions avec la famille et les amis. Les Arabes font leur shopping au petit matin : les malls et les magasins restent donc ouverts et les entreprises offrent d’énormes réductions de prix.
Paradoxalement, les entreprises alimentaires (et de boissons) présentes au Moyen- Orient voient leurs ventes bondir durant cette période de jeûne. Cela est dû au fait que les Arabes se réunissent le soir en famille et avec leurs amis pour rompre le jeûne lors de grands banquets, tandis que les restaurants proposent des buffets pour les repas, après le coucher du soleil et avant l’aube. Les ventes atteignent un pic final juste avant l’Aïd al-Fitr (la fête de la rupture du jeûne), le jour qui marque la fin dit ramadan, lorsque les musulmans prient, font la fête et échangent des cadeaux.
Cependant, le ramadan n’est pas porteur pour toutes les entreprises. Le calendrier islamique étant basé sur le cycle lunaire, il n’est pas synchronisé avec les saisons. De 2008 à 2018, le ramadan a lieu durant l’été, ce qui a pour résultat de modifier les tendances de consommation. Ainsi, les ventes de boissons non alcoolisées et de parfums s’accroissent généralement durant l’été et durant le ramadan. Quand les deux se recoupent, les entreprises de ces secteurs ne bénéficient que d’une seule période d’accélération des ventes. Les plus réactives prévoient donc des campagnes publicitaires à d’autres moments de l’année pour booster leurs ventes.
Il est intéressant de noter qu’une réaction se fait jour contre la commercialisation du ramadan et la consommation ostentatoire qui le caractérise parfois. Sentant le vent tourner, certaines multinationales focalisent leur communication publicitaire sur la solidarité familiale, la générosité et la spiritualité. En 2009, Procter & Gamble a ainsi annoncé que, pour chaque paquet de Tide White Musk acheté en Egypte durant le ramadan, la compagnie offrirait un vêtement à une famille dans le besoin. Pour assurer sa crédibilité, elle a travaillé avec Resala, une ONG respectée, a obtenu le soutien d’un ministre et a recruté Hakim, un chanteur populaire, en tant qu’ambassadeur de la campagne. A la fin du ramadan, Procter & Gamble et ses clients avaient procuré 640.000 vêtements à des enfants pauvres, et la part de marché en volume de Tide en Egypte avait augmenté de 3 points.
Le hadj
Le hadj à La Mecque - un devoir que tous les musulmans en bonne santé doivent accomplir une fois dans leur vie s’ils en ont les moyens - est l’un des plus grands pèlerinages du monde. L’arrivée annuelle de plus de 1,5 million de musulmans en Arabie Saoudite crée de nombreuses opportunités de business. Bien que les chiffres officiels soient rares, des études estiment l’impact du hadj sur l’économie saoudienne à 42 milliards de dollars en 2011, soit presque 7% du PNB.
Plusieurs chaînes d’hôtels, arabes et étrangères, ont profité de la nécessité de loger des millions de personnes durant le pèlerinage annuel, qui dure un peu moins d’une semaine. L’Inter Continental de La Mecque se trouve ainsi très près de la Kaaba, le site islamique le plus sacré, et la chaîne possède plusieurs établissements à Médine, une autre cité sainte pour les musulmans. Même s’ils triplent leurs tarifs durant le hadj, les hôtels de La Mecque ont un taux d’occupation de 100% chaque nuit du pèlerinage (contre 65% le reste de l’année).
En 2011, le gouvernement saoudien a autorisé la construction de 500 nouveaux hôtels à La Mecque, qui est devenue une ville en essor permanent.
Le hadj est une expérience religieuse, mais la consommation fait souvent partie du pèlerinage. A La Mecque, Médine et Djedda, des centaines d’entreprises locales et multinationales profitent d’une croissance de la demande pour toutes sortes de produits, des souvenirs aux traitements pour les migraines. Procter & Gamble fait la promotion de la quasi-totalité de ses produits durant le hadj, mais ce sont ceux qui peuvent être rapportés chez soi comme cadeaux qui s’écoulent le mieux. Les ventes de parfums atteignent un pic et les petits appareils électroménagers, comme les rasoirs électriques, se vendent bien, en particulier ceux qui ne sont pas disponibles dans les pays des visiteurs.
Pour les entreprises d’électronique grand public, comme Sony et Samsung, le bond des ventes pendant le pèlerinage équivaut à un mois de chiffre d’affaires. Durant le hadj, Samsung déplace ses équipes du reste du pays vers La Mecque et Médine, et ses points de vente affichent des bannières spéciales en quatre ou cinq langues à destination des visiteurs étrangers.
Le hadj est devenu une opportunité si attrayante que certaines entreprises arabes l’utilisent comme rampe de lancement pour leur expansion mondiale. Le pèlerinage drainant une foule de gens qui visitent l’Arabie Saoudite pour la première fois, les firmes peuvent tester leurs marques sur un nouveau groupe de consommateurs internationaux chaque année. Elles établissent la notoriété de la marque auprès des pèlerins grâce à des opérations de vente et de marketing à La Mecque et à Médine, puis implantent des points de distribution dans les pays d’origine des consommateurs. Ainsi Arabian Oud, qui crée des parfums à base d’oud (bois d’agar), possède 52 boutiques à La Mecque et à Médine, qui réalisent environ 11% des ventes totales de l’entreprise durant le hadj. Elle a construit un réseau de 550 magasins dans 28 pays en suivant les pèlerins musulmans qui retournaient chez eux.
Yallah! «Allons-y!» Vous entendrez cette expression partout dans le monde arabe, et, en dépit des défis sociaux et politiques, elle incarne le dynamisme du marché. Le seul mot arabe que vous entendrez plus souvent encore est «yanni» («c’est-à-dire» ou «cela signifie»). C’est un mot passe-partout, mais il souligne le profond désir du peuple arabe d’être compris. Dans le monde arabe, seules les entreprises capables d’appréhender le dynamisme du futur (incarné par «Yallah!») tout en ayant assimilé correctement le passé (symbolisé par «yanni») ont une chance de prospérer...
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