07/05/2016

Football

La Chine doit-elle recruter des joueurs de foot à prix d’or ?


Depuis le début de l’année, certains clubs de foot chinois ont dépensé des montants astronomiques pour attirer des stars mondiales. Au risque de porter préjudice à l’ensemble du secteur.


non : Cela n’aide pas les petits clubs


En Europe comme au Brésil, en Série A italienne comme en Premier League anglaise, la fenêtre hivernale des transferts a été partout marquée par des demandes frénétiques d’achats en provenance des clubs chinois. C’est près de 200 millions d’euros au total que les clubs de la Super League chinoise ont “flambés” durant le mercato hivernal. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que le championnat chinois ne dépasse son homologue britannique et ne prenne la première place mon- diale dans ce domaine.

Tant mieux si le football chinois a de l’argent ! Tant mieux si cela permet d’acheter des renforts étrangers de haut niveau, au sommet de leur art ! Et si les clubs ont de l’argent à dépenser, cela les regarde, après tout...

Cependant, il n’est pas du tout bon pour le football chinois que la Chine passe aux yeux du monde pour une terre de pleins aux as qui n’y connaissent rien ni que les acheteurs de la Super League chinoise soient considérés comme des “vaches à lait” sur le marché international des transferts. Il est à craindre que cela rende plus difficile pour les autres clubs chinois l’achat de joueurs d’un bon rapport performances- prix. La folle envolée des prix des transferts ne contribue pas non plus sur le long terme à un développement sain du championnat chinois, en laissant peu d’espace de survie aux petits ou aux moyens clubs.

Les records n’ont cessé de tomber pendant cette fenêtre de transferts hivernale. Seule la Premier League britannique, très riche, a été capable de rivaliser avec le championnat chinois durant ce mercato d’hiver. Certes, dans les cinq grands championnats européens, les sommes engagées lors du mer- cato d’hiver sont toujours plus modestes que lors de la période estivale des transferts, cette comparaison est donc un peu biaisée. Il n’en reste pas moins que l’émergence de “gros flambeurs” parmi les propriétaires de club dans la Super League chinoise [CSL] est désormais incontestablement un paramètre à prendre en compte sur la scène footballistique mondiale. “La Chine va faire une razzia sur nos joueurs”, se lamentent les Brésiliens, tandis que les agents européens peu scrupuleux se frottent les mains : ce genre de grands chevaliers prêts à tout accepter se fait rare de nos jours !

Cette image utilisée pour désigner les clubs de la Super League chinoise qui ne lésinent pas sur les moyens pour obtenir le renfort de joueurs étrangers de renom n’a rien de péjoratif en Chine. Aux yeux des clubs, acheter des joueurs étrangers de haut niveau reste un très bon calcul dans un contexte où la plupart des salaires des footballeurs en Chine dépassent l’entende- ment. A la seule évocation de noms comme Martinez, Ramires, Gervinho, Guarín ou Guto, on comprend combien le champion- nat chinois devrait gagner en qualité durant la deuxième partie de la saison, et com- bien les grandes villes de Chine devraient se passionner encore plus pour ce sport. Si nos nationaux pouvaient en prendre un peu de la graine, ce serait naturellement encore mieux...

Cependant, à bien observer une telle situation dans une perspective de long terme, il n’est pas possible d’accorder indéfiniment des ponts d’or aux joueurs étrangers, et ce jeu de surenchères n’est pas bon non plus pour l’ensemble du marché, notamment pour les clubs de petite ou de moyenne envergure. Si l’UEFA a instauré des règles de “fair-play financier” [en Europe], c’est en grande partie dans l’espoir de mettre un terme aux folles dépenses d’une minorité de clubs qui portaient préjudice à l’en- semble du secteur.

Le football en Chine a connu ces dernières années une croissance qui est à l’image du boom chinois, mais cette rapide expansion se juge surtout à l’aune de la capacité des clubs de la D1 chinoise à offrir des sommes mirobolantes et ne traduit pas une réelle hausse du niveau de jeu des joueurs chinois.

Devant cet afflux massif et inconsidéré de capitaux, la Fédération chinoise de foot- ball serait bien avisée de publier ses propres règles de fair-play financier afin de garantir le bon développement sur le long terme de tout le championnat. Cela passe non seulement par un encadrement rigoureux des finances des clubs pour les maintenir dans la limite du raisonnable et lutter contre une tendance inflationniste, mais aussi et surtout par des incitations à investir dans la formation de jeunes joueurs afin de pré- server les intérêts de la majorité des petits ou moyens clubs.

Pour résumer, sans vouloir, de manière simpliste, mettre son veto à la politique d’achats à tout va, on peut cependant souhaiter que l’argent soit dépensé de manière plus sensée, plus professionnelle, dans une perspective d’élévation générale du niveau de jeu du football chinois. C’est à ces conditions seulement que l’apport de bonnes recrues étrangères se révélera extrême- ment bénéfique et qu’on pourra vraiment dire qu’“abondance de biens ne nuit pas” !

oui : C’est une étape incontournable

Après Fredy Guarín, acheté 12 millions d’euros, Gervinho, 18,5 millions d’euros, Ramires, 28 millions d’euros, le 3 février dernier une autre star mondiale du ballon rond, l’avant-centre de l’Atlético de Madrid, Jackson Martínez, a battu tous les records du mercato chinois en étant transféré au club de Guangzhou Evergrande pour 42 millions d’euros [record battu deux jours plus tard avec l’attaquant brésilien Alex Teixeira, acheté 50 millions d’euros par le Jiangsu Suning].

Le caractère astronomique des sommes déboursées laisse pantois la plupart des gens. Jadis, les clubs du championnat chinois fonctionnaient avec un budget modeste, en recrutant surtout des joueurs peu connus, mais très utiles comme force d’appoint. Cependant, à la suite de la campagne de lutte contre les paris et matchs truqués, le football chinois était entré dans une phase de déclin et l’engouement des investisseurs pour ce sport s’était tari.

Alors que le football chinois était au plus bas, [le promoteur immobilier] Guangzhou Evergrande a décidé d’investir le secteur en “arrosant d’argent” le marché des transferts pour mettre à mal ses adversaires. En 2011 il alignait 10 millions de dollars pour enrôler l’Argentin Darío Conca, lequel, avec un salaire annuel de 7,5 millions de dollars, devenait l’un des cinq joueurs les mieux payés de la planète.

Nombreux sont ceux qui désapprouvent les folles largesses de Guangzhou Evergrande, qui ont, selon eux, semé la pagaille dans le mercato chinois et créé un effet de surenchère. Il est vrai qu’à court terme les ponts d’or offerts par certains clubs chinois sont des “pertes en capital”, mais il faut également les considérer comme des gains de notoriété. Ainsi, l’arrivée de Conca a marqué un tournant pour le championnat chinois en montrant que des stars du football euro- péen et américain au sommet de leur art pouvaient également venir jouer en Chine. Elle a permis de renforcer l’importance de Guangzhou Evergrande et de la CSL aux yeux des médias étrangers, ce qui a incité d’autres footballeurs de renom à venir.

Bien sûr, beaucoup de gens redoutent que ces ponts d’or ne mènent le football chinois sur une mauvaise pente. Ces craintes ne sont pas totalement infondées. Mais pour le football chinois, au creux de la vague, la solution des recrutements à prix d’or est sans doute la seule voie possible. Il ne faut pas se voiler la face : si ces grandes pointures du football mondial viennent en Chine, c’est pour l’argent – et non par humanisme. Néanmoins, cela crée peu à peu un effet boule de neige en incitant un nombre croissant de joueurs étrangers à rejoindre la Super League chinoise.

Cela a également fait comprendre au reste du monde qu’en dehors des cinq grands championnats européens la CSL existe aussi comme terre d’accueil des stars du football. Si les nouveaux qui ont été recrutés depuis le début de la saison 2016 sont tous de très bons joueurs européens ou américains au meilleur de leur forme, c’est aussi parce que le championnat chinois est devenu beau- coup plus attractif.

L’afflux de joueurs étrangers présente des avantages pour le développement du football en Chine. Compte tenu du niveau actuel de ce sport dans le pays et du nombre de pra- tiquants, on ne peut espérer que les choses s’améliorent du jour au lendemain, mais la CSL est un vecteur qui conditionne dans une large mesure le nombre de futurs jeunes footballeurs. Ainsi, la Fédération chinoise de football avait enregistré une vague de nouvelles adhésions quand la Ligue A chinoise avait connu ses plus belles heures de gloire. Aujourd’hui, l’arrivée de grands joueurs étrangers accroît considérablement l’in- térêt pour la Super League, ce qui devrait conduire de nombreux jeunes à chausser les crampons. Finalement, déverser l’argent à flot est peut-être bien une étape incontournable pour faire passer le football chinois d’une situation de désert footballistique à un plus haut niveau.




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