02/11/2018

La mafia israelienne

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10 janvier 2013, attentat en plein centre de Tel-Aviv, neuf blessés...mais ce n’est pas une faction terroriste palestinienne qui est impliquée : la cible s’appelle Nissim Alperon, le chef de l’une des familles du crime organisé israélien. Chaque semaine, on annonce des règlements de compte. Les organisations mafieuses israéliennes comptent parmi les plus violentes et les moins connues également. Certaines se contentent d’opérer à l’intérieur de l’Etat hébreu et dans les pays voisins, mais d’autres se sont implantées en Europe de l’est et de l’ouest, dans les principales villes du continent américain, ainsi qu’en Afrique du sud, en Australie et au Japon. Prostitution, blanchiment d’argent, racket, drogue, trafic d’armes, recel de biens volés, contrebande des diamants...les activités de cette mafia sont nombreuses.

Les sommes générées par le crime en Israël, avec ses ramifications à l’étranger, sont tellement importantes que la mafia israélienne est arrivée à corrompre des personnalités politiques. Autant la police est efficace dans le combat contre le terrorisme palestinien, autant elle semble désarmée face à un crime structuré militairement.
À travers et des révélations et des détails inédits, ce livre retrace l’histoire des mafieux « blancs et bleus » depuis 1948. Dans une galerie de personnages tels Zeev Rozenstein, les frères Meïr et Itzhak Aberjil, Charlie Aboutboul, Rico Shirazi, le «parrain en kippa» Shalom Domrani et quelques dizaines d’autres, décortique des organisations souvent opaques et nous entraîne dans un monde de prédateurs bâtissant leur empire illégal grâce aux cadavres qu’ils laissent derrière eux.

Tandis qu'Ariel Sharon vient de mourir pour la seconde fois, vient de paraître une enquête inédite sur la mafia israélienne dont un chapitre est justement consacré au Likoud, le parti du défunt et dont nous publions ci-dessous d'enrichissants extraits
Rendez-vous au Likoud

L’assassinat de Yaakov Alperon a fortement affaibli sa famille, mais ses frères ne baissent pas les bras même si leur influence est plus limitée. Leurs affaires se poursuivent principalement dans la partie centrale de l’État hébreu, et ils gardent leurs nombreuses connexions au sein de la société civile. Surtout au Likoud, le parti nationaliste de Binyamin Netanyahou et d’Ariel Sharon au gouvernement de manière quasi ininterrompue depuis 1977.

Car les Alperon sont de droite, des partisans du Grand Israël qui ne s’en cachent pas. Si cela ne tenait qu’à eux, ils materaient les Arabes et les Palestiniens « comme il se doit ».
Au début des années deux mille, en pleine intifada, «Moussa» Alperon était plus qu’un simple adhérent au Likoud: il militait activement dans la section de Ramat Gan. Mieux, il était un cadre du parti, un délégué à la convention de sa formation, son instance centrale composée de 2 900 membres chargés de définir la ligne politique générale et de désigner les candidats à la Knesset.
Au sein de cette structure, chaque section du Likoud dispose d’un nombre de mandats calculé au prorata de l’importance de son effectif. Ramat Gan en détenait soixante-dix-neuf à l’époque.

Étant donné le rôle crucial joué par la convention du Likoud dans la vie politique israélienne du début des années deux mille, la présence en son sein d’un « mafieux » patenté – presque diplômé – ne pouvait pas passer inaperçue. Outre la presse, qui dénonce « l’infiltration du principal parti de gouvernement par la criminalité organisée », des élus hurlent au loup, ou plutôt à la « perte de nos valeurs ». Dans la foulée, quelques militants de longue date convoquent les caméras pour déchirer spectaculairement leur carte.

«Moussa» Alperon doit réagir. En 2002, sollicité de toute part, il renonce à son mandat en affirmant «trop aimer le parti pour lui causer un préjudice». «Des amis me font comprendre que ma présence gêne, je m’en vais », déclare-t-il au micro de Kol Israël, la radio publique.

L’incident ajoute au malaise d’une formation rongée par les querelles intestines et éclaboussée par des affaires nauséabondes, des rumeurs de trafic d’influence et de corruption éclaboussant plusieurs de ses responsables dont le premier ministre Ariel Sharon, ainsi que ses fils Gilad et Omri. Homme de confiance de son père, ce dernier est chargé des questions politiques sensibles, ainsi que du financement des campagnes électorales. Tout passe par lui. C’est un personnage des coulisses, mais son pouvoir est énorme.

En 1999, pour financer la campagne victorieuse de l’ex-général à la présidence du Likoud, Omri Sharon avait eu besoin d’argent. De beaucoup d’argent: d’un million et de demi de dollars au moins, récoltés par le biais de sociétés écrans censées effectuer des sondages et des études bidon. Un procédé classique mais illégal en Israël comme dans de nombreux autres pays démocratiques. Une technique efficace en tout cas, puisque l’ex-général, héros de la guerre de Kippour n’a jamais manqué de fonds pour promouvoir sa carrière. Élu à la tête de son parti, il a d’ailleurs remporté dans la foulée les élections législatives de 2001 et décroché le portefeuille tant convoité de premier ministre de l’État hébreu. Pourtant, l’élection de Sharon à la présidence du Likoud n’était pas jouée d’avance. Chargé de tracer le chemin puis de conforter la position de son père, Omri a dû ratisser large. Peu lui importait que ses soutiens soient «casher» ou pas: il fallait qu’ils apportent de l’argent et de l’influence.

C’est dans ce contexte qu’Omri Sharon a rencontré «Moussa» Alperon et que ce dernier l’a aidé à encarter les milliers de nouveaux membres élisant à leur tour des délégués à la convention. Étant donné la réputation du mafieux, sa collaboration avec le fils de l’ex-général devait rester discrète, et ce fut le cas. À l’époque, « Moussa » Alperon n’avait pas encore rendu son mandat de délégué à la convention. Il disposait de nombreux contacts lui permettant de jouer au poisson pilote en introduisant son nouvel ami auprès de nombreux délégués susceptibles de soutenir son père contre le maire de Jérusalem Ehoud Olmert, qui briguait lui aussi le fauteuil de leader du parti.

La famille Alperon a commencé à militer au Likoud lorsqu’elle résidait encore à Givat Shmouel. Là, elle faisait tout simplement la pluie et le beau temps au conseil local en jouant de ses muscles. Personne ne pouvait se faire élire sans son soutien. Dans les années quatre-vingt, la réputation sulfureuse des frères n’empêchait d’ailleurs pas les « bonzes » du Likoud de les fréquenter au vu et au su de tous. Plusieurs rapports policiers de l’époque témoignent d’ailleurs que des photos dédicacées et d’autres montrant les truands serrant la main de politiques étaient affichées bien en vue sur un mur de l’Auberge des Tigres, l’établissement de Shoshana Alperon-Barski qui servait de quartier général à la famille.

C’est la raison pour laquelle la section de Ramat Gan du Likoud intéressait beaucoup la PNI à la fin des années quatre-vingt-dix. Elle l’intéressait d’autant plus qu’au-delà de «Moussa», on y croisait plusieurs autres militants au casier judiciaire chargé et aux connexions avérées avec le milieu. Parmi ceux-ci, Shlomi Oz, un propagandiste plein d’allant et réputé pour son dynamisme qui allait devenir président de la section le 18 février 2003, au terme d’une élection contestée. Un combat épique entre la vieille garde des militants représentée par le maire de Ramat Gan et les jeunes hussards avides de pouvoir.

Oz ordres des Alperon
Né à la fin des années cinquante à Kyriat Shmona d’une mère tunisienne, Shlomi Oz – Aziza de son vrai nom – a débuté sa vie professionnelle comme ouvrier dans une petite usine d’impression sur textiles sise à Pardès Katz. Une PME vivotant tranquillement et dont il est devenu associé après avoir convaincu le PDG des potentialités du marché.

Ambitieux et intelligent, le jeune homme voyait loin. Plus loin que Pardès Katz en tout cas. Il voulait réussir dans la grande ville, à Tel-Aviv. Parallèlement à ses activités dans le textile, il a donc ouvert un bar à bières baptisé «HaOhel», «la tente». Un établissement comme on en trouvait peu à l’époque et qui attirait une clientèle de marginaux, de paumés, et de petites frappes. Parmi celles-ci, Yaakov Alperon, « le Boxeur » dont les poings inspiraient déjà la crainte, mais qui n’était pas encore devenu le parrain que l’on connaîtra plus tard.

Le courant passe rapidement entre les deux hommes. Au point que Shlomi Oz abandonne son café pour participer aux activités de récupération de créances de la famille Alperon. Pour la façade, il passe pour un simple employé, mais en réalité, il coordonne les opérations de « protection » menées avec l’aide d’Amir Mulner et du gang de Ramat Amidar.

Suite logique de cette collaboration, la première condamnation judiciaire de l’ex-cafetier est prononcée en 1987 et la suivante deux ans plus tard. Dans le cadre cette dernière affaire, « le Boxeur », Oz et seize autres complices sont reconnus coupables d’extorsion de fonds, mais également de faux-monnayage. Ils voulaient inonder le marché israélien avec deux millions de dollars en fausse monnaie.

Shlomi Oz en prend pour trente-deux mois, mais est libéré en 1990 après un an et deux mois de détention. Il jure alors qu’il a compris la leçon et se lance dans les affaires immobilières. Pourtant, l’ex-taulard n’a pas vraiment quitté le monde interlope. En marge de ses affaires légales, il ouvre en effet une taverne dans une zone industrielle du sud de Tel-Aviv où les casinos clandestins prolifèrent. Un établissement fréquenté par des usuriers, des truands de bas étage, des joueurs en mal de fonds. L’homme partage les idées politiques de « Don Alperon ». Il soutient le Betar de Jérusalem, le club de football lié au Likoud et dont les membres sont connus pour leur racisme anti-arabe .D’ailleurs, il en écoule les billets.

À première vue, la réinsertion de Shlomi Oz est un modèle du genre. À la fin des années quatre-vingt-dix, son passé semble oublié. Bien sûr, on chuchote dans son dos mais personne n’évoque quoi que ce soit en public, et certainement pas au Likoud dont il est devenu un militant actif.



À l’occasion des primaires de 1999, le cœur de l’homme d’affaires penche en faveur d’Ariel Sharon, mais il n’est pas un ingrat. Il se souvient que durant ses ennuis judiciaires pour faux-monnayage, Ehoud Olmert a été l’un des seuls à le soutenir en écrivant au tribunal pour se porter garant de sa «bonne moralité». Le maire de Jérusalem étant lui aussi candidat à la présidence du Likoud, Oz se met donc à son service en mobilisant ses amis délégués à la convention. Mieux: il verse une contribution conséquente à la caisse électorale de son poulain. C’est interdit par la législation israélienne mais peu importe : il présente l’affaire comme un prêt qu’Olmert et le directeur financier de sa campagne Abraham Hirshzon rembourseront un jour. Peut-être...

Grenouillages
Olmert n’avait aucune chance face à Sharon. Une fois élu à la présidence du Likoud, ce dernier a d’ailleurs eu l’intelligence de l’intégrer dans le premier cercle de ses conseillers pour ne pas s’en faire un ennemi qui lui aurait mis des bâtons dans les roues. Quant à Shlomi Oz, il s’est placé sous les ordres d’Omri, le fils du nouveau chef de file du parti.

En 2003, fort du soutien du clan Sharon et de la famille Alperon, Oz, l’ex-taulard accède à la présidence du Likoud de Ramat Gan, devenant du même coup membre de droit de la convention du parti. C’est une belle victoire pour Shlomi Oz, mais elle est de courte durée puisqu’il est arrêté le lendemain, suivi par son épouse Ofra, par son cousin Shaï Azoulai, par un certain Benny Tabin, dont on reparlera un peu plus loin, ainsi que par quelques complices dont Rony Sasson, un ancien détenu condamné pour trafic de stupéfiants et détention d’armes de guerre.

De quoi la PNI accuse Oz ? De n’avoir jamais abandonné ses activités illégales et de continuer à réaliser des coups. Entre autres, une escroquerie dans laquelle la banque Leumi, la deuxième institution financière israélienne, a perdu 4,5 millions de shekels, soit plus de 900 000 euros.

En effet, en mai 2000, Rony Sasson a déposé plusieurs chèques émis par la « Northern star company Ltd », une société dont Shaï Azoulai était l’actionnaire principal et le directeur général, sur un compte ouvert auprès de la banque Leumi victime de l’escroquerie. La Northern star disposait d’un compte à la banque Mizrahi dont le personnel venait fort opportunément d’entamer un mouvement de grève. Lorsque le guichetier de la Leumi a voulu effectuer les vérifications d’usage afin de se faire confirmer par la Mizrahi que les chèques étaient couverts, il n’a évidemment trouvé personne à qui parler. Ce qui ne l’a pas empêché de créditer le compte de Rony Sasson. Le lendemain, ce dernier s’est présenté dans une agence de la Leumi pour prélever une somme en liquide équivalente au montant des chèques en bois déposés la veille. Simple, facile, efficace... et lucratif, cette embrouille.

L’argent n’a pas traîné dans les poches de l’escroc. Shlomi Oz et Benny Tabin ont touché leur part, ainsi que Meïr Hasson et Benny Ravizada dit « le Requin », les rois du prêt usuraire impliqué dans le siphonnage de la Banque HaMiskhar.

Durant ses interrogatoires, Rony Sasson a accusé le président de la section du Likoud de Ramat Gan d’être le cerveau de l’escroquerie de la Leumi. Crédible ? En tout cas, pour la PNI, sa présence dans le dossier est lourde de signification. Parce que l’on ne peut évoquer le nom de Shalom Oz sans faire référence à la famille Alperon, et parce que les enquêteurs chargés de boucler le dossier de la Banque HaMiskhar avaient également détecté sa présence discrète dans certaines séquences de cette affaire.

Lorsque Shlomi Oz ne s’était pas encore imposé à la tête du Likoud de Ramat Gan, il a en effet cogéré un compte bancaire avec Meïr Hasson, lui-même directement impliqué dans la combine de la Banque HaMiskhar. De ce fait, il a – sciemment ou non – profité d’une partie de l’argent «pompé» dans les caisses de cet établissement.

De plus, lorsque le scandale du siphonnage des caisses de la banque HaMiskhar est arrivé à son épilogue et qu’Ofer Maximov, l’une de ses figures centrales de la combine, a été séquestré afin de pousser sa sœur à voler davantage d’argent, Shlomi Oz ne se trouvait jamais bien loin... en compagnie de son ami Gabriel Ben Harosh, le chef d’antenne de l’organisation Aberjil aux États-Unis.
Autre « coïncidence » : peu avant la reddition à la police de sa sœur Etty Alon, Ofer Maximov a été «protégé» – «séquestré» selon le parquet – par des vigiles de la société « Tsevet Bitahon », « équipe de sécurité » en hébreu. Or, cette entreprise de gardiennage était dirigée par Benny Tabin, un proche de Shlomi Oz et d’Omri Sharon1. Le monde est décidément petit...

Une autre figure intéressante ce Benny Tabin. Affilié de longue date du Likoud et délégué à la convention de ce parti bien qu’il réside... en Espagne, ce partisan du Grand Israël est alors un proche du clan Sharon. Mais également un vieil habitué des tribunaux israéliens. Dans les années quatre-vingt, lorsqu’Olmert était trésorier du Likoud et que la législation sur le financement des partis politiques n’interdisait pas grand-chose, Tabin aidait son parti à remplir ses caisses électorales selon les méthodes coutumières de l’époque. C’est-à-dire en délivrant aux entreprises donatrices des factures correspondant à des prestations inexistantes, à des études bidon, des recherches sans consistance, et des ordres de publicité dans des périodiques à diffusion confidentielle.
Ce financement douteux a donné lieu à de nombreuses combines qui mériteraient à elles seules la rédaction d’un livre. Quoi qu’il en soit, Tabin et Olmert ont été inculpés en 1989, mais le futur premier ministre de l’État hébreu – qui est un ancien avocat – a réussi à convaincre le tribunal qu’il ne connaissait pas la provenance des fonds incriminés. Qu’« on » avait abusé de sa crédulité et qu’il s’était montré «trop naïf». «Je n’ai jamais posé de questions, je faisais confiance », a-t-il déclaré aux juges et ceux-ci l’ont cru. Olmert a donc été acquitté, ce qui lui a permis de poursuivre une carrière politique qui l’a mené jusqu’au sommet de l’État. Quant à son factotum, il en a pris, lui, pour huit mois.
(...)

L’auteur : Serge Dumont
Belgo-israélien, Serge Dumont a été journaliste au Vif/L’Express (Bruxelles). Installé à Tel-Aviv depuis lors, il a collaboré au quotidien Maariv et à l’hebdomadaire Hanachim. Il est aujourd’hui correspondant permanent des quotidiens Le Soir (Bruxelles), Le Temps (Genève), La Voix du Nord (Lille). En février 2011, lynché dans une rue Caire par les partisans d’Hosni Moubarak alors qu’il couvrait le Printemps arabe, arrêté à deux reprises, détenu au secret par les services de sécurité égyptiens, il a été libéré grâce à la mobilisation des journaux auxquels il collabore ainsi que de la diplomatie européenne.

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