Les entreprises belge en Afrique
En perte d’influence dans l’ex-Afrique belge depuis la disparition du dictateur Moboutu,
où des autocrates ombrageux s’incrustent au pouvoir, la Belgique se tourne de plus en plus vers l’Afrique de l’Ouest. Une zone économiquement prometteuse, mais politiquement fragile.
Une fois n’est pas coutume, l’Afrique est à l’agenda belge, français et européen ces prochains jours. A Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire, se tiendra, les 29 et 30 novembre, le 5e sommet Europe-Afrique. Ce rendez-vous nord-sud, organisé pour la première fois en zone subsaharienne, réunira 40 chefs d’Etat africains et leurs 27 homologues européens.
Une grand-messe de plus ? Des voix appellent de leurs vœux un new deal entre les deux continents, un nouvel engagement collectif pour l’Afrique, dix ans après l’adoption d’une « stratégie conjointe ». Priorité affichée : la jeunesse (60 % de la population africaine a moins de 25 ans). Mais il sera aussi question de sécurité, de migration, des droits de l’homme, de commerce. « L’avenir de l’Europe et celui de l’Afrique sont indissociables, confie un diplomate européen en poste à Abidjan : si l’Afrique n’enregistre pas des progrès économiques, politiques et sociaux substantiels, elle sombrera dans la misère, la violence et le terrorisme, et l’Europe, confrontée à cette poudrière et à la pression migratoire, plongera avec elle ! »
Un discours fondateur
Deux jours avant de se rendre à Abidjan, Emmanuel Macron doit prononcer, à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, le discours fondateur de sa politique africaine. Un exercice délicat, après le tollé provoqué par sa déclaration du 8 juillet dernier sur la natalité africaine, frein au développement. A la question d’un journaliste ivoirien qui lui demandait s’il fallait « un plan Marshall pour sauver l’Afrique », le président français a répondu : « Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. » Il a qualifié ce défi démographique de « civilisationnel », d’où une polémique qui a mis en évidence une relation franco- africaine toujours aussi passionnée.
Diplomatie et business
Le président français profitera de sa visite à « Ouaga » pour inaugurer la centrale solaire de Zagtouli, la plus grande du Sahel, construite près de la capitale. Etat pauvre et enclavé, le Burkina Faso mise sur l’énergie solaire pour alimenter son réseau en mégawatts, alors que l’écrasante majorité des 19 millions de Burkinabè n’a pas encore accès à l’électricité et que les délestages sont fréquents. Coût du projet de Zagtouli : 47,5 millions d’euros, dont 25 accordés par l’Union européenne sous forme de don. Le reste est financé par un prêt de l’Agence française de développement. La firme allemande Solarworld a fourni les 130 000 panneaux photovoltaïques, tandis que la coordination du chantier et la maintenance du site sont assurés par Cegelec, filiale du groupe français Vinci. La diplomatie et le business faisant bon ménage dans les relations franco- africaines, le président français lancera aussi, en marge du sommet Europe- Afrique, les travaux du métro d’Abidjan. Le projet, qui vise à décongestionner cette ville de cinq millions d’habitants, est porté à bout de bras par la France : Macron a promis d’accorder à la Côte d’Ivoire une aide financière de 2,125 milliards d’euros, dont 1,4 milliard pour boucler le budget de la première ligne de métro. Deux sociétés françaises bénéficieront de cette manne à hauteur de 58 %, Bouygues et Keolis, filiale de la SNCF, le solde revenant à deux firmes coréennes.
Stratégie d’influence
« Par l’intermédiaire de groupes privés comme Bouygues, Bolloré, Carrefour et Orange, la France est de plus en plus présente en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays de son ancien “pré carré” africain », constate un correspondant de presse français à Abidjan. Sur place, certains parlent même d’une forme de « recolonisation » via l’économie. Une certitude : l’aide au développement est conçue comme un levier important de la stratégie d’influence française sur le continent. « La France et l’Espagne ont signé des accords bilatéraux de conversion de la dette ivoirienne en financement de nombreux projets de développement, ce qui favorise leurs entreprises, relève un homme d’affaires belge actif en Afrique de l’Ouest. Moins stratégique, la Belgique, elle, a simplement annulé, en 2012, 133 milliards de francs CFA de dette ivoirienne. »
Le marché ouest-africain intéresse pourtant de plus en plus les dirigeants d’entreprises belges, comme en témoigne leur présence en nombre lors de récentes missions économiques organisées dans la région. Le prochain déplacement officiel belge en Afrique de l’Ouest sera celui de Charles Michel : avant de participer lui aussi au sommet Europe-Afrique d’Abidjan, le Premier ministre fera un détour par Bamako les 27 et 28 novembre, afin de « consolider la coopération » avec le Mali. Il en profitera pour rendre visite aux troupes belges déployées, dans ce pays déstabilisé par les groupes djihadistes depuis 2012. Au centre d’entraînement de Koulikoro, les militaires belges encadrent la formation des forces armées maliennes. La Belgique assure le commandement militaire de cette mission européenne EUTM jusqu’à la fin janvier 2018. La présence belge se réduira ensuite à une vingtaine d’hommes, au lieu de 180. Mais la Belgique renforcera son engagement dans la mission onusienne de maintien de la paix Minusma, au nord et au centre du Mali. Dans le même temps, le G5 Sahel, la nouvelle force antidjihadiste africaine, lancera ses premières opérations aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Objectif : reprendre pied dans les zones délaissées par les Etats.
Reynders sur la touche
Au moment de la visite du Premier ministre belge au Mali, son chef de la diplomatie, Didier Reynders, se trouvera à Kinshasa, où il doit inaugurer la nouvelle ambassade de Belgique, un imposant immeuble érigé le long du boulevard du 30 Juin. Le ministre des Affaires étrangères ne fera toutefois qu’un saut de puce de quelques heures, le 27 novembre, dans la capitale congolaise. Et pour cause : ses déclarations d’avril dernier selon lesquelles la lettre et l’esprit de l’accord congolais de la Saint-Sylvestre 2016 n’ont pas été respectés (lors de la nomination du nouveau Premier ministre, Bruno Tshibala, récusé par le Rassemblement de l’opposition) ont provoqué un refroidissement des relations belgo-congolaises. En septembre, à New York, Joseph Kabila a insisté pour que Didier Reynders soit tenu à l’écart de sa rencontre avec Charles Michel. L’entourage du président congolais accuse le ministre belge de s’aligner sur les positions de l’opposition, qui rejette le nouveau calendrier électoral – les élections fixées au 23 décembre 2018 – et réclame une « transition sans Kabila » dès le 31 décembre 2017.
Les relations diplomatiques belgo- burundaises sont plus exécrables encore. Le président Pierre Nkurunziza, qui a décroché un troisième mandat controversé en juillet dernier, au terme d’une élection boycottée par l’opposition, a instauré dans son pays un régime de terreur. Son entourage multiplie les attaques en règle contre Bruxelles, des officiels belges ayant attiré l’attention internationale sur la répression sanglante de la contestation au Burundi. « Tout est bloqué, le régime se referme sur lui-même », a déploré Reynders. Le président burundais, lui, accuse la Belgique, ancien pays de tutelle, d’avoir « semé les divisions ethniques entre Burundais ».
La Belgique marche sur des œufs
La diplomatie belge marche également sur des œufs au Rwanda, l’autre pays des Grands Lacs, en plein essor grâce à une politique économique ultralibérale, mais marqué par une dérive autocratique, l’élimination d’opposants et l’instrumentalisation des élections. La démocratie et les droits de l’homme sont devenus des sujets quasi tabous dans les relations belgo-rwandaises, la Belgique craignant les répliques cinglantes de Paul Kagame, l’homme fort du pays. En 2015, il a, lui aussi, accusé le colonisateur belge d’avoir créé des divisions ethniques entre Hutu et Tutsi, présentées comme l’une des causes lointaines du génocide de 1994. En août, après la réélection de Kagame pour un troisième mandat de sept ans à la tête d’un pays qu’il dirige d’une main de fer depuis vingt-trois ans, les Etats- Unis ont jugé son score (98 %) peu crédible. Plus prudente, la Belgique s’est contentée d’inscrire sa politique dans le cadre européen : l’Union a « salué » des élections « sûres », tout en invitant à plus d’efforts de « transparence ».
Certes, l’Afrique centrale continue à inspirer de nombreuses initiatives des pouvoirs publics belges, des entités fédérées, des universités et du secteur privé. La RDC, le Rwanda et le Burundi restent les principaux pays partenaires de la coopération belge. Et les pays de l’Union européenne comptent toujours sur l’expertise belge dans la région des Grands Lacs (elle vaut en fait surtout pour la RDC). Mais les relations houleuses avec Kinshasa, Bujumbura et Kigali conduisent Bruxelles à se frotter avec réticence à l’épineux dossier de l’Afrique centrale.
Abidjan, porte du marché ouest-africain
D’où l’intérêt porté par la Belgique à l’Afrique de l’Ouest. Le Burkina Faso et la Guinée Conakry ont rejoint, en 2015, la liste des partenaires de la coopération belge, où figuraient déjà le Bénin, le Mali, le Niger, le Sénégal. Ouagadougou a accueilli, fin octobre, une mission économique bruxelloise forte d’une trentaine de dirigeants d’entreprises. « Le pays est devenu un modèle démocratique pour la région, estime un analyste de l’Union européenne en poste dans la capitale burkinabè. La corruption y est moins présente qu’ailleurs. Ses handicaps ? Une croissance économique de 6 % insuffisante pour relever le niveau de vie de la population, qui augmente chaque année de 3 %, une main-d’œuvre peu qualifiée, un enclavement géographique qui accroît le coût de l’énergie, et l’insécurité dans le nord, où opèrent les djihadistes. Les forces de sécurité et les services de renseignement du Faso sont sortis affaiblis de la transition. »
Quelques jours plus tôt, la princesse Astrid a conduit une mission écono- mique belge à Abidjan. Elle visait à ouvrir les portes du marché ouest-africain aux sociétés belges. Plus de 140 firmes y ont participé, dont 55 situées en Région bruxelloise, le gouvernement Vervoort ayant décidé de faire de l’Afrique de l’Ouest une priorité. « La Flandre met l’accent sur les relations avec l’Asie, la Wallonie s’intéresse à l’Amérique latine, alors Bruxelles choisit l’Afrique », observe un attaché commercial. Cécile Jodogne, secrétaire d’Etat bruxelloise au commerce extérieur (DéFI), insiste sur la dimension francophone de la zone : « Une langue commune favorise des relations économiques privilégiées. »
La Belgique est le deuxième exportateur européen de marchandises vers la Côte d’Ivoire (derrière la France) et le deuxième importateur européen (après les Pays-Bas). Le commerce du cacao et celui du matériel de transport pèsent lourd dans les échanges avec le géant économique de l’Afrique de l’Ouest.
Pour rassurer les investisseurs, les ministres et diplomates belges présents à Abidjan ont vanté la « stabilité politique et institutionnelle » de la Côte d’Ivoire et la croissance économique ivoirienne (6,9 % cette année), qui accentue la demande locale de services et d’investissements en infrastructures. Des routes et des ponts sont rénovés, le port d’Abidjan s’agrandit avec, à la clé, de gros contrats. Mais la plupart sont raflés par les groupes français, chinois et marocains. Le royaume de Mohammed VI pilote notamment le chantier titanesque de la baie de Cocody, à Abidjan.
Soro, inspiré par Macron ?
Avec le soutien inconditionnel de ses partenaires étrangers, le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara (« ADO ») poursuit sa politique économique libérale business friendly. Pour autant, le rythme des réformes visant à améliorer le climat des affaires s’est ralenti. Les recettes fiscales et d’exportations de la Côte d’Ivoire ont été frappées par la chute des cours internationaux du cacao, première source de revenus du pays. De plus en plus de voix, à Abidjan, jugent que l’objectif de l’« émergence » annoncé pour 2020 et martelé par les dirigeants ivoiriens devant la délégation belge n’est plus qu’un slogan destiné à rassurer les investisseurs. Le chef de l’Etat est accusé d’avoir négligé le social, d’avoir ignoré les attentes des laissés-pour-compte de la croissance. Cette année, les fonctionnaires sont descendus dans la rue pour exiger le paiement d’arriérés de salaires et les anciens rebelles des Forces nouvelles sont sortis des casernes les armes à la main pour réclamer des primes. Le gouvernement ivoirien a capitulé face à cette menace, ce qui a terni son image dans la population.
La fin du second mandat d’Alassane Ouattara s’annonce délicate, alors que la coalition au pouvoir (le RDR de Ouat- tara et le PDCI de l’ancien président Henri Konan Bédié) a du plomb dans l’aile. Le régime ne craint plus un retour armé des pro-Gbagbo, les partisans de l’ancien chef de l’Etat, détenu par la Cour pénale internationale (et qui séjournerait en Belgique en cas de liberté provisoire, début 2018). En revanche, plusieurs sources à Abidjan nous assurent que Guillaume Soro, l’ex-chef rebelle devenu président de l’Assemblée nationale, que l’on dit proche d’Emmanuel Macron, compte bien rééditer en Côte d’Ivoire l’OPA macronienne sur le paysage politique français. « Les réseaux de clientélisme développés pendant la guerre civile restent manifestes dans les cercles proches du pouvoir et pourraient exacerber les tensions politiques, notent les experts de Credendo, l’assureur-crédit belge. La réconciliation d’après-guerre progresse trop lentement et pose un risque majeur. » Credendo classe le risque politique du pays en catégorie 6 sur une échelle qui compte sept niveaux.
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