Palestine
Les entrepreneurs attendent de la réconciliation entre Hamas et Fatah la réouverture des postes-frontièresIl ne faut pas se laisser berner par la taille extravagante du salon, plongé dans une semi-pénombre, ni par les canapés dorés. Bien sûr, Emad Arafat est fier de sa maison familiale de trois étages à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Il ya investi une sacrée somme, plus de 400 000 euros.
Mais dans ce cadre confortable, si rare dans le territoire palestinien exsangue après dix ans d’embargo et trois guerres contre Israël, l’homme exprime une mélancolie qui ressemble à un renoncement. Emad Arafat, entrepreneur polyvalent de 53 ans, simple homonyme de l’ancien leader historique palestinien, ne fonde pas d’espoir démesuré dans le processus de réconciliation entre les islamistes du Hamas, qui contrôlent la bande de Gaza, et le Fatah du président Mahmoud Abbas.
L’ensemble des factions palestiniennes sont attendues au Caire, mardi 21 novembre, pour un nouveau cycle de négociations, dans le cadre de la réconciliation palestinienne encouragée par l’Egypte. Les 2 millions d’habitants qui se serrent à Gaza attendent une amélioration de leur vie quotidienne. Parmi les plus impatients figurent les commerçants, les entrepreneurs, tous ceux pour qui la Cisjordanie et Israël, côté nord, et l’Egypte, côté sud, représentent à la fois des bassins de clientèle potentiels et des sources d’approvisionnement en matières premières. La réouverture du point de passage de Rafah, vers l’Egypte, est un préalable indispensable.
« On ne peut rien planifier »
Mais Emad Arafat aura-t-il la patience d’attendre ? Depuis avril, il a arrêté d’importer cinq camions mensuels de plâtre. « Il n’y a plus d’argent à Gaza. J’ai reçu beaucoup de chèques en bois », dit-il. A cela s’ajoutent les taxes, versées à la fois au Hamas et à l’Autorité palestinienne (AP), sans compter celles payées en Israël à l’arrivée des chargements au port d’Ashdod. Une tonne de plâtre achetée en Egypte coûte 50 dollars (environ 42 euros) ; l’addition passe à 130 dollars pour l’acheminer à Gaza. La tonne y est revendue avec un profit de cinq dollars seulement.
L’entrepreneur est dans les affaires depuis vingt-trois ans. L’ère du gouvernement Hamas, depuis 2007, a été une catastrophe, sous l’effet redoublé des embargos égyptien et israélien. « L’économie est brisée, constate Emad Arafat. Le Hamas ne sait pas gérer les affaires, il ne pense qu’à percevoir l’argent. Regardez les rues de Rafah, autour de nous. Les gens sont assis, bras croisés, et ne savent pas quoi faire. On passe notre temps à attendre, on ne peut rien planifier. J’ai six fils. On verra dans six mois. Si rien ne change, je ferai sortir ma famille. »
Emad Arafat a un passeport égyptien et un plan B. Il a construit une petite usine produisant du charbon de bois près du Caire, en Egypte. Son frère risque de l’accompagner. Wissam, 40 ans, a fermé sa société il y a un mois. Trop de pertes, 80 000 euros en deux ans. Il importait des produits cosmétiques d’Egypte.
Placée sous assistance internationale, l’économie gazaouie est faite de bouts de ficelle. Le taux de chômage chez les jeunes dépasse 40 %. Les chiffres sont catastrophiques chez les diplômés, qui ne savent comment employer leurs compétences. Le recyclage à l’infini, dans des échoppes miséreuses, représente la première activité commerçante. Les impayés en électricité sont importants ; beaucoup d’habitants s’offrent des raccordements pirates, en plus de leur ligne officielle. On ne peut rien conserver au frigo car il s’arrêtera de fonctionner. On mange comme on vit, au jour le jour. Les mesures punitives contre le Hamas, décidées par l’Autorité palestinienne en mars, n’ont fait qu’empirer les choses. Les salaires des fonctionnaires ont été amputés d’un tiers. L’électricité a été réduite à une poignée d’heures. L’AP tarde à rétablir la totalité du paiement à Israël de la facture énergétique mensuelle de Gaza.
L’usine d’Al-Awda est un modèle et une rareté dans la bande de Gaza. Il s’agit de la plus grande entreprise palestinienne de fabrication de snacks et de sucreries. Elle emploie 400 employés, venant pour l’essentiel des camps de réfugiés dans les quartiers avoisinants, à Deir Al-Balah, au centre du territoire. Par le passé, 60 % de la production étaient destinés à la Cisjordanie.
Retards de paiement
Avec l’embargo, les employés ne travaillent plus aujourd’hui qu’une douzaine de jours par mois, au lieu de vingt-six. Malgré trois générateurs, les coupures brutales d’électricité provoquent la détérioration des équipements électroniques. Et l’importation des pièces de rechange depuis Israël est un casse-tête, l’Etat hébreu se méfiant de leur possible usage militaire.
Manal Hassan, 39 ans, est la directrice exécutive de la société Al- Awda. Dynamique, précise, souriante, elle raconte les mille obstacles du quotidien pour faire fonctionner l’usine. Exemple, la farine turque qui passe par le port d’Ashdod : les taxes dépassent 40 % ; la marchandise transite en camion vers un entrepôt en Israël, avant de repartir en camion pour le poste-frontière de Kerem Shalom, où elle est transbordée dans de nouveaux camions à l’intérieur de la bande de Gaza... « J’ai 100 productions différentes à gérer. Imaginez de combien de matières premières j’ai besoin ! Je n’arrive pas à suivre, je passe mes journées à écrire des lettres aux Israéliens. »
Manal Hassan saluerait l’ouverture du point de passage de Rafah vers l’Egypte. Mais le vrai électrochoc serait, selon elle, la construction d’un port et d’un aéroport à Gaza, ce que les Israéliens refusent. Sans cela, pense-t-elle, difficile d’imaginer une revitalisation de l’économie locale. « Il y a aussi des gens riches à Gaza, mais ce sont des commerçants, pas des producteurs. Il faut les convaincre de construire des usines, au lieu d’importer des tonnes de gâteaux. »
Sami Fojo peut en parler. Il a commencé dans les affaires par un atelier de menuiserie. C’était en 1997. Puis il est rapidement passé au commerce, important du ciment et des métaux, grâce à ses bons contacts développés au fil du temps avec des entrepreneurs en Cisjordanie. Il avait un permis israélien pour sortir de Gaza, annulé il y a deux ans, sans raison. « Je travaille par téléphone, dit-il. Il y a deux ou trois ans, j’avais 60 employés. Il m’en reste cinq, tous de ma famille. » Sami Fojo fournit les matières premières pour des projets internationaux, bien identifiés. « Mais contrairement au passé, les bailleurs de fonds qataris et turcs ne paient plus à temps. Ils ont parfois trois mois de retard. » Sami Fojo est fatigué. « L’embargo fait mourir le business. Nous sommes en soins intensifs. »
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