05/12/2018

La DGSI s’alarme de l’offensive contre les entreprises françaises

Dans une note à l’exécutif, elle dénonce des manœuvres destinées à piller les entreprises francaise


LE RENSEIGNEMENT TRICOLORE DÉNONCE DES INGÉRENCES: Dans sa note au gouvernement du 12 avril dernier dénonçant les « ingérences économiques américaines en France », la DGSI décrit les « modes opératoires » de l’Oncle Sam. « Sans négliger les modes opératoires conventionnels (débauchages de cadres, pseudo-négociations commerciales prétextes à des captations d’informations, dumping, etc.), la spécificité américaine réside dans le déploiement d’un arsenal juridique et réglementaire permettant de s’affranchir de la notion de frontière », écrivent les contre-espions français. 

LES SECTEURS LES PLUS EXPOSÉS: Aéronautique, énergie, santé, électronique, recherche universitaire, télécommunications, nucléaire...

En 2016, deux agences liées au Pentagone [...] ont cherché à obtenir des informations sur les programmes de recherche de plusieurs établissements publics français en s’adressant directement  à des chercheurs

ESPIONNAGE Méfiez-vous de vos amis. Ce pourrait être le titre d’une note du contre-espionnage français a eu connaissance. Un document de six pages, destiné à éclairer l’exécutif et daté du 12 avril dernier. Il se présente sobrement comme un « panorama des ingérences économiques américaines en France ». Mais quand la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), rattachée directement au ministre de l’Intérieur, s’empare d’un tel sujet, l’affaire prend un certain relief. Car c’est un service phare de la Place Beauvau qui alerte ici le pouvoir.

Les termes sont choisis. « Les acteurs américains déploient une stratégie de conquête des marchés à l’export qui se traduit, à l’égard de la France en particulier, par une politique offensive en faveur de leurs intérêts économiques », écrivent les analystes de la DGSI. Selon eux, « les secteurs ciblés correspondent à des domaines d’avenir présentés de longue date comme stratégiques par les autorités américaines, dont l’aéronautique, la santé et plus généralement le monde de la recherche ». Ils ajoutent : « Cette stratégie, qui vise à favoriser les entreprises américaines aux dépens de leurs concurrents étrangers, est déployée par des entités tant publiques que privées – administrations, entreprises, cabinets d’avocats et de conseil, etc. – qui œuvrent de concert et déploient un arsenal de dispositifs et mesures économiques et juridiques. »

La DGSI est sûre de son fait: «Les entreprises françaises évoluant dans ces secteurs font l’objet d’attaques ciblées, notamment par le biais de contentieux juridiques, de tentatives de captation d’informations et d’ingérence économique. » Premier secteur concerné : l’aéronautique. «Dans un contexte très concurrentiel, où les États-Unis se prêtent à des manœuvres pour favoriser Boeing sur des marchés prometteurs, le groupe Airbus connaît des difficultés conjoncturelles depuis quelques années pour plusieurs de ses programmes (A380, A320, A400M). L’avionneur européen est également vulnérable sur le plan judiciaire et cherche à se mettre en conformité afin d’éviter de lourdes sanctions », affirme l’agence de contre-espionnage de Beauvau.

À la lire, « Airbus fait actuellement l’objet d’audits de conformité en matière de lutte contre la corruption. C’est dans ce cadre qu’interviennent en son sein des cabinets d’avocats américains ». Or, s’inquiètent nos contre-espions, ces acteurs « disposent, depuis 2015, d’un accès privilégié à des données stratégiques du groupe ». Ainsi, « les informations de toutes natures saisies auprès des cadres d’Airbus permettent de cartographier tous les intermédiaires et contacts du groupe, ainsi que ses axes de développement à l’international ».

La DGSI l’affirme : plusieurs des avocats concernés « sont en contact avec des administrations américaines. Ces cabinets avaient également été missionnés par Alstom et Technip dans des procédures analogues ayant abouti à de lourdes condamnations pour les deux groupes français ».

« Patriotisme économique »


Les sociétés de taille plus modeste ne seraient guère épargnées non plus. « Les acteurs américains, publics et privés, ont ciblé à plusieurs reprises la recherche et l’innovation françaises en proposant des financements à des organismes de recherche ou à des entreprises innovantes, afin de soutenir des programmes ou des projets de développement à l’international », constate la DGSI. En apparence, la simple logique des affaires. Mais derrière, il n’y aurait rien d’amical : « Il s’agit bien de dépecer les fleurons tricolores », regrette un préfet très au fait des questions de sécurité nationale. Selon lui, « les Américains coopèrent très fortement avec la France et les services alliés au niveau opérationnel contre le terrorisme islamique et l’espionnage chinois ou russe, mais 60 % de leur activité reste centrée sur la recherche de renseignements stratégiques. Tous les moyens sont bon pour faire vivre leur patriotisme économique ».

Ce grand commis révèle qu’«il fut un temps pas si lointain où les services américains ont été lourdement suspectés d’avoir piégé les ordinateurs de Bercy ». Concernant l’activité économique, il assure toutefois que « l’essentiel se passe en toute transparence, de façon ouverte, notamment par des prises de contact directes avec des cadres des sociétés françaises ciblées ». À l’entendre, « les interlocuteurs les séduisent, les invitent à donner des conférences, puis à rédiger des notes de plus en plus précises ». Sur les nouvelles technologies, « dès qu’une société française est en avance, les Américains la ravissent en envoyant au feu leurs puissants fonds d’investissement », assure cet homme du sérail.

La note de la DGSI ne dit pas autre chose. Elle évoque une société française vendue 12 millions de dollars à des fonds américains. « Par la suite, écrivent ses auteurs, le siège de l’entreprise et ses activités de recherche et développement ont été transférées aux États-Unis. À l’issue d’une croissance spectaculaire, la société est désormais valorisée à hauteur d’un milliard de dollars. » Du point de vue tricolore, c’est une perte. Mais c’est la loi du marché.

Que penser alors de cette autre entreprise qui développait, elle, des produits orthopédiques ? Selon la DGSI, la société française Tornier a « connu un sort comparable entre 2006 et 2015 après sa prise de contrôle par un fonds américain ». Puis elle a été « dissoute dans le cadre d’une fusion avec la firme américaine ». Perdue pour la France. En 2017, une société bretonne spécialisée dans la chirurgie de l’épaule assistée par ordinateur avait établi un partenariat. « Disposant d’une avance technologique conséquente », elle « envisageait à terme de se présenter en concurrent de son partenaire américain et était susceptible de capter 20% de son marché si le projet se concrétisait ». Mais elle n’a pas résisté aux millions de dollars mis sur la table.

Page après page se dessine l’« offensive » que les analystes de Beauvau croient déceler derrière toutes ces opérations commerciales. « La DGSI a également identifié l’intérêt marqué des acteurs économiques pour les sociétés spécialisées dans la gestion des données médicales, conduisant à l’acquisition de plusieurs sociétés françaises spécialisées dans le traitement de ce type d’informa- tions », révèle le document. Et de citer le cas de « la branche dédiée à la gestion des données clients et stratégiques de Cegedim, acquise par IMS Health en 2015 ». « Cette opération a contribué à faire de cet acteur américain la seule société au monde disposant d’une base de données aussi exhaustive », déplore la DGSI.

La conclusion n’est guère réjouissante. « Les domaines d’excellence français » seraient « particulièrement exposés », assurent ces policiers en charge de la protection du patrimoine économique. Selon eux, «les PME ne se sont pas suffisamment armées et les grands groupes français semblent également vulnérables, privilégiant des stratégies de repli et d’évitement afin de ne pas s’exposer ». Une vision bien pessimiste alors que la mondialisation poursuit sa course effrénée.







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