Bien qu’elle ne fasse pas partie du cartel, la Russie joue un rôle capital dans les négociations entre pays exportateurs de pétrole.
OPEP |
Quand l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) s’est réunie à Vienne en décembre du 5 au 7 elle était au bord de l’implosion. Les cours du pétrole avaient chuté, des pays membres tels que l’Iran, le Venezuela et la Libye refusaient de réduire leur production, le Qatar avait quitté l’organisation et le président des États-Unis, Donald Trump, faisait pression sur l’Arabie Saoudite pour qu’elle maintienne les prix à un bas niveau.
Alors que les négociations étaient sur le point de capoter, le secours est arrivé de là où l’on ne l’attendait pas : de la Russie, qui n’est même pas membre de l’Opep. Vladimir Poutine, son président, a en effet finalement accepté de réduire la production pétrolière de son pays, conformément aux souhaits de l’Opep, à condition que l’Iran puisse continuer à extraire du brut. Ni l’animosité qui régnait lors de cette réunion, ni le rôle essentiel joué par la Russie n’avaient filtré jusqu’alors. Pourtant, ce qui s’est passé à l’époque a marqué un tournant pour la Russie qui, jusque-là, ne coopérait pas du tout avec l’Opep, et qui en est devenue un partenaire indispensable.
Alors que le cartel avançait cahin-caha d’une crise à une autre (miné par l’effondrement des prix, les changements de régime dans certains pays membres, les luttes internes et les attaques fréquentes de Donald Trump), la Russie a mis à profit l’autorité que lui confère son statut de grand pays producteur de pétrole pour lui venir en aide. Vladimir Poutine a ainsi acquis une influence considérable sur le pilotage du marché mondial du pétrole brut, évalué à 1 700 milliards de dollars [par an], tout en étendant son pouvoir au Moyen-Orient.
“La Russie est désormais la thérapeute de l’Opep”, estime Helima Croft, directrice de la stratégie pour les matières premières de [la banque d’investissement canadienne] RBC Capital Markets.
Plaisanterie.
Le ministre saoudien de l'énergie remaquer récemment en plaisantant qu’il discutait davantage avec son homologue russe Alexander Novak qu’avec certains de c'est collegue. “Nous nous sommes rencontrés à douze reprises en 2018”, a-t-il confié lors d’une conférennce de presse en mars.Lors de la prochaine réunion de l’Opep
[le Comité ministériel de suivi Opep et non-Opep devrait se réunir le 19 mai à Djeddah, en Arabie Saoudite, pour préparer la conférence de l’Opep du 25 juin à Vienne], les Russe et l’Arabie Saoudite vont chercher à formaliser ce qui n’est pour l’instant qu’une alliance provisoire. Les Etas-Unis ont considéré l’Arabie Saoudite comme l’un de leurs plus proches alliés géopolitiques, lui ont vendu des armes et l’ont encouragée à jouer un rôle stabilisateur au Moyen-Orient. En contrepartie, Washington exigeait un approvisionnement stable en pétrole des marchés mondiaux pour atténuer les flambées de prix préjudiciables à l’économie américaine.
Mais depuis qu’elle dispose d’un nouvel allié en la personne de la Russie, l’Arabie Saoudite n’est plus redevable uniquement à Washington.
Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont revu leur position de non-intervention qu’ils avaient depuis longtemps à l’égard du cartel. Donald Trump a posté plusieurs tweets demandant à l’Opep d’accroître sa production pour faire baisser les prix du pétrole, il a même téléphoné directement au gouvernement saoudien pour lui demander d’ouvrir les robinets. “Les liens entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite ont une importance vitale pour le maintien de la stabilité au Moyen-Orient et d’une pression maximale sur l’Iran”, explique un haut responsable de l’administration américaine, qui assure que “ces liens restent forts”.
Cependant, le meurtre du journaliste dissident Jamal Khashoggi dans le consulat de l’Arabie Saoudite en Turquie en octobre 2018 a créé une fêlure entre les deux pays – et a offert une occasion à la Russie de renforcer sa présence auprès de l’Opep.
En fait, l’alliance entre la Russie et l’Opep a vu le jour il y a plus de deux ans avec la nomination de trois nouveaux dirigeants. Tout d’abord, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le fils du roi Salmane, s’est mis à jouer un rôle plus actif dans la politique pétrolière de son pays, en rupture complète avec ce qui se faisait ces dernières années quand la cour royale laissait le soin à des hauts fonctionnaires du ministère de l’Énergie de s’en occuper. Mi-2016, il a remplacé, à la tête du ministère du Pétrole, Ali Al-Naïmi, qui incarnait la politique pétrolière saoudienne depuis des lustres, par Khaled Al-Faleh, qui a longtemps exercé des fonctions dirigeantes au sein de la compagnie nationale d’hydrocarbures Aramco. De son côté, Vladimir Poutine a chargé Alexander Novak de la stratégie pétrolière internationale du pays. Enfin, l’Opep a nommé le Nigérian Mohammed Barkindo au poste le plus élevé de secrétaire général.
Les cours s’étaient effondrés en 2016 et ne semblaient pas près de rebondir. Ces trois hommes avaient besoin d’arriver à un accord pour réduire la production afin de faire remonter les prix. La Russie et l’Opep ont alors accepté d’extraire moins de brut. À la mi-2018, les prix du brut étaient repartis à la hausse, du fait de cette baisse de production ainsi que d’un regain d’espoir de croissance économique mondiale. Mais, à la fin de l’année, les perspectives économiques mondiales étaient assez sombres à cause de la guerre commerciale entre les États- Unis et la Chine.
Quelque temps avant la réunion de décembre de l’Opep, les cours du pétrole avaient perdu près de 30 % en six semaines. Pour soutenir les prix, les Saoudiens doivent alors arriver à un accord à l’unanimité sur la réduction de la production. L’Iran, déjà handicapé par les sanctions américaines appliquées depuis novembre, est réticent. La Libye et le Venezuela, en proie à des troubles internes, traînent également les pieds.
Alors que le cartel est sur le point de se réunir à Vienne, le Qatar ébranle les marchés pétroliers mondiaux en annonçant [le 3 décembre] son départ de l’Opep. Il fait partie d’un petit groupe de pays membres qui se sentent marginalisés par le renforcement de l’alliance russo- saoudienne. À l’Opep, “quasiment tout tourne autour de ce que veulent le prince Mohammed et son copain Poutine”, regrette un haut fonctionnaire qatari.
Lors d’entretiens accordés au Wall Street Journal, des responsables de pays membres de l’Opep ainsi que des hauts fonctionnaires russes ont raconté les négociations tendues qui s’en sont suivies.
Dès le début de la réunion [le 6 décembre], Khaled Al-Faleh, le ministre saoudien de l’Énergie, doit faire face à des demandes contradictoires. D’un côté, Donald Trump exerce des pressions en privé sur le prince héritier saoudien pour qu’il maintienne les cours du pétrole à un bas niveau, et incite publiquement sur Twitter l’Opep à faire de même. “Espérons que l’Opep maintiendra en l’état ses flux pétroliers sans les restreindre, tweetait le président américain le 5 décembre. Le monde ne veut pas et n’a pas besoin d’un pétrole plus cher !”
De l’autre côté, Khaled Al-Faleh doit garantir des recettes pétrolières suffisantes à son pays – une incitation à faire monter les prix. En effet, près de 87 % des rentrées budgétaires de l’Arabie Saoudite proviennent du pétrole.
Quand Khaled Al-Faleh demande à l’Iran de baisser sa production comme les autres, le ministre du Pétrole iranien, Bijan Zanganeh, refuse, reprochant aux pays du Golfe d’avoir pris les parts de marché perdues par l’Iran à cause des sanctions internationales. Selon une source présente lors du débat, il aurait pointé du doigt Suhail Al-Mazroui, le ministre de l’Énergie des Émirats arabes unis et président de l’Opep, en lui lançant : “Vous êtes l’ennemi de mon pays !” Il menace ensuite de se retirer de l’Opep.
L’organisation est censée parvenir à un consensus dans la journée et le lendemain se réunir avec le groupe des pays non membres de l’Opep [dit “Opep +”], dirigé par la Russie et qui comprend notamment le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan [mais aussi le Mexique, Oman, la Malaisie...], afin de parvenir à un accord plus large. Mais Suhail Al-Mazroui est contraint de lever la séance sans avoir abouti à un accord.
Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont revu leur position de non-intervention qu’ils avaient depuis longtemps à l’égard du cartel. Donald Trump a posté plusieurs tweets demandant à l’Opep d’accroître sa production pour faire baisser les prix du pétrole, il a même téléphoné directement au gouvernement saoudien pour lui demander d’ouvrir les robinets. “Les liens entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite ont une importance vitale pour le maintien de la stabilité au Moyen-Orient et d’une pression maximale sur l’Iran”, explique un haut responsable de l’administration américaine, qui assure que “ces liens restent forts”.
Cependant, le meurtre du journaliste dissident Jamal Khashoggi dans le consulat de l’Arabie Saoudite en Turquie en octobre 2018 a créé une fêlure entre les deux pays – et a offert une occasion à la Russie de renforcer sa présence auprès de l’Opep.
En fait, l’alliance entre la Russie et l’Opep a vu le jour il y a plus de deux ans avec la nomination de trois nouveaux dirigeants. Tout d’abord, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le fils du roi Salmane, s’est mis à jouer un rôle plus actif dans la politique pétrolière de son pays, en rupture complète avec ce qui se faisait ces dernières années quand la cour royale laissait le soin à des hauts fonctionnaires du ministère de l’Énergie de s’en occuper. Mi-2016, il a remplacé, à la tête du ministère du Pétrole, Ali Al-Naïmi, qui incarnait la politique pétrolière saoudienne depuis des lustres, par Khaled Al-Faleh, qui a longtemps exercé des fonctions dirigeantes au sein de la compagnie nationale d’hydrocarbures Aramco. De son côté, Vladimir Poutine a chargé Alexander Novak de la stratégie pétrolière internationale du pays. Enfin, l’Opep a nommé le Nigérian Mohammed Barkindo au poste le plus élevé de secrétaire général.
Les cours s’étaient effondrés en 2016 et ne semblaient pas près de rebondir. Ces trois hommes avaient besoin d’arriver à un accord pour réduire la production afin de faire remonter les prix. La Russie et l’Opep ont alors accepté d’extraire moins de brut. À la mi-2018, les prix du brut étaient repartis à la hausse, du fait de cette baisse de production ainsi que d’un regain d’espoir de croissance économique mondiale. Mais, à la fin de l’année, les perspectives économiques mondiales étaient assez sombres à cause de la guerre commerciale entre les États- Unis et la Chine.
Quelque temps avant la réunion de décembre de l’Opep, les cours du pétrole avaient perdu près de 30 % en six semaines. Pour soutenir les prix, les Saoudiens doivent alors arriver à un accord à l’unanimité sur la réduction de la production. L’Iran, déjà handicapé par les sanctions américaines appliquées depuis novembre, est réticent. La Libye et le Venezuela, en proie à des troubles internes, traînent également les pieds.
Alors que le cartel est sur le point de se réunir à Vienne, le Qatar ébranle les marchés pétroliers mondiaux en annonçant [le 3 décembre] son départ de l’Opep. Il fait partie d’un petit groupe de pays membres qui se sentent marginalisés par le renforcement de l’alliance russo- saoudienne. À l’Opep, “quasiment tout tourne autour de ce que veulent le prince Mohammed et son copain Poutine”, regrette un haut fonctionnaire qatari.
Lors d’entretiens accordés au Wall Street Journal, des responsables de pays membres de l’Opep ainsi que des hauts fonctionnaires russes ont raconté les négociations tendues qui s’en sont suivies.
Dès le début de la réunion [le 6 décembre], Khaled Al-Faleh, le ministre saoudien de l’Énergie, doit faire face à des demandes contradictoires. D’un côté, Donald Trump exerce des pressions en privé sur le prince héritier saoudien pour qu’il maintienne les cours du pétrole à un bas niveau, et incite publiquement sur Twitter l’Opep à faire de même. “Espérons que l’Opep maintiendra en l’état ses flux pétroliers sans les restreindre, tweetait le président américain le 5 décembre. Le monde ne veut pas et n’a pas besoin d’un pétrole plus cher !”
De l’autre côté, Khaled Al-Faleh doit garantir des recettes pétrolières suffisantes à son pays – une incitation à faire monter les prix. En effet, près de 87 % des rentrées budgétaires de l’Arabie Saoudite proviennent du pétrole.
Quand Khaled Al-Faleh demande à l’Iran de baisser sa production comme les autres, le ministre du Pétrole iranien, Bijan Zanganeh, refuse, reprochant aux pays du Golfe d’avoir pris les parts de marché perdues par l’Iran à cause des sanctions internationales. Selon une source présente lors du débat, il aurait pointé du doigt Suhail Al-Mazroui, le ministre de l’Énergie des Émirats arabes unis et président de l’Opep, en lui lançant : “Vous êtes l’ennemi de mon pays !” Il menace ensuite de se retirer de l’Opep.
L’organisation est censée parvenir à un consensus dans la journée et le lendemain se réunir avec le groupe des pays non membres de l’Opep [dit “Opep +”], dirigé par la Russie et qui comprend notamment le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan [mais aussi le Mexique, Oman, la Malaisie...], afin de parvenir à un accord plus large. Mais Suhail Al-Mazroui est contraint de lever la séance sans avoir abouti à un accord.
Promesse.
Le russe Alexander Novak, qui était à Vienne, rentre à Saint- Pétersbourg en début de journée pour consulter Vladimir Poutine. Ce dernier lui donne alors son aval pour proposer une diminution de la production russe plus importante que prévu, et lui demande de s’assurer que la réunion ne se conclura pas sans accord.
De retour à Vienne, Alexander Novak rencontre son homologue iranien et lui promet d’amener les Saoudiens à exempter Téhéran de toute diminution de production, toujours selon des responsables de l’Opep. Lors d’une rencontre en aparté avec Khaled Al-Faleh, Alexander Novak accède à la demande de l’Arabie Saoudite de voir la Russie réduire ses volumes dans les mêmes proportions qu’elle, en échange de la promesse de Riyad d’autoriser l’Iran à continuer à pomper du brut. Novak reconnaît que la Russie a tout intérêt à ce que l’Opep réduise sa production. “Nous avons besoin d’un baril à 60 dollars, déclare-t-il, et nous sommes encore sous le coup de sanctions.”
Khaled Al-Faleh est tout sourire lorsqu’il retourne dans la salle des négociations de l’Opep.
La coalition a commencé à diminuer sa production en janvier. Depuis, les cours du pétrole se sont relevés de 30 %. L’Arabie Saoudite affirme avoir davantage réduit ses volumes que ce qu’elle avait promis. De son côté, la Russie s’était engagée à diminuer sa production de 230 000 barils par jour, mais en mars, elle ne l’aurait fait que de 120 000 barils par jour, selon des représentants de l’Opep et de la Russie.
Néanmoins, Riyad est prêt à fermer les yeux sur les manquements de la Russie car il a besoin de soutien sur la scène internationale. “Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les Russes”, affirme un responsable saoudien.
De retour à Vienne, Alexander Novak rencontre son homologue iranien et lui promet d’amener les Saoudiens à exempter Téhéran de toute diminution de production, toujours selon des responsables de l’Opep. Lors d’une rencontre en aparté avec Khaled Al-Faleh, Alexander Novak accède à la demande de l’Arabie Saoudite de voir la Russie réduire ses volumes dans les mêmes proportions qu’elle, en échange de la promesse de Riyad d’autoriser l’Iran à continuer à pomper du brut. Novak reconnaît que la Russie a tout intérêt à ce que l’Opep réduise sa production. “Nous avons besoin d’un baril à 60 dollars, déclare-t-il, et nous sommes encore sous le coup de sanctions.”
Khaled Al-Faleh est tout sourire lorsqu’il retourne dans la salle des négociations de l’Opep.
La coalition a commencé à diminuer sa production en janvier. Depuis, les cours du pétrole se sont relevés de 30 %. L’Arabie Saoudite affirme avoir davantage réduit ses volumes que ce qu’elle avait promis. De son côté, la Russie s’était engagée à diminuer sa production de 230 000 barils par jour, mais en mars, elle ne l’aurait fait que de 120 000 barils par jour, selon des représentants de l’Opep et de la Russie.
Néanmoins, Riyad est prêt à fermer les yeux sur les manquements de la Russie car il a besoin de soutien sur la scène internationale. “Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les Russes”, affirme un responsable saoudien.
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