Dans une note parue jeudi, le Conseil d’analyse économique propose de créer un « procureur commercial »
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Pourquoi l’Europe est-elle incapable de se doter de champions industriels mondiaux ? Comment résister au rouleau compresseur chinois si nos entreprises échouent à grandir hors de leurs frontières ? Début février, le rejet de la fusion entre Alstom et Siemens par Bruxelles a relancé le débat sur la pertinence de la politique de concurrence européenne, jugée trop zélée par une partie de la classe politique française. Dans la foulée, Paris et Berlin ont adopté un manifeste commun « pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle», appelant à revoir les règles concurrentielles pour permettre l’émergence de poids lourds continentaux – notamment dans la filière des batteries électriques. Un dossier sensible auquel la prochaine Commission devra s’attaquer, après les élections européennes de fin mai.
Pour apporter sa pierre au débat, le Conseil d’analyse économique (CAE), centre de réflexion placé sous la houlette du premier ministre, a publié une note sur le sujet, jeudi 16 mai. Intitulée « Concurrence et commerce : quelles politiques pour l’Europe ? », elle passe au crible l’efficacité des mesures communautaires en la matière. Son premier constat a de quoi surprendre : « Rien ne suggère que l’Europe ait une politique de concurrence excessivement rigoureuse », assurent les auteurs, Sébastien Jean, Anne Perrot et Thomas Philippon, tout trois membres du CAE.
Défense du pouvoir d’achat
De fait, sur 2 980 opérations de concentration notifiées à la Commission européenne entre 2010 et 2018, seules 7 ont été refusées. Parmi celles acceptées : la fusion de Luxottica et Essilor dans l’optique, ou de Lafarge et Holcim, dans le ciment. Preuve que la concurrence n’empêche pas l’émergence de champions européens, estiment les auteurs.
Surtout, celle-ci se montre efficace en matière de défense du pouvoir d’achat, son objectif premier. A cet égard, la comparaison avec les Etats-Unis est éclairante. Depuis quinze ans, Washington se montre plus laxiste en concurrence sur son territoire, si bien que la concentration des entreprises s’y est renforcée. Résultat : depuis 2000, les prix y ont, en moyenne, augmenté de 15 % de plus qu’en Europe où, dans certains pays, des mesures pro-concurrence ont eu des effets notoirement positifs. Exemple : l’octroi d’une quatrième licence à Free en France, en 2011, a fait baisser de 40 % les prix des services de télécommunications, désormais plus bas qu’outre-Atlantique.
Certes, les entreprises américaines, dont beaucoup sont en position dominante sur leur secteur, ont vu leurs profits augmenter bien plus vite que leurs homologues du Vieux Continent. Mais moins stimulées par la concurrence, elles ont utilisé cet argent pour distribuer plus de dividendes ou racheter leurs propres actions, tandis que leurs investissements, notamment en R&D, ont baissé. Dans le même temps, ceux-ci sont restés stables en Europe... Dit autrement : le problème européen ne vient pas de sa politique de concurrence, même si elle est perfectible, estime la note. Mais plutôt, « de l’articulation de celle-ci avec la politique commerciale ».
Si la première encadre le marché intérieur, la seconde définit nos relations avec l’extérieur, dans le respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est là que le bât blesse : à l’heure où le multilatéralisme est menacé par la fièvre protectionniste de Donald Trump, ce cadre ne suffit plus. « L’Europe doit s’armer pour défendre ses intérêts économiques », insistent les auteurs, égrenant les cas où les règles européennes sont peu efficaces. Ainsi, le délai de traitement des abus de position dominante est si long que, parfois, les entreprises indûment concurrencées disparaissent avant la résolution du dossier.
De même, les « acquisitions tueuses d’innovation », lorsqu’un grand groupe étranger – notamment les Gafam – achète une start-up française ou allemande pour tuer la concurrence dans l’œuf, échappent bien trop aux radars de Bruxelles. Comment les distinguer des acquisitions classiques ? Le CAE propose d’instaurer la possibilité d’un contrôle ex post de l’autorité de concurrence, et d’autoriser un démantèlement dans les situations jugées critiques, comme aux Etats-Unis.
Mais le cas le plus problématique est peut-être celui des subventions d’Etat. L’OMC définit celles-ci comme les contributions financières clairement identifiées d’un gouvernement ou d’une entité publique à une entreprise. « Or, dans le cas chinois, le caractère protéiforme des subventions, prenant souvent la forme d’accès privilégié au capital, transitant par une multitude de canaux, dépasse très largement ce cadre », prévient le CAE.
Réformer l’accord de l’OMC
Ce dernier suggère donc de réformer l’accord de l’OMC sur le sujet, en renforçant les obligations de transparence, et en facilitant l’adoption de mesures compensatoires lorsque de telles subventions sont préjudiciables.
Parce que la réciprocité sur l’ouverture des marchés publics est difficile à faire respecter, parce que la confusion autour des règles désavantage l’Europe face à la puissance chinoise, le CAE suggère également la création d’un « procureur commercial » européen. Nommé par la Commission, doté de moyens d’enquête sérieux et capable de prendre des mesures de sauvegarde, il permettrait aux Européens de parler d’une voix plus forte et «de régler les problèmes les plus importants ».
On peut regretter que la note n’en dise pas plus sur la politique industrielle, l’autre volet susceptible d’aider l’Europe à fabriquer des champions. Elle souligne, néanmoins, l’existence des « projets importants d’intérêts européens communs » (PIIEC), qui autorisent les aides publiques non pas à une entreprise, mais à un secteur industriel réparti sur plusieurs Etats. C’est dans ce cadre que Paris et Berlin espèrent bâtir une filière européenne des batteries électriques, susceptible de concurrencer celle de la Chine. Mais de tels projets, concluent les auteurs, ne pourront fonctionner que si les Etats membres parviennent à dépasser leurs intérêts nationaux pour s’entendre...
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